Troisième épisode de notre « Saga Dirigeable ». Après vous avoir retracé les plus de deux siècles d’histoire du dirigeable, et vous avoir livré les secrets de son fonctionnement, nous allons désormais vous détailler quelles sont les forces et faiblesses des dirigeables et tâcher de vous faire comprendre pourquoi et comment cet aérostat mérite sa place parmi la grande famille des aéronefs.
Tout d’abord, il est important de revenir rapidement sur l’histoire du dirigeable. La question est la suivante : pourquoi ne voit-on plus de dirigeables dans nos cieux aujourd’hui ? Ils régnaient pourtant en maîtres pendant l’entre-deux-guerres, alors que les plus-lourd-que-l’air n’en étaient qu’aux balbutiements. Les réponses qui viennent directement à l’esprit sont : « parce que c’est dangereux ! », « parce que ça va moins vite qu’un avion », ou encore « il n’y a aucun marché pour ces aéronefs ». D’où viennent ces idées ? Prenons le temps de les analyser:
Le dirigeable est-il dangereux ?
Le sentiment de danger associé aux dirigeables s’explique simplement et entièrement par le crash de l’Hindenburg en 1937, qui a durablement marqué les esprits. Cet accident fut en effet le premier évènement dramatique médiatisé au monde, ce qui choqua l’opinion publique, qui n’était pas habituée à de telles images. Vous pouvez d’ailleurs retrouver la vidéo du crash sur YouTube. Cette vidéo impressionnante inspire peur et méfiance, ce qui explique en partie la quasi disparition des dirigeables. Cependant, il est important de noter qu’une grande partie des accidents de dirigeables implique un gaz porteur en particulier : l’hydrogène, très inflammable lorsqu’il est mélangé à de l’oxygène. Aujourd’hui, les fabricants de dirigeables utilisent l’hélium, plus cher, non recyclable, moins porteur, mais totalement inerte. Aucune crainte à avoir quant aux risques d’incendies donc. Cependant, d’autre risques existent, tels que la grande sensibilité aux conditions météorologiques, en particulier au vent, mais aussi la fuite du gaz porteur, la déchirure des textiles, la manœuvrabilité des dirigeables au sol comme en vol… bref, un sentiment d’instabilité et de fragilité est associé au dirigeable. A tort.
Nous consacrerons un article entier sur la sécurité des dirigeables et nous démystifierons le crash de l’Hindenburg, ainsi que la dangerosité des dirigeables en général.
Le dirigeable est-il compétitif par rapport aux autres aéronefs ?
Il faut admettre que, comparativement aux autres aéronefs à usages commerciaux (avions, hélicoptères), les dirigeables ne disposent pas des mêmes performances : en moyenne, un dirigeable vole à 100km/h (54kts) et dépasse rarement les 3000m (9900ft) d’altitude. Cependant, il dispose de capacités d’emport et d’un rayon d’action (on parle plutôt d’endurance pour un dirigeable) nettement supérieurs. En effet, à titre de comparaison, le ZPG-2W détient le record d’endurance d’un vol avec 11 jours et plus de 15000 km au compteur (et dans les années 60 !). Certains projets actuels n’hésitent d’ailleurs pas à avancer des durées de vols en semaines… La compétitivité du dirigeable est réelle dans certains secteurs de l’aviation générale et commerciale.
Le dirigeable répond-t-il à un ou des marchés existants ?
Les marchés avancés pour les dirigeables sont nombreux (vols touristiques, surveillance, prise de vue aérienne, publicité, transports publics, transports de charges lourdes, croisières de luxe, télécommunications), mais aucun jusqu’ici n’a réussi à faire émerger un réel profit. Il est important de noter que des dirigeables répondant à certains de ces besoins existent et volent de manière régulière mais restent très peu nombreux. On parle plutôt de marchés de niche, telles que la publicité, les vols touristiques, la prise de vue aérienne et la surveillance. Cependant, ces applications ne représentant que de faibles charges utiles (de l’ordre de la tonne), les dirigeables de petites tailles (des souples ou semi-rigides) sont en concurrence directe avec les hélicoptères, les avions et même les drones multi rotors ou à voilure fixe.
Aujourd’hui, la tendance est à l’ouverture de nouveaux marchés, sur lesquels le dirigeable supplante la concurrence des hélicoptères, des avions, des satellites et voire même des moyens de transports terrestres et maritimes.
Faiblesses et limites
En effet, aucun marché ne s’est révélé suffisamment profitable pour refaire voler durablement les dirigeables, ce qui peut s’expliquer entre autres par les limites opérationnelles de l’aéronef :
L’opérabilité des dirigeables est effectivement très faible, avec une disponibilité équivalente à celle des hélicoptères. Cela s’explique par la taille des dirigeables, qui engendre une grande prise aux vents et une grande sensibilité au facteur météorologique de manière générale. Néanmoins, il est à noter que les projets actuels s’efforcent d’attribuer de plus grandes puissances propulsives aux dirigeables qu’auparavant afin d’accroitre leur disponibilité tout en palliant la problématique de manœuvrabilité.
