Il y a 80 ans, l’Hindenburg s’écrasait. L’onde de choc de cet accident a parcouru le monde et traversé le temps. Aujourd’hui encore, à la simple évocation des dirigeables, nombreux sont ceux qui se rappelle les images terribles de l’Hindenburg, sans pour autant avoir vécu cet événement.
Retour 80 ans en arrière et analyse.
L’Hindenburg fut construit par la société Zeppelin entre 1935 et 1936 et était alors le fleuron technologique du savoir-faire de la firme allemande. L’Hindenburg, nom de code LZ-129, est alors, comme son nom l’indique, le 129e dirigeable à structure rigide produit par Zeppelin. Le 4 mars 1936, il effectue son premier vol à Friedrichshafen en Allemagne. Il est alors le plus grand dirigeable jamais construit.
Avec ses dimensions hors normes (246,7 m de long et 41,7 m de diamètre), le LZ-129 dispose d’un volume d’hydrogène de près de 200 000 m³, lui conférant une masse maximale admissible au décollage de 232 tonnes. Il peut ainsi accueillir 124 personnes, dont 40 officiers de vol, 12 stewards et cuisiniers et jusqu’à 72 passagers. Sa propulsion constituée de quatre moteurs de six cylindres diesel “Mercedes LOF 6“ lui fournit une puissance de 1 300 CV au décollage et 850 CV en croisière. Les quatre moteurs sont positionnés par paire de part et d’autre de la nacelle centrale. La disposition des moteurs dans des nacelles externes et la complexité de leur fonctionnement nécessite la présence permanente d’un mécanicien dans chaque nacelle. Grâce à cette puissante motorisation, pour l’époque, le LZ-129 affiche une vitesse de croisière de 122 km/h et jusqu’à 155 km/h en vitesse de pointe.
A cela s’ajoute une alimentation électrique assurée par des générateurs Siemens, en corrélation avec deux moteurs diesel Daimler-Benz, afin de fournir la puissance nécessaire à l’éclairage, les cuisines, la radio et le pilotage. Quatre empennages en croix assurent la manœuvrabilité de l’aéronef.
La structure du LZ-129 est de type rigide en aluminium, composée de 16 cadres principaux, rayonnés autour d’une poutre centrale et parcourus de lisses sur leurs périphéries. Sur cette structure rigide est tendue une enveloppe de 34 000 m² de textile, fabriqué à partir d’un mélange de coton et de lin et recouverte d’une protection à base de cellulose. De l’oxyde de fer a aussi été ajouté sur les panneaux supérieurs afin d’assurer une protection UV.
A l’intérieur de cette structure, 16 cellules de gaz contiennent les presque 200 000 m³ d’hydrogène. 50 000 baudruches furent nécessaire pour construire chaque cellule. La baudruche est la paroi de l’intestin de la vache, dont la structure lipidique la rend étanche aux gaz de petite taille moléculaire. Près de 800 000 vaches furent ainsi nécessaires pour fabriquer les cellules d’hydrogène de l’Hindenburg !
L’aménagement intérieur du LZ-129 est extrêmement luxueux. Similaire aux aménagements des dirigeables anglais R100 et R101, le positionnement des espaces passagers à l’intérieur de la structure permet de limiter la surface mouillée tout en augmentant la place dédiée aux passagers.
Cet espace est composé d’une salle à manger, de salons de lecture, de cuisines, d’un fumoir (sécurisé par un système de surpression empêchant une intrusion accidentelle d’hydrogène) et de plusieurs cabines. Ces volumes sont répartis sur deux ponts et les membres d’équipages disposent d’espaces réservés répartis en plusieurs points de l’aéronef.
