A peine un mois après l’accident tragique de Séville, la présence de l’A400M se voulait avant tout rassurante pour Airbus Defense & Space.
L’enquête est en cours, mais la cause de l’accident semble bien identifié, comme nous l’expliquera notre interlocuteur. En attendant, l’Atlas se montre, nous a dévoilé ses entrailles et laisse entrevoir une partie de ses impressionnantes capacités. Bienvenue dans le transport du 21e siècle, signé Airbus.
Nous avons commencé par un tour extérieur de l’avion. Premier constat, c’est grand ! Bon, nous avions visité l’A380 juste avant, nous sommes un peu moins impressionnés. Le CN295, resté à proximité, nous rappelle qu’il faut quand même rester modeste face à l’engin. Les moteurs, et plus particulièrement le dessin complexe des hélices, mais surtout leur taille, dégagent une impression de puissance qui force le respect.
Visitons maintenant l’intérieur de l’avion, et profitons de l’air frais pour discuter avec le chargé de communication qui nous accompagne. Nous accédons à l’avion par la large rampe arrière; le discours de notre interlocuteur est bien rôdé, sans trop de langue de bois. Nous sentons que nous pourrons poser les questions que nous souhaitons, et les réponses sont franches, ce qui tranche avec le style habituel de certains chargés de communication, qui font une inspection pré-vol de leur langue avant que chaque son ne sorte de leur bouche…
L’accident.
La question du crash est pratiquement tout de suite abordée, puisqu’elle est d’actualité. Concernant son aspect technique, notre interlocuteur nous explique que c’est bien le mauvais chargement du logiciel de l’ECU (Engine Control Unit) qui a provoqué l’accident, et que comme dans la grande majorité des accidents aériens (si ce n’est pas tous), ce n’est pas lié à ce seul facteur, mais à un enchaînement de dysfonctionnements et de malchance ayant conduit à la catastrophe. Premièrement, il convient de comprendre comment, et pourquoi ces logiciels ont mal été chargés, et comment se fait-il que les processus de contrôle qualité ne les aient pas remarqué avant. Comme il s’agissait d’un vol d’essai relativement banal à ce niveau-là, un point fixe complet, avec tests des moteurs à des régimes différents, n’a pas été effectué. Si cela avait été le cas, le problème aurait été identifié au sol. Ensuite, pendant le vol, le logiciel embarqué du FADEC (Full Authority Digital Engine Control) de trois des quatre moteurs a détecté une anomalie. Il est alors passés en mode dégradé, et la commande des gaz ne fonctionnait plus que selon un principe de sécurité, écrit en dur dans le logiciel: les moteurs restaient soit dans leur régime constant, soit plein réduit, mais le régime ne pourrait plus être régulé par le pilote. Et c’est ce qui s’est produit: en pleine montée, les pilotes ont tenté de reprendre le contrôle de la puissance moteur, mais en les passant au ralenti, le problème s’est, de fait, aggravé. Peu de temps avant de récupérer le contrôle (tout s’est déroulé en quelques dizaines de secondes, 4 minutes grand maximum), les pilotes ont identifié un champ pour se poser en urgence. L’Atlas étant prévu pour atterrir sur des terrains sommaires, cette manœuvre d’urgence avait de fortes chances de bien se dérouler, sachant qu’en plus, l’avion était très léger. Malheureusement, le destin en aura décidé autrement, et la présence d’une ligne haute tension aura achevé de donner à cette histoire un ton dramatique.
La vie continue
Affectés par cet accident, les employés d’Airbus, particulièrement ceux travaillant sur le site de Séville en Espagne, lieu où l’assemblage final est réalisé, continuent malgré tout le travail. Certainement qu’une partie de l’accident est lié à la pression qui repose sur le groupe Airbus, sous le feu des projecteurs, après les révélations ennuyeuses concernant la gestion industrielle du programme. En effet, la montée en cadence de l’A400M est moins rapide que prévu, et c’est toute la chaîne de production qui est sous tension. Mais les vols d’essai, et les livraisons ont repris. L’Armée de l’Air française vient d’ailleurs de recevoir son septième appareil, il y a quelques jours seulement.
Capacités non encore atteintes.