D’autre part, bien que les dirigeables n’aient pas tous besoin de pistes de décollage et d’atterrissage, les infrastructures au sol demeurent l’une des grandes limites des dirigeables. En effet, historiquement les dirigeables nécessitaient tous un hangar au point de départ et d’arrivée, ainsi qu’un personnel très nombreux pour réceptionner et guider le dirigeable au sol. Aujourd’hui, la plupart des projets évoquent le « zéro infrastructure sol » afin de réduire drastiquement les coûts opérationnels tout en augmentant le champ opérationnel. Ainsi, les plus petits dirigeables sont stockés en extérieur en étant amarrés par le nez à des mâts. L’amarrage nécessite tout de même l’aide d’une à plusieurs personnes au sol et la veille permanente sur le dirigeable reste un impératif. Tout de même, les infrastructures et les procédures au sol restent un point bloquant dans le développement des dirigeables de par les coûts récurrents et non récurrents qu’elles représentent. Les coûts globaux d’exploitation des dirigeables sont directement impactés par ceux des infrastructures et des équipes au sol, plombant littéralement la compétitivité des dirigeables par rapport aux autres aéronefs et moyens de transports.
Aujourd’hui, la tendance est à l’optimisation voire à la suppression des infrastructures mais surtout des équipes au sol afin de limiter les coûts récurrents d’exploitation des dirigeables.
Enfin, l’une des plus grandes limites à la renaissance des dirigeables est d’ordre sociétal : l’image du dirigeable est véritablement la clé du renouveau de cet aéronef. Aujourd’hui, et près de 80 ans après le crash de l’Hindenburg, le dirigeable fait toujours peur. Si bien que les investisseurs, les donneurs d’ordres aéronautiques, les autorités et les pouvoirs publics ne s’y risquent plus ; bien qu’auprès du grand public le dirigeable soit tout autant porteur de rêves. Aujourd’hui, il parait plus que judicieux de tourner la page et de voir dans les dirigeables un aéronef sûr, avec des atouts incontestables et une réponse aux besoins actuels et futurs de notre société.
Avantages et utilisations
Car globalement, les dirigeables possèdent un avantage incontestable par rapport aux autres aéronefs et aux autres moyens de transports existants : ils disposent d’une endurance théoriquement illimitée. Cette endurance tant recherchée dans certains domaines et pour certains marchés pourrait bien bousculer les règles de la perception du temps dans le milieu aéronautique. La notion du vol très longue endurance n’est en effet pas la même pour les plus lourds que l’air (avion, hélicoptères) que pour les dirigeables. Cet avantage trouve un intérêt particulier pour des missions de surveillances ou de transports sur de longs trajets, par exemple.
De plus, l’endurance de vol est très liée à la vitesse de croisière, qui peut paraitre très peu compétitive pour les dirigeables mais qui est au contraire un avantage pour certaines applications.
La recherche de la vitesse est-elle nécessairement un but ? La réponse est bien évidemment non pour de nombreuses applications telles que la croisière, les vols touristiques ou encore la surveillance. Imaginez-vous un instant en train de vous promener cheveux aux vents à 150m au-dessus de la forêt amazonienne dans un dirigeable grand confort offrant tous les services de la croisière maritime et bien plus encore. La lenteur n’est pas une tare mais bien sans conteste un avantage considérable du dirigeable par rapport à tous les autres aéronefs.
D’autre part, poussée à l’extrême, cette lenteur est synonyme de vol stationnaire, très apprécié pour le chargement et le déchargement de charges en milieu exempt de toutes infrastructures par exemple.
Autre avantage, l’indépendance du dirigeable vis-à-vis des infrastructures au sol. Car, dès lors que le dirigeable est capable d’exécuter une mission sans nécessiter d’infrastructures au sol, ses champs d’applications sont sans limite. Cela est d’autant plus vrai que la logistique de transport actuelle fait appel à plusieurs moyens de transports différents (routiers, ferroviaires, maritimes, aériens) dépendants tous d’infrastructures lourdes (routes, chemin de fer, ports en eaux profondes, aéroports), là où un dirigeable est capable de transporter d’un point A à un point B, en un seul voyage et sans interruption une charge équivalente. La recherche du « Zéro infrastructure sol » est ainsi un axe prioritaire pour l’ensemble des projets actuels de dirigeables.
Enfin, le dirigeable dispose d’une très faible empreinte environnementale.
En effet, la portance étant assurée par un gaz, les besoins en énergies sont très faibles comparativement aux autres moyens de transports actuels. Il est cependant vrai que l’hélium, principal gaz porteur utilisé à ce jour, n’est pas recyclable. Cependant, il n’est pas pour autant consommé ! On considère qu’avec les technologies textiles existantes à ce jour, les fuites de gaz dans un dirigeable ne représentent pas plus de 5% du volume total par an.