Les performances et le confort, inégalés, placent le LZ-129 au summum du luxe pour relier le vieux continent au reste du monde. Les populations les plus aisés se pressent du monde entier pour traverser l’Atlantique à bord du plus grand aéronef du monde. Ainsi, entre son premier vol le 4 mars 1936 et son écrasement le 6 mai 1937, le LZ-129 aura parcouru environ 337 000 kilomètres en 3 087 heures de vol et 63 voyages, avec des liaisons aux Etats-Unis et au Brésil. La liaison avec le Brésil constitue d’ailleurs le voyage le plus long du monde, le LZ-129 bouclant ainsi une liaison Francfort – Rio de Janeiro (11 278 km) en octobre 1937 en plus de 111 heures. Autre record, en août 1936, il parcourt les 6 732 km qui séparent Lakehurst de Francfort en à peine plus de 43h, soit à une vitesse moyenne de 157 km/h. Avant le 6 mai 1937, l’Hindenburg aura traversé 18 fois l’Atlantique entre Francfort et Lakehurst sans le moindre incident.
Déroulé de l’accident
Le 6 mai 1937, lors de son 63e voyage, le LZ-129 survole New York avant de se présenter à Lakehurst, dans le New Jersey voisin. A 19h22, après plus de 77 heures de voyage depuis Francfort et avec 92 personnes à bord, le LZ-129 s’écrase à l’atterrissage devant plusieurs centaines de personnes horrifiées. 15 passagers, 19 membres d’équipages et un équipier au sol décèdent dans l’accident. 34 petites secondes suffiront à mettre à terre le LZ-129.
Depuis son écrasement, de nombreuses théories plus ou moins réalistes ont été émises. Celle qui est aujourd’hui reconnue par les autorités américaines et allemandes, ainsi que par Zeppelin, est celle combinant trois causes : conditions climatiques, erreurs humaines et défaillances structurelles.
Cette théorie se résume ainsi : le dirigeable, chargé d’électricité statique après trois jours de vol et la traversée d’un orage à son arrivée sur New York, aurait connu une défaillance technique, à savoir la rupture d’une cellule d’hydrogène. Cette rupture aurait engendré la fuite d’hydrogène, qui se serait enflammé lors de la décharge de l’électricité statique du dirigeable au touché du sol de l’une des amarres, elle-même détrempée par les intempéries et donc conductrice. Cette rupture de cellule s’explique elle-même par deux autres causes : la première est que le LZ-129 n’était pas dimensionné pour être gonflé à l’hydrogène mais à l’hélium, gaz moins porteur donc engendrant des efforts moindres. La seconde cause est une erreur d’ordre humaine. Suite au retard pris pour l’atterrissage (l’Hindenburg aurait attendu plus de 12 heures aux abords de Lakehurst afin de contourner un orage), sous la pression du public au sol, des conditions météorologiques se dégradant et à celle de la présence d’un représentant nazi dans le cockpit, le commandant Max Pruss aurait ordonné une manœuvre particulière en double virages serrés pour s’adapter au vent changeant. Cette manœuvre, très contraignante pour la structure rigide de l’aéronef, aurait engendré la rupture de l’un des câbles internes, lacérant au passage des cellules d’hydrogène.
Cette théorie est néanmoins contestée, certains mentionnant l’inflammabilité de l’enveloppe de l’Hindenburg quand d’autres évoquent purement et simplement le sabotage terroriste du dirigeable.
Analyse
Les conséquences de cet accident furent extrêmement violentes. On considère qu’il s’agit du premier événement tragique de portée mondiale. La présence de nombreux journalistes, la retransmission en direct à la radio, ainsi que les images vidéos et photographiques qui ont rapidement, pour l’époque, fait le tour du monde, ont largement contribué à l’impact de cet accident sur les populations. C’était la première fois que de telles images étaient diffusées. Les réactions furent à la hauteur du choc éprouvé à la vue de ces images. La firme allemande Zeppelin ne s’en remettra pas et l’image du dirigeable sera fortement entachée. Suite à cet accident, les vols transatlantiques sont arrêtés et le sistership de l’Hindenburg, le Graf Zeppelin II, n’obtiendra qu’une autorisation de vol restreinte (limitée à 1 an, sans passagers et en dehors des zones tropicales). Le prometteur Graf Zeppelin II fut par la suite démonté, sa structure métallique ayant une grande valeur en cette période de préparation guerrière.
