Les cartes sont enfin distribuées dans le programme T-X.
Depuis le 13 septembre, nous connaissons l’ensemble des offres proposées par les industriels dans le cadre du programme de renouvellement des avions d’entrainement de l’USAF. Après que Textron Airland a retiré sa candidature, jugeant son Scorpion inadapté aux demandes de l’USAF, quatre consortiums restent en lice dans la compétition T-X, menés respectivement par Lockheed Martin, Raytheon, Northrop Grumman et Boeing. Ce programme longtemps attendu vise à remplacer la flotte de vénérables T-38 Talon conçus par Northrop et dont la moyenne d’âge approche dangereusement les 45 ans.
L’enjeu est de taille pour l’USAF, mais aussi pour les industriels et la position des USA sur le marché des avions d’arme, car il ne s’agit pas uniquement de remplacer d’anciens appareils par des machines plus récentes.
Le programme T-X
D’un strict point de vue technique, le programme T-X porte sur un ensemble de systèmes de simulation de vol et de combat, mais aussi de restitution de données, capable de fonctionner en réseau et en temps réel. Les propositions industrielles en matière de simulateurs au sol, de moyens de communication et de fusion synthétique des données compteront autant que les performances des avions sélectionnés. Ces derniers, par ailleurs, agiront bien plus comme des simulateurs de combat volant que comme des avions d’entrainement au pilotage. Il s’agit donc pour l’USAF de pousser encore plus loin le concept LIFT (Lead-In Fighter Training) qui consiste à intégrer une avionique moderne dans un avion d’entrainement, de relier à distance cette avionique à des ordinateurs et simulateurs au sol, afin de simuler auprès des élèves-pilotes à la fois des menaces (chasseurs ennemis, radars et missiles air-sol etc.) mais aussi des capteurs (radars modernes, Liaison 16 etc.) qui n’ont alors pas nécessairement besoin d’être intégrées dans l’appareil. Bien plus qu’un avion, c’est tout un écosystème d’entrainement avancé que devront fournir les industriels sélectionnés.
Avec le T-X, le but est d’offrir aux élèves pilotes, mais aussi aux pilotes plus confirmés, des moyens de se former et de s’entrainer en réseau, à grande échelle, dans des conditions réalistes et aussi exigeantes, sur le plan technique, qu’à bord de véritables avions de combat. À l’heure des chasseurs de 5ème génération comme le F-22 et le F-35, la maîtrise des systèmes électroniques embarqués est tout aussi essentielle que la maîtrise du pilotage lui-même. L’avion qui sera sélectionné par le programme T-X devra donc répondre à des exigences de performances dynamiques (accélération, taux de virage, résistance soutenue aux G) similaires à celles des avions les plus récents, mais il incorporera également une planche de bord composée d’un unique écran tactile qui pourra être configuré pour simuler aussi bien les instruments d’un F-22 que d’un F-35, par exemple. Certains industriels vont jusqu’à proposer en option des commandes de vol électroniques programmables en fonction de l’avion devant être simulé : les paramètres de vol de l’avion d’entrainement adoptent alors automatiquement les limitations et les performances du chasseur désiré. Les nouvelles technologies de communication et de simulation en temps réel offriront également la possibilité de s’entrainer à distance. Des avions, mais aussi des simulateurs au sol, situés sur des bases éloignées de plusieurs centaines de kilomètres pourront évoluer dans le même environnement simulé, les pilotes pouvant communiquer entre eux comme s’ils intervenaient au-dessus d’un unique théâtre d’opération, permettant d’effectuer des simulations de grande ampleur, mais également de facilité la transmission de connaissances tactiques.
Pour les industriels, la manne que représente le programme T-X est intéressante pour deux raisons principales. En premier lieu, le marché du T-X repose sur 350 à 450 machines dans l’immédiat. Pour l’ensemble des compétiteurs, à l’exception de Lockheed Martin qui produit le F-35, ce serait l’occasion de garantir une activité industrielle dans le domaine des avions de combat qui, sans ce programme, serait pour le mieux compromise. Boeing ne dispose pas actuellement de visibilité à long terme pour la production de F-15 et de Super Hornet. Northrop Grumman s’est vu confié la production du prochain bombardier lourd de l’USAF, mais le programme reste encore incertain. Raytheon, de son côté, est avant tout un équipementier et une éventuelle production de T-X aux côtés de l’Italien Leonardo ferait de lui un nouvel acteur dans le domaine très concurrentiel des producteurs d’avions d’arme. En second lieu, la quantité d’avions à produire pour la seule USAF fait que l’industriel qui remportera le T-X deviendra immédiatement le leader mondial sur le marché des avions d’entrainement avancé et, plus généralement, sur le marché des petits chasseurs polyvalents.