Concernant la propulsion, bien que de tels aéronefs disposent de surfaces frontales conséquentes engendrant une résistance à l’air importante, ils ne nécessitent pas pour autant de puissances propulsives exorbitantes. Les besoins en énergies embarquées et par conséquent les rejets néfastes pour l’environnement sont donc faibles. D’autre part, de plus en plus de projets envisagent des motorisations électriques alimentées par des panneaux photovoltaïques disposés sur le dos des dirigeables.
Finalement, le dirigeable dispose d’atouts incontestables face à la concurrence directe et indirecte sur des marchés établis. Mais il est surtout à l’avant-garde de marchés naissants, dans lesquels ses faiblesses deviennent de véritables forces, lui assurant une formidable croissance dans les années à venir.
Dans le prochain épisode « Les dirigeables en 2015 », nous établirons une photographie à date du monde du dirigeable en répondant aux questions « qui vole et qui construit des dirigeables, quels sont les projets les plus prometteurs, et quels sont les enjeux actuels ? »
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Thibault Proux
4 Comments
Montaudran
J’ai quelque petites question et remarque.
– Il me semble avoir lu que l’hydrogène n’a pas été à l’origine de la perte de l’Hindenburg mais que l’inflammabilité était inhérente l’entoilage d’alors.
– Il me semble que plus encore que l’inflammabilité c’était la tenue aux vents et aléas météorologiques qui on fait tombé le plus de grand dirigeable, ainsi le naufrage de l’Akron et du Macon et la mise en chandelle du Los Angeles. Comme vous l’avez écrit les dirigeables sont trop lent pour échapper à une tempête et ne peut passer dessus. Des solutions efficaces ont elles émergées.
Thibault PROUX
Bonjour Montaudran, merci de cette remarque sur l’Hindenburg.
Ce crash fait l’objet de beaucoup de spéculations et de théories depuis de nombreuses années. Comme tous les crashs, la cause n’est pas unique.
En ce qui concerne l’Hindenburg, les conditions climatiques (perturbation orageuse sur Lakehurst qui aurait chargé le dirigeable d’électricité statique, à la source du départ de l’incendie), des défaillances structurelles (utilisation de l’hydrogène plutôt que de l’hélium alors que l’Hindenburg était conçu pour des efforts de gaz de l’ordre de ceux de l’hélium) et des erreurs humaines (choix d’une approche acrobatique et aux limites structurelles du dirigeable) sont les principales causes évoquées par l’enquête de l’époque et la version officielle de Zeppelin jusqu’à aujourd’hui. Ces enquêtes repoussent d’ailleurs la thèse du sabotage ainsi que l’inflammabilité de l’entoilage.
Ce qui est certain c’est que si l’Hindenburg avait été gonflé à l’hélium et non à l’hydrogène, l’incendie ne se serait pas propagé aussi rapidement (voire pas du tout) et le crash aurait été moins meurtrier.
En ce qui concerne les crashs des USS Macon et Akron et la mise en chandelle du Los Angeles, là encore une multitude de facteurs en sont à l’origine. Mais en règle générale, vous avez raison, la sensibilité aux conditions météorologiques est la cause commune à presque tous les crashs, dans des proportions différentes néanmoins selon les époques et les types de dirigeables.
Je reviendrai en détails sur les accidents de dirigeables dans un prochain article et je vous détaillerai les principales causes de crashs.
Et pour répondre à votre dernière question, oui des solutions efficaces existent ou sont en cours de développement pour palier aux aléas climatiques. J’y reviendrai aussi dans un prochain article.
Stay tuned !
Thibault
Montaudran
Question subsidiaire:
Quid du prix de l’helium ? l’hydrogène est me semble t’il simple à produire par électrolyse de l’eau mais l’hélium c’est une toute autre histoire.Si les dirigeables retrouvaient une utilité saurions nous produire suffisamment de ce gaz rare ? et si oui à quel prix ?
Cordialement
Thibault PROUX
Bonjour Montaudran, une fois encore, merci de cette question pertinente. Des éléments de réponses :
– L’hydrogène est en effet très compétitif par rapport à l’hélium (prix, plus grande portance, recyclable),
– L’hélium n’est pas si rare que les industriels du gaz le laissent penser,
– On est aujourd’hui capable d’utiliser l’hydrogène comme gaz porteur de manière complètement sécurisée (Cf. la coupe Gordon Bennett),
– L’aérostation ne représentera toujours qu’un très faible pourcentage des besoins en gaz par rapport aux autres secteurs qui en consomment, notamment pour l’hélium (secteurs nucléaires, médical,…).
Encore une fois, je suis actuellement en train de préparer un article dédié entièrement à ces questions, et qui devrait être publié courant septembre.
Thibault