Il est important de noter que l’accident de l’Hindenburg ne fut pas le plus meurtrier de l’histoire des dirigeables. Il ne vient en effet qu’en 5e position, après les écrasements du R38 (ZR2, 44 morts), du R101 (48 morts), du Dixmude (LZ-114, 52 morts), et enfin du porte-avion volant USS Akron (ZRS4, 73 morts). Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’USS Akron était gonflé à l’hélium. Tous ces accidents sont intervenus des années avant l’écrasement de l’Hindenburg, mais ont affaibli l’image du dirigeable dans l’imaginaire collectif. L’accident du LZ-129, de par l’immense choc qu’il a suscité, a achevé les derniers espoirs de transport public par dirigeable.
On prête d’ailleurs trop souvent l’arrêt des développements de dirigeables au crash de l’Hindenburg. Ce n’est qu’en partie vrai. Malgré le choc qu’a provoqué cet accident, il n’en est pas moins vrai que le dirigeable arrivait au bout de ce que les technologies de l’époque pouvaient apporter d’innovations à cet aéronef. La montée en puissance des plus lourds que l’air constitue la réelle raison de l’arrêt des développements et de l’exploitation des dirigeables.
Cependant, malgré les accidents et le crash du Zeppelin Hindenburg, les Etats-Unis continuèrent le développement et l’exploitation de dirigeables, plus petits, remplis à l’hélium, pour assurer la surveillance de leurs côtes ou comme soutien aérien aux convois maritimes. Pas moins de 180 dirigeables souples, de types K, L, M et N (ainsi que les 2 ZPG, les plus grands dirigeables souples du monde) furent ainsi construits et opérés jusque dans les années 1960.
Le crash de l’Hindenburg a durablement marqué l’esprit collectif. Aujourd’hui encore, la simple évocation du dirigeable provoque de nombreuses réactions anxiogènes. Néanmoins, les nouvelles générations se réapproprient peu à peu l’image du dirigeable. Les flammes et la peur de ces mastodontes des cieux laissent désormais place à l’image d’un moyen de transport plus respectueux de l’environnement, plus silencieux aussi et qui a sa place dans la grande famille des aéronefs. Cet événement constitue un tournant dans l’Histoire de l’Aéronautique et les nouvelles générations en ont tiré les conséquences. Il est primordial d’en comprendre les causes pour ne pas réitérer les mêmes erreurs. Aujourd’hui, les sociétés développant et exploitant des dirigeables tiennent compte du retour d’expérience que représente le crash de l’Hindenburg. La sécurité des dirigeables n’a plus rien à voir avec celle de l’époque (voir notre article à ce sujet : “Episode 7 : La sécurité des dirigeables”) et malgré les quelques réticences encore palpables, force est de constater que plusieurs projets discrets pointent le bout de leur nez, preuve que le rêve du dirigeable n’en est plus un.
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Thibault Proux
6 Comments
Gilles
Bonjour Thibault,
Merci pour cette série d’articles aérostatiques passionnants !
En ce qui concerne le Hindenburg je me permet d’ajouter des précision, et de produire un commentaire :
– la motorisation du Hindenburg ne lui permettait pas de dépasser 125 km/h en vitesse maximale relative par rapport à l’air. Les 157 km/h mentionnés en vitesse-sol ont été rendus possible grâce aux vents dominants soufflant d’ouest en est au dessus de l’Atlantique Nord. La vitesse moyenne dans l’autre sens était d’ailleurs de l’ordre de 101 km/h.
– Le Hindenburg a été conçu pour être rempli d’hélium. Mais la production d’Hélium est à cette époque un monopole étasuniens, qui refusent de le vendre à l’Allemagne nazie. Les vols sont donc assurés avec du dihydrogène.
– Le type de gaz ne change rien aux efforts subis par la structure ! Il est donc faux de parler d’erreur de conception à ce sujet. Par contre le taux de remplissage des cellules de gaz n’est pas le même, une plus petite quantité de dihydrogène étant nécessaire pour assurer la même flottabilité. Ou encore la charge utile est augmentée avec le taux de remplissage prévu pour l’Hélium.