Une aubaine pour les industriels, mais aussi pour le Département d’État américain qui disposera d’un appareil léger, économique et performant à placer auprès de ses alliés les moins fortunés, que ce soit en Asie, au Moyen-Orient ou en Amérique Latine. La frustration devait être palpable, à Washington, lorsque Israël s’est doté de M-346 italiens, ou lorsque l’Irak a opté pour le T-50 coréen, faute de proposition américaine concurrente. Et à l’heure où les industriels russes et surtout chinois se font de plus en plus agressifs sur ce segment de marché, il serait surprenant que la capacité d’évolution du futur T-X n’entre pas en ligne de compte au moment de sa sélection.
Lockheed Martin / KAI T-50A
Lockheed Martin a été le premier à dévoiler sa proposition industrielle l’année dernière, très largement poussé en ce sens par son partenaire coréen KAI (Korea Aerospace Industries). À l’époque, Lockheed Martin hésitait encore entre la promotion du T-50 conçu par KAI ou le développement d’un tout nouvel appareil, mais le choix s’est finalement porté vers une nouvelle version du T-50 Golden Eagle, désignée T-50A.
Contrairement à ce que sa désignation pourrait indiquer, le T-50A n’est pas un dérivé du T-50 mais du FA-50, la version la plus élaborée du petit avion coréen. Comme le FA-50, le T-50A disposera d’un radar multifonction, d’une plus grande réserve de carburant interne, d’une suite avionique complète incluant des liaisons de données tactiques, et de la possibilité d’emporter des armements air-air et air-sol. Il s’agira cependant d’une variante spécifiquement adaptée au marché américain. L’appareil dispose ainsi d’un large carénage dorsal abritant une partie des systèmes de simulation en vol ainsi que le réceptacle de ravitaillement en vol propre aux appareils de l’USAF, ses planches de bord seront équipées de l’unique écran multifonction requis par l’appel d’offre et il sera équipé de tous les moyens de communication demandés par l’USAF. Même si le FA-50 pourrait, en théorie, être équipé du réacteur F414 qui équipe le Super Hornet, le T-50A devrait selon toute vraisemblance conserver le F404-GE-102 du T-50. Moins puissant que le F414, ce réacteur est un dérivé du F404 qui équipe par paire les Hornet de l’US Navy, mais il est spécialement modifié pour apporter une sécurité et une fiabilité maximale en usage monoréacteur, tout en maximisant ses économies de fonctionnement et sa facilité d’entretien.
Le principal avantage du T-50A sur ses concurrents est d’être déjà en production. Pour Lockheed Martin et KAI, la prise de risque est minime : deux cellules ont été prélevées des chaînes, ont été légèrement modifiées, et pourront servir immédiatement aux essais en vol. Même en cas d’échec sur le programme T-X, ces cellules serviront tout de même à améliorer la famille T-50 et ne représenteront pas une perte sèche pour le consortium. En cas de sélection, les premiers appareils produits aux Etats-Unis à partir de sous-ensembles livrés depuis la Corée du Sud pourraient ainsi entrer en service opérationnel très rapidement, une grande partie des essais en vol propres à cette sous-version du Golden Eagle étant effectués pendant la période de compétition.
De plus, Lockheed Martin possède l’avantage indéniable d’avoir conçu à la fois le F-35 et le F-22, les deux appareils que le T-X doit justement pouvoir simuler au plus juste. De plus, le T-50A sera basé sur le T-50 Golden Eagle conçu en Corée pour entrainer les pilotes de F-16 et de F-15. Deux appareils qui continueront à servir dans les rangs de l’USAF après l’entrée en service opérationnel du T-X.