Autres soucis révélés dans la presse, l’incapacité de l’A400M à ravitailler les hélicoptères de l’Armée de l’Air, et l’incompatibilité avec les parachutes en dotation dans l’armée de terre. Concernant le premier problème, c’est le flux généré par les énormes hélices qui en est la principale cause. Bien que l’A400M possède une capacité de vol lente le rendant compatible avec un vol en formation avec des hélicoptères, les turbulences générées par les TP400 sont trop importantes pour un hélicoptère ne disposant pas assez de puissance, dont le Caracal, qui risquerait également, en forçant son allure, et avec son système de rotor inclinable, de couper le bout de sa perche de ravitaillement. Ennuyeux… Airbus Defense & Space réfléchit donc, dans le cadre de la mise en place d’un futur standard, à changer le type de panier, afin qu’il se place plus bas, en dessous des turbulences.
Pour ce qui concerne les parachutistes, ils sautent normalement par les deux portes latérales arrière de l’avion, simultanément. Le but étant que les 116 parachutistes soient largués le plus rapidement possible, sans quoi ils seraient éparpillés sur une distance de plusieurs kilomètres! Et ce largage simultané n’est évidemment pas possible par la rampe arrière en automatique. Mais quel est donc ce problème de parachute ? En réalité, c’est malheureusement bien simple: les systèmes d’ouverture des parachutes sont accrochés à une sangle d’ouverture automatique (SOA). Quand le courageux soldat saute, la sangle accrochée se tend, et lorsque sa longueur maximale est atteinte, elle extrait le parachute de son sac. Le problème est que cette sangle est trop courte en regard de la distance qui sépare les portes arrière du bout du fuselage. Le parachute s’ouvre alors en plein dans le flux des moteurs, encore eux, ce qui a un effet très malheureux sur le parachute, et la trajectoire de celui qui y est accroché… Il faut donc changer de modèle de parachutes, et l’Armée de Terre grince des dents, elle qui a récemment fait remplacer tous ses parachutes.
Une évolution proche de la révolution
Une fois à l’intérieur de l’appareil, on hésite à parler de révolution… Quand on sait que l’Atlas va remplacer le C-160 Transall dans les armées françaises et allemandes, on ne peut s’empêcher de comparer. Et les différences sont réellement frappantes ! Ici, pas, ou très peu, de surfaces capitonnées. Les parois internes de l’avion sont cloisonnées à la façon de ce que nous pouvons voir dans les avions civils. Mais le volume est tellement important que l’on ne s’aperçoit pas réellement que nous sommes dans un cylindre. On se croirait plutôt dans un module d’une station spatiale. La seconde chose qui frappe, c’est la hauteur impressionnante de la soute. Du coup, on a l’impression qu’en rapport, la soute est courte. Urinoirs à l’arrière de l’avion, et deux W.C. aux normes civiles à l’avant. Les dames apprécieront. Les banquettes individuelles repliées le long des parois sont également bien plus confortables que celles, en tissus, des Casa ou C-160, avec cette barre de fer qui, suivant certaines positions, pouvait s’avérer être un vrai cauchemar, car placée sous les genoux. Les vols longs vont donc gagner en confort; mais tout est relatif, on est loin d’un vol en première classe dans l’A380 de Qatar Airways qui jouxte l’avion. Mais pour un appareil de transport militaire, on peut dire que nous avons affaire à une sorte de summum du confort ! N’ayant encore jamais eu l’occasion de faire un vol à bord de cet appareil, notre guide nous assure qu’il est extrêmement silencieux; toute proportion gardée, et c’est bien sûr à la mesure de ce que nous connaissons aujourd’hui. En fait, il est possible de parler dans l’avion sans crier dans l’oreille de son voisin.