– les manœuvres brutales précédent l’atterrissage sont effectivement à mettre sur le compte d’une pression exercée sur l’équipage pour atterrir au plus vite. Mais la cause de cette pression est probablement politique : le trajet aller ayant pris du retard, et un survol de Londres pour le couronnement du roi britannique Georges VI étant prévu au retour. Plus que la pression économique de passagers, l’opération de prestige constituée par le survol d’un aéronef emblématique du régime Nazi a probablement été décisive.
– le Graf Zeppelin II (LZ130, sistership du Hindenburg) a été achevé et a volé (voir https://de.wikipedia.org/wiki/LZ_130 la liste de vols recensés) essentiellement à des fins de propagande nazie. Le matériau de couverture du LZ130 comportait d’ailleurs une addition de graphite pour le rendre conducteur, preuve que le constructeur avait bien compris les risques potentiels des effets électrostatiques, qui constituent l’une des hypothèses de cause de l’accident du Hindenburg. Le LZ130 a effectivement été démantelé (ainsi que le LZ127 Graf Zeppelin) pour fournir de ma matière métallique à l’industrie aéronautique allemande au début de la guerre.
– enfin, en commentaire :
Comme mentionné, l’analyse historique montre que si l’accident du Hindenburg a durablement marqué les esprit (probablement à cause de la présence de caméras sur place) cela n’a rien changé à la tendance industrielle, qui a été celle du développement des plus lourds que l’air comme vecteurs de transport à longue distance. Il est difficile d’imaginer que les dirigeables aient pu constituer une concurrence face à l’émergence des jets tels que le Boeing 707 ou le Douglas DC-10.
L’usage de dirigeables souples (plus petits, donc moins contraignants en terme d’opérations au sol et de besoins d’infrastructures) a effectivement perduré, mais dans un usage tout autre : celui de la surveillance aérienne. Ce type de mission se prête beaucoup pus à l’usage des dirigeables que celui du transport, car il capitalise sur les points forts de ce type d’appareil : la lenteur et la très grande autonomie. Les missions des blimps américains ont été : la surveillance maritime, ainsi que la surveillance en tant que radar aéroportés. Dans ce rôle, les dirigeables constituent un succès indéniable. C’est beaucoup moins vrai dans le rôle d’appareil de transport.
Les dirigeables Zeppelins ont pu être exploités (pour quelle rentabilité ?) dans une période charnière où les moteurs d’avion étaient encore trop peu fiables pour envisager des vols transocéaniques, et où la sécurité aérienne n’était pas encore une préoccupation majeure. Le contexte technico-économique qui a favorisé l’exploitation commerciale de ces engins est donc particulier, et il faudrait probablement de nouveau un changement de paradigme pour que les dirigeables de grande dimensions revoient effectivement le jour.
On peut néanmoins rendre hommage à l’exploit technique qu’a été le Hindenburg, et qui a assuré la première ligne aérienne transcontinentale de l’histoire de l’aviation.
Thibault PROUX
Bonjour Gilles, merci de ces précisions. J’ai modifié mon article concernant ta remarque sur le Graf Zeppelin II (j’étais persuadé qu’il n’avait jamais volé !).
A bientôt (au Bourget ?),
Thibault
Gilles
Ah bah j’espère y faire un tour, mais je ne sais pas quand exactement. Je te tiendrais au courant !
Gilles
Gilles
Et au fait : as tu vu ceci : cela passe demain.
http://www.programme-television.org/documentaires/information/zeppelin-retour-vers-le-futur#158229936
Thibault PROUX
Hahah oui ! Tu devrais même pouvoir voir mon nom dans le générique de fin 😉
Bastien
Merci Thibault !
En termes de facteurs humains, il est intéressant de noter que le “représentant nazi” présent à bord n’était autre qu’Ernst Lehmann, un précédent commandant du Hindenburg, présent au titre de la DZR (alors de gouvernance nazie). Il jouissait donc de fait d’une double autorité qui a pu altérer les décisions du cdt Pruss.
(Source: Dr Eckener’s Dream Machine, Douglas Botting, sauf pour l’interprétation FH)
Ernst Lehmann a perdu la vie ce jour-là des suites de ses brûlures.