Enfin, Lockheed Martin a fait le choix, avec le T-50A, de proposer une version musclée de son appareil d’entrainement basée sur le FA-50 d’entrainement et de combat plutôt que sur le T-50 d’entrainement pur, bien moins coûteux à l’achat et à l’entretien. Opérationnellement, ce choix se justifie puisqu’il permettra aux pilotes de s’entrainer à l’interception aérienne, au ravitaillement en vol et au tir d’armement guidés depuis leurs appareils d’entrainement, économisant d’autant le potentiel de vol des avions d’arme, tout en offrant bien plus de réalisme que sur un simulateur. Pour sa participation au T-X, Lockheed Martin n’a fait aucune concession à l’aspect guerrier du T-50, bien au contraire. Le T-50A conserve ainsi le lourd et encombrant canon de 20mm de son cousin coréen, et le réceptacle de ravitaillement en vol a été intégré à un gros carénage dorsal, ce qui sous-entend qu’aucun des équipements militaires du FA-50 de base n’auront été sacrifiés dans l’agencement interne du T-50A. Une véritable prise de risque pour Lockheed Martin, puisque ces lourds équipements ne serviront au mieux que pour une petite partie des vols (notamment le canon) mais auront un impact négatif au quotidien sur les performances globales de l’appareil. L’USAF pourra bien évidemment choisir une version moins ambitieuse du T-50A, mais Lockheed Martin compte bien profiter de la communication (et des financements) autour du concours T-X pour mettre en avant aussi bien les capacités d’entrainement que de combat de son nouveau produit. De quoi, sans aucun doute, compléter sa gamme d’appareils tactiques part le bas lorsque le F-35 aura définitivement remplacé le F-16 sur les chaînes d’assemblage.
D’autres inconvénients plus évidents pourraient freiner les ambitions de Lockheed Martin sur ce marché. D’une part, la mainmise de Lockheed Martin sur l’ensemble des programmes d’avions de chasse de l’USAF ne plait pas à tout le monde au sein de l’institution. D’autant plus que la gestion du programme F-35, extrêmement politisée, est vivement critiquée, y compris en interne, pour ses surcoûts et ses retards.
Ensuite, même si Lockheed Martin est le concepteur du F-22 et du F-35, le T-50A est un appareil coréen conçu pour entrainer des pilotes d’avions de 4ème génération. La nationalité d’origine de l’appareil importe assez peu, puisqu’il est de notoriété publique que Lockheed Martin a assisté les équipes de KAI pour la conception des premiers T-50. Mais même si le T-50 Golden Eagle est un appareil assez récent disposant d’une avionique très moderne, ses performances dynamiques pourraient être jugées inférieures à celles des concurrents développés sur mesure pour le concours T-X et la 5ème génération de chasseurs.
L’équipe menée par Lockheed Martin en a d’ailleurs tout à fait conscience. Leur communication revient abondamment sur le fait que le T-50A répond et dépasse les critères minimums exigés par l’appel d’offre et que, dans ces conditions, ils ont préféré ne pas encourir les risques inhérents au développement d’un nouvel avion peut-être plus performant, mais qui n’aurait pas bénéficier de la fiabilité, de l’historique opérationnel et de la disponibilité immédiate du T-50. En somme, le T-50A apparaît comme un choix sûr d’un point de vue industriel, un bon compromis entre les capacités d’entrainement spécifiées dans l’appel d’offre et les capacités de combat secondaires proposées par l’industriel. Ces dernières pourraient faire la différence vis-à-vis de la concurrence, le T-50A apparaissant comme un mini-chasseur peut-être plus encore que comme un appareil d’entrainement avancé. Mais la question du coût se posera nécessairement. Le T-50A est un appareil assez lourd pour un avion d’entrainement, avec un poids maximal supérieur à 12 tonnes (contre moins de 6 tonnes pour le T-38 qu’il doit remplacer), et l’appel d’offre du programme T-X demande avant tout un appareil d’entrainement avancé économique plutôt qu’un avion de combat ultra-léger.
Raytheon / Leonardo T-100
En juillet, un second consortium a dévoilé son candidat pour le concours T-X. Il s’agit de l’équipementier de défense Raytheon, associé à l’Italien Leonardo, qui proposent leur T-100 Integrated Air Training System, qui n’est rien d’autre qu’un M-346 repeint aux couleurs du T-38 Talon actuel. En ce qui concerne l’avion, ce T-100 ne représente aucune surprise. A l’instar du T-50A, il s’agit d’un appareil conçu à l’étranger et déjà opérationnel dans plusieurs forces aériennes. Et alors que le T-50A a subi des modifications extérieures propres à le distinguer des autres versions du Golden Eagle, les T-100 qui serviront à l’évaluation du programme T-X seront extérieurement très semblables aux appareils en service en Italie, en Israël ou à Singapour. Un réceptacle de ravitaillement en vol devrait toutefois être intégré, à terme, si l’avion devait amener à être sélectionné.
L’historique du T-100 dans la compétition est pour le moins complexe. Initialement, Finmeccanica souhaitait rester le maître d’œuvre sur la compétition T-X, promettant de délocaliser la chaîne d’assemblage du M-346 aux USA en cas de victoire, mais il est apparu très rapidement à l’industriel italien qu’il aurait besoin d’un partenaire américain bien implanté auprès de l’USAF pour porter le projet à sa place. Bien que Leonardo soit associé à Boeing pour la commercialisation à l’international du M-346, c’est avec General Dynamics qu’est menée une première collaboration à partir de 2013. L’année suivante, le spécialiste des simulateurs et des systèmes d’entrainement aéronautiques CAE Inc. rejoint General Dynamics et Finmeccanica. Mais en 2015, c’est General Dynamics qui se retire du projet, craignant que l’USAF ne choisisse un appareil plus performant que ce qui est spécifiquement exigé dans l’appel d’offre, ce qui ne laisserait alors aucune chance au T-100. A la dernière minute, en février dernier, c’est donc Raytheon qui vient à la rescousse de Finmeccanica, devenu depuis Leonardo. Cet industriel est le seul maître d’œuvre de T-X à ne pas être un avionneur à proprement parlé. Pourtant, Raytheon est une référence dans le secteur de la défense, puisqu’il est le principal missilier américain, ainsi que l’un des plus grands équipementiers mondiaux, spécialisé dans l’électronique de défense.
Le T-X reposant au moins autant sur ces systèmes électroniques de simulation, de restitution et d’entrainement virtuel que sur la cellule sélectionnée pour l’entrainement en vol, la présence de Raytheon comme maître d’œuvre est ainsi complètement logique. D’autant plus que son partenaire CAE dispose d’une très grande visibilité dans ce secteur d’activité, et que le M-346 de Leonardo dispose déjà des outils de simulation synthétique et des modes de coopération vol/sol les plus aboutis du marché. Le centre d’entrainement de Lecce, construit autour des capacités du M-346, est sans aucun doute le plus moderne et l’un des plus performants du monde. A bien des égards, le M-346 préfigure déjà la simulation du future décrite par l’appel d’offre du T-X, tout en offrant une maturité et une expertise inégalée parmi les compétiteurs du programme.
Comme les autres compétiteurs, le T-100 sera équipé d’un grand écran configurable, d’un large HUD et d’un afficheur de casque pouvant afficher, en temps réel, la position simulée d’autres élèves pilotes situés dans des simulateurs au sol ou, en vol, au dessus d’autres bases aériennes, voire dans d’autres pays.
Le T-100 est aussi le seul biréacteur de la compétition, équipé de deux Honeywell/ITEC F124 qui lui assure une consommation assez basse, une excellente autonomie sur plein interne et une sécurité des vols maximale, malgré une puissance de 56kN (5,7t) seulement. De quoi assurer, en un seul vol, des sessions d’entrainement plus longues et plus diversifiées. En pointe sur les questions de maniabilité basse vitesse, de manœuvrabilité sur le plan horizontal et de manœuvres de combat aérien, le T-100 reste tout de même la cellule la moins impressionnante de la compétition, en termes militaires. Si ses performances en tant qu’appareil d’entrainement avancé ne sont pas à remettre en question, il reste considérablement en retrait en tant que chasseur léger polyvalent. Avec une vitesse d’interception subsonique et une vitesse ascensionnelle quasiment inférieure de moitié à celle du T-50 Golden Eagle, le T-100 n’est pas capable d’assurer une permanence opérationnelle digne de ce nom, et restera cantonné à l’entrainement avancé dans les forces américaines. Cependant, avec 9 points d’emports, son excellente autonomie, sa très bonne maniabilité à basse altitude, son large champ de vision et la capacité d’emporter un petit radar multifonction ou une nacelle de désignation de cibles en option, une version d’attaque du T-100 pourrait faire un appareil spécialisé en Close Air Support tout à fait convenable. Leonardo propose d’ailleurs une version d’attaque du M-346 à la Pologne, déjà cliente de la version d’entrainement, pour le remplacement des Su-22.
Quoi qu’il en soit, le T-100 représente une offre globale de grande qualité, si l’on prend en compte l’ensemble des outils de simulation, de restitution et de fusion de données. Même si les offres sont confidentielles, il ne serait pas surprenant d’apprendre que cette offre de Raytheon est également une des plus économiques (le facteur prix avait été déterminant sur le marché polonais), tant à l’achat qu’à l’exploitation, ce qui pourrait faire pencher la balance de son côté. Même si, pour cela, il faudra faire oublier le fait que le T-100 est le seul appareil de la compétition de conception 100% étrangère, sans qu’aucune entreprise américaine n’ait pris part, de près ou de loin, à sa conception. Le précédent du T-45 en service dans l’US Navy montre que ce n’est pas mission impossible, mais à l’époque la Navy n’avait le choix qu’entre le Hawk britannique et l’Alphajet franco-allemand. Aujourd’hui, les choses sont bien différentes.
Northrop Grumman Model 400
Contrairement aux autres concurrents, Northrop n’a pas dévoilé son candidat au T-X en grande pompe. C’est lors d’essais au roulage sur la piste de Mojave, à proximité du siège de Scaled Composite, la filiale de Northrop Grumman, que le Model 400 immatriculé N400NT a été montré pour la première fois en public à la mi-août, sans que le constructeur ne cherche d’ailleurs à en dissimuler la présence.
Présenté sans la livrée deux-tons propre aux T-38 que tous les autres candidats ont arborés, le Model 400 s’avère au final assez austère, et aurait peut-être mérité une présentation au public plus conventionnelle. La livrée blanche du prototype rappelle clairement les avions expérimentaux de Scaled Composites, et c’est sans doute sur l’image innovante de cette filiale que le groupe Northrop Grumman a cherché à miser.
Une décision audacieuse de la part du constructeur qui aurait pu faire le choix inverse de rappeler la parenté de son Model 400 avec le T-38 Talon qu’il doit remplacer. Le nouveau design de Northrop peut en effet être considéré comme une évolution “5ème génération” de la famille T-38/F-5/F-20. Il en reprend en effet la forme générale, avec une voilure conventionnelle basse placée sur les entrée d’air latérales, avec des APEX généreux, des gouvernes horizontales dans le même axe et une unique dérive. Contrairement aux T-38 et F-5, le Model 400 est monoréacteur, comme le F-20 en son temps. Alors que le F-20 Tigershark, un pur chasseur, était équipé d’un réacteur F404-GE-100 équipé de post-combustion et produisant une poussée de 76kN (7,74t), le Model 400 semble équipé d’un F404-GE-200D sans post-combustion.
La presse spécialisée reprend régulièrement le chiffre de 78,7kN (8t) de poussée pour décrire le réacteur du Model 400, mais ce chiffre correspond en réalité au réacteur doté de post-combustion embarqué par le Lockheed Martin T-50A. En toute logique, le Model 400 devrait donc disposer d’une poussée de 53kN (5,4t) environ, similaire à celle des deux réacteurs combinés du T-100 de Raytheon et Leonardo, largement suffisante pour des missions d’entrainement avancé. En effet, si le Model 400 reprend les grands principes aérodynamiques du T-38 Talon, une poussée de 53kN (contre 34kN pour le T-38) lui assurerait des performances bien supérieures à son prédécesseur, tout en restant bien plus économique à l’emploi que ses concurrents.
Reste que les photographies dévoilant l’appareil montrent trop peu de détails pour qu’il soit possible de tirer des conclusions précises de ses performances. Les formes générales de l’appareil et son ascendance générationnelle laissent fortement penser à un appareil supersonique capable de bonnes performances en transsonique, mais sans plus de précision sur la masse de l’appareil et, surtout, la forme et la surface de sa voilure, il sera difficile d’établir d’autres hypothèses fiables. On peut supposer que l’appareil disposera d’une plus grande surface alaire que ses prédécesseurs afin d’améliorer la maniabilité de l’appareil. Northrop travaillait sur cette question au moment de l’abandon du programme F-20, dont les démonstrateurs souffraient de problèmes de stabilité lors de manœuvres à angles d’attaque et vitesses élevés. La voilure agrandie n’avait alors jamais pu être testée, mais peut-être qu’une partie des études réalisées pour améliorer le F-20 ont-elles terminé sur ce nouvel appareil.
Le Model 400 est clairement conçu comme un compromis entre hautes performances aérodynamiques (notamment en matière de performances à hautes vitesses) et économies d’utilisation. A l’instar de Raytheon, Northrop Grumman semble viser la position du moins-disant, autrement dit l’offre la plus économique qui réponde à l’ensemble des critères de l’appel d’offre, sans chercher à offrir une plus-value coûteuse et non-exigée. Mais contrairement au T-100 qui a dû réaliser une série d’essais en vol pour s’assurer qu’il répondait aux critères dynamiques de l’appel d’offre (critères qui ont vu l’éviction du Hawk de BAE et du Scorpion de Textron), le Model 400 a été conçu sur mesure pour l’appel d’offre T-X. Nul doute que les ingénieurs de Scaled Composite ont dû prévoir une marge confortable en cas de nouvelle évolution à la hausse du cahier des charges qui, cette fois-ci, pourrait être fatale au T-100.
Initialement, Northrop avait fait alliance avec BAE Systems et Rolls Royce pour pouvoir proposer la solution LIFT du constructeur britannique, basée sur le Hawk T2. Une alliance qui, à l’époque, avait surpris nombre d’analystes et de commentateurs, le Hawk étant construit et commercialisé dans sa version navale par Boeing. Cependant, contrairement au M-346 italien, le Hawk britannique ne satisfaisait pas les critères de base du T-X, notamment en matière de maniabilité sous fort angle d’attaque et de manœuvres continues sous facteur de charge élevé. Northrop a donc développé, dans le plus grand secret, un tout nouvel appareil, le Model 400. Malgré l’éviction du Hawk, BAE Systems reste fortement impliqué dans le programme, puisque c’est la division américaine de la multinationale britannique qui fournira une grande partie des systèmes propres au LIFT : simulateurs, émulateurs, réalité virtuelle, liaisons de données et outils de retranscription post-vol. De quoi offrir un package complet, cohérent et performant à l’USAF.
On notera tout de même que le Model 400 est clairement un prototype, et apparaît comme la solution la plus expérimentale de la compétition. Scaled Composite est réputé pour ses solutions originales et ses techniques de prototypage économiques et performantes. Si cela a permis à Northrop Grumman de concevoir et construire rapidement et à peu de frais un tout nouvel appareil après l’éviction du Hawk T2, le N400NT est sans doute assez différent de ce que serait un appareil industrialisé en série. Peut-être pire encore, en raison du calendrier de conception serré, le Model 400 reprend beaucoup de l’héritage du T-38. Une manière de rappeler l’expérience de la société dans les appareils d’entrainement supersoniques, de miser sur la fiabilité et de réduire les risques. Mais il pourrait manquer au Model 400 la petite « touche en plus », non requise par l’appel d’offre, mais qui ferait clairement glisser l’appareil dans la catégorie « 5ème génération » qui plait tant aux décideurs de l’USAF, et sur laquelle semblent miser Lockheed Martin et, surtout, Boeing.
En somme, le Model 400 est une cellule développée sur mesure pour l’appel d’offre, mais représente peut-être l’offre la plus banale du lot, malgré son indéniable nouveauté. Il s’agit clairement d’une évolution radicale de la famille T-38/F-5, mais pas d’une rupture conceptuelle franche capable de convaincre par ses qualités propres. Reste à voir les détails de l’offre des équipementiers BAE Systems et L3, intégrés à l’équipe Northrop, mais surtout le tarif associé à cette nouvelle cellule. Si le Model 400 peut faire la différence, ce sera clairement sur ce dernier point, le classicisme conceptuel rimant généralement avec une bien meilleure maîtrise des coûts.
Boeing/SAAB T-X
Le design le plus attendu était finalement celui de Boeing, en grande partie grâce à l’excellente maitrise de la communication du géant américain. Le 22 août, quelques jours seulement après que le Northrop Model 400 ait fait sa première apparition publique, Boeing a dévoilé quelques images partielles de son T-X, avant de présenter le premier appareil au public le 13 septembre.
La proposition de Boeing présente un design radicalement novateur qui a ravis la plupart des observateurs, sans doute un peu trop habitués à voir des designs connus dans cette compétition. Si l’appareil final n’est pas aussi exotique que certaines vues d’artistes de Boeing le laissaient suggérer (montrant notamment un appareil avec un empennage papillon), il n’est pas non plus aussi classique que ce que l’on aurait été en droit de croire étant donnée la genèse du projet.
En effet, le constructeur américain a annoncé dès la fin de l’année 2013 une alliance avec le groupe suédois SAAB pour sa participation au T-X. Pour la plupart des analystes, cela signifiait que le T-X de Boeing allait être une version simplifiée et considérablement allégée du SAAB Gripen, afin d’aligner un concurrent direct au T-50A de Lockheed Martin.
Mais à la place d’un appareil monodérive à voilure delta et plans canards, c’est un appareil totalement nouveau qui a été dévoilé, compact, bidérive, doté d’une voilure haute à dièdre légèrement négatif, de gouvernes horizontales au dièdre nettement plus prononcé et d’un très large cockpit positionné très en avant, afin d’offrir un champ de vision dégagé dans toues les directions. L’appareil est doté, comme le T-50A et le Gripen, d’un réacteur F404 à post-combustion, mais c’est bien là la seule ressemblance visible qu’il partage avec le petit chasseur suédois. Si l’on devait trouver un lien de parenté quelconque à ce nouveau venu, ses LERX imposant rappelleraient sans doute la famille Hornet et Super Hornet de Boeing, même si la comparaison ne survivrait pas à une étude détaillée du design.
Ce nouveau design dénote une grande ambition industrielle de la part de Boeing. Plutôt que de développer son nouvel appareil à partir d’une cellule déjà connue ou d’un design déjà en partie maitrisé, Boeing est le seul avionneur de la compétition à être complètement parti d’une feuille blanche pour concevoir son offre. Mieux encore, le T-X de Boeing n’a pas été conçu comme un prototype, mais comme un avion de présérie, un deuxième exemplaire étant déjà en fabrication sur ce que Boeing qualifie de chaîne d’assemblage, évoquant ainsi la possibilité de lancer l’industrialisation de son appareil très rapidement. La firme de Saint Louis est donc sûre de son design et de ses choix tant conceptuels qu’industriels. Si SAAB n’a semble-t-il pas offert le design de l’avion sur un plateau d’argent, nul doute que Boeing a utilisé l’expertise du groupe suédois dans la conception structurelle des cellules de petite taille et dans l’industrialisation rapide et à bas coût de cellules de hautes performances. Un domaine où les avionneurs européens, particulièrement les Français et les Suédois, restent bien plus concurrentiels que leurs équivalents américains, même s’il est très rare de voir un grand groupe tel que Boeing le reconnaître de la sorte.
Comme Northrop, Boeing a conçu son candidat en prenant en compte dès le départ les spécifications du programme T-X, et il ne fait aucun doute que leur offre répondra haut la main à tous les critères exigés. Mais, contrairement au design de Scaled Composite, l’appareil conçu par Boeing et SAAB ne compte pas respecter ces critères à minima. Avec sa double dérive légèrement inclinée, sa voilure haute à dièdre négatif, ses LERX, son réacteur doté de post-combustion et son très large champ de vision, le T-X de Boeing vise une excellente manœuvrabilité sous fort facteur de charge, dans toutes les plages de vitesse et d’altitude, et une excellente aptitude au combat aérien en règle générale. Ses entrées d’air ne sont pas aussi complexes que celles d’un Gripen, le T-X n’ayant pas besoin d’atteindre les mêmes vitesses qu’un intercepteur léger, mais elles semblent tout de même représenter un excellent compromis entre vitesse (sans doute légèrement supersonique) et manœuvrabilité sous fort facteur de charge. Cet appareil est clairement conçu pour simuler au mieux les chasseurs de 5ème, voire même de 6ème génération. A l’instar du Model 400 de Northrop, peu de détails ont fuités sur sa capacité secondaire au combat, même si l’avion est équipé en série d’un réceptacle de ravitaillement en vol pleinement intégré à la cellule et que, en toute logique, il sera équipé de points d’emport externes.
Pour Boeing, il s’agit clairement de concurrencer non seulement le T-50A, mais aussi toute version armée que Lockheed Martin pourrait vouloir proposer sur le marché de l’exportation. Un positionnement haut de gamme qui va sans doute éloigner Boeing des offres commerciales meilleur marché de Raytheon et, probablement, Northrop Grumman, qui reposent sur des avions sans post-combustion, et donc nettement plus économiques à l’emploi.
Néanmoins, l’alliance avec SAAB devrait permettre à ce nouveau design de viser un positionnement intermédiaire, nettement plus performant que le Model 400 ou le T-100, mais plus économique à long terme que le T-50A. En effet, l’avionneur suédois est particulièrement réputé pour la facilité de maintenance de ses appareils, et le T-X de Boeing ne semble pas sortir du lot, bien au contraire. Si l’appareil présenté est bien similaire aux futurs avions de série, alors le T-X de Boeing sera doté de larges trappes facilitant l’entretien de l’appareil et de ses sous-systèmes électroniques. Un point particulièrement sensible lorsque l’on sait à quel point les LIFT de la prochaine génération reposeront essentiellement sur leurs capacités embarquées de simulation et de communication. Reste à savoir si les économies de maintenance permettront de compenser le coût sans doute élevé d’un design aussi novateur. La présence de SAAB dans le consortium aurait tendance à rassurer sur ce point, Boeing n’étant pas réputé pour sa capacité à maintenir des coûts bas, même sur des designs déjà maitrisés (Le P-8 Poseidon, dérivé du Boeing 737 civil, coûte ainsi plus cher que le P-1 japonais conçu spécifiquement pour un usage similaire.)
Il s’agit donc du design à la fois le plus novateur, le plus ambitieux et peut-être bien le plus performant de la compétition. Sur le papier, c’est sans aucun doute la proposition qui correspond le mieux à l’entrainement des pilotes d’avions de 5ème génération.
Est-ce donc là le vainqueur probable de la compétition ? Peut-être bien, mais tout dépendra du positionnement de l’USAF et du Pentagone.
Conclusion
Tout comme le T-50A de Lockheed Martin, le T-X de Boeing est une solution très performante mais lourde et sans doute plus coûteuse, à long terme, que celles de Raytheon ou Northrop Grumman. Les deux géants américains ont les moyens de voir bien au-delà du seul concours T-X, et cherchent à proposer au Pentagone un avion d’entrainement capable d’être dérivé en avion de combat léger et performant pouvant être proposé aux alliés des États-Unis.
Lockheed Martin s’appuie sur une solution lourde, sans doute la mieux taillée pour le combat de tous les candidats au T-X, et le constructeur ne s’en cache pas. Raytheon et Northrop Grumman visent clairement l’offre la plus économique, chacun disposant d’énormes atouts dans la partie « systèmes » du contrat bien plus que dans l’aspect « cellule ». Boeing, de son côté, vise très probablement une position intermédiaire, même si les détails manquent sur les offres de Boeing et de Northrop pour procéder à une analyse plus détaillée.
Le Pentagone et le Département d’Etat auront sans aucun doute envie de voir les USA se doter d’une solution performante, prête à être exportée. L’USAF, de son côté, doit jongler avec un budget rogné par le coûteux F-35 et pourrait bien être tentée par l’offre la plus économique. En se positionnant entre un T-50A qui tient plus du chasseur léger et un T-100 clairement dévolu à l’entrainement avancé, le T-X de Boeing pourrait bien avoir trouvé la recette du compromis entre les besoins d’économie du contribuable américain et les ambitions diplomatiques et commerciales du département d’Etat.
D’autant plus que des considérations bien plus politiques et stratégiques pourraient entrer en ligne de compte. Lockheed Martin produit le F-35 pour les trois forces aériennes des USA, tandis que Northrop Grumman développe le futur bombardier lourd de l’USAF. Boeing, de son côté, doit lutter année après année pour que l’US Navy continue à acheter quelques poignées de Super Hornet. D’ici à ce que le concours T-X s’achève, il se pourrait bien que les chaînes d’assemblage du F-15 et du Super Hornet soient fermées ou en passe de l’être. Décerner le contrat T-X à Boeing permettrait au constructeur de Saint Louis de maintenir ses compétences dans le domaine des chasseurs, même s’il ne s’agirait là que d’un chasseur léger dérivé d’un avion d’entrainement.
Ce qui explique sans doute l’investissement consentit par Boeing dans ce programme, son avion étant d’ailleurs le seul à être désigné tout simplement “T-X”.
3 Comments
James
Merci Yannick pour ce travail impeccable comme d’habitude
Ce n’est pas tous les jours qu’on change d’avion d’entraînement avancé! Le résultat de cette compétition va peut-être éclaircir le paysage des avionneurs militaires US, renforcement de LM ou rééquilibrage grâce à Boeing ?
Merci
pyrignis
Bonjour,
Deux très bon articles cette semaine!
Je me demandais ce qu’il en est du remplacement des alphajets Français. A quelle échéance un renouvellement est-il le plus probable? Un design Français est-il probable/souhaitable? Un tel avion d’entraînement serait-il combinable avec un design adapté au soutien aérien rapproché (rôle pour lequel le rafale est probablement le moins adapté).
Simon
Bonjour,
très bon article, en effet. Dommage que l’activité du site a ralentie ces derniers mois.
Côté français, on s’oriente vers un remplacement des Alphajet de Tours par PC-21 voire des M-345 aussi dans cette idée de se former au pilotage et à la maîtrise de l’environnement électronique en attendant peut-être le M-346 pour la transformation opérationnelle.
Un projet français ne semble pas en cours, les concurrents sont abondants et le marché relativement limité.
Un article sur la considération et la gestion des projets de Breguet lors de l’intégration par Dassault serait d’ailleurs intéressant.