Vers l’infini, et au-delà…
Au niveau de ses capacités, l’Atlas fait faire à l’Armée de l’Air un bon en avant spectaculaire. Cela s’en ressent en discutant avec les équipages. Nous avons surtout souvenir d’une pilote de Transall qui n’était pas du tout pressée de passer sur ce nouvel appareil (“Mais… Que… Pourquoi ?!”). Une fois passée la raison du cœur qui fait qu’on s’attache forcément au premier appareil opérationnel qu’on pilote, l’A400M signe la fin d’une certaine forme d’aventure pour les équipages. “Autrefois”, nous disait-elle, “il nous fallait environ une semaine pour transporter du fret vers Djibouti par exemple. Nous transportions environs 5 tonnes de palettes de matériel divers, et nous faisions entre deux et trois étapes à l’aller, puis au retour. Nous voyions du pays!” Aujourd’hui, avec un unique A-400M, on peut prendre le quadruple de cette charge, soit 20t, et faire le trajet d’une seule traite. Non seulement la vitesse de croisière est 60% plus élevée, mais il n’y a plus besoin de s’arrêter en chemin. L’aller-retour peut être consommé dans la journée, alors qu’il aurait fallu 4 C-160 et trois ou quatre jours de voyage pour réaliser la même prouesse…
Un glouton
En moyenne, notre guide nous explique que chaque TP-400 consomme une tonne de carburant par heure. La consommation est à la mesure de ce que la bête est capable d’ingurgiter, comme la démonstration à laquelle nous avons pu assister, où l’Atlas a pu charger, en moins de cinq minutes, un VBCI (Véhicule Blindé de Combat d’Infanterie, pesant 18t à vide), puis de le décharger en une minute. La soute est également dimensionnée pour pouvoir embarquer l’hélicoptère tigre (d’où son importante hauteur), ou encore 116 parachutistes en ordre de combat. Et notre guide de surenchérir: “Avec l’A400M, nous aurions pu nous déployer beaucoup plus rapidement au Mali, sans avoir nécessairement besoin de nos alliés et de leurs moyens de transport”.
Un cockpit tout écran
Ici encore, pour les pilotes de transport, c’est une petite révolution qui se joue. C’est avec une certaine forme de standard de chez Airbus que le cockpit a été agencé. Alors même que le constructeur vante le peu de temps nécessaire à la qualification d’un pilote civil entre deux types de machines (une semaine en moyenne), nous aurions presque pu nous poser la question en ce qui concerne la requalification au civil des équipages de l’Atlas. Prévu pour s’intégrer dans le trafic civil, facilitant d’autant les trajets sur longues distances, en n’ayant pas besoin de déposer des plans de vol spécifiques associés à des dérogations diverses, l’exploitation de l’A400M permettra là aussi un gain d’efficacité non négligeable. Petite anecdote racontée par le pilote “Nous avons eu une dérogation de la part des autorités de certification civiles pour la présence d’un voyant lumineux rouge qui, pour le coup, n’est pas annonciateur de panne. C’est un indicateur des feux bicolores de la rampe de saut (vert & rouge), ne donnant pas l’autorisation aux paras de sauter.”
8 Comments
Georges
Très bel article avec de nouvelles infos et des images de qualités.
GA_U
Une petite remarque, non aéronautique ! le VBCI est dans la gamme des 28-32 tonnes, voir 35 t selon ses pleins et son nouveau sur-blindage, et non 18 t, ce qui fait un peu plus qu’un (très gros) VAB.
Dans la légende de votre 1ère photo, 80 t me semble être plutôt la masse à vide, et +/- 35 t la charge utile maximale.
Le VBCI est le véhicule le plus lourd, et le plus large, susceptible d’être emporté par l’Atlas, les chars étant trop lourds, 50 t et +. Ils ont été faits l’un pour l’autre en matière de dimension.
Sauf erreur, le VBCI a pour l’instant été testé comme entrant, et sortant (!), de l’Atlas, au sol uniquement, mais il n’a pas encore fait son baptéme de l’air “Atlas”, en raison d’un déséquilibre de poids entre les côtés gauche et droit du VBCI, en raison de la disposition de la tourelle et du moteur du blindé. En savez-vous plus ?
Bruno ETCHENIC
Je ne suis pas un spécialiste des blindés. Mais 28t c’est la masse en ordre de combat. Et 18t la masse à vide. Donc faudrait connaître plus précisément comment il est embarqué. Pour la masse indiquée, il s’agit d’une simple addition entre la charge utile max (37t) et le carburant max (50t), moins le kero nécessaire à la démonstration en vol.
François
J’apprends dans votre excellent article, comment AIRBUS compte résoudre le problème des ravitaillements hélico, ainsi que celui des largages de parachutistes par les portes latérales (on rallonge les sangles et les conduits, comme quoi les solutions les plus simples sont souvent les meilleures !)
Je suis vraiment curieux de savoir comment l’avionneur compte faire pour le transport des VBCI, qui pour l’heur n’est pas possible, la tourelles décentrée sur le côté déséquilibrant l’avion.
Votre interlocuteur a visiblement omis de vous en parler.
Le personnel naviguant va-t-il se placer dans la soute sur le côté opposer à la tourelle pour faire contrepoids durant le vol ?!
Plus sérieusement je vous serai reconnaissant si vous pouviez glaner une réponse au près du personnel d’AIRBUS.
Bruno ETCHENIC
En ce qui concerne la sangle d’extraction du parachute, ce n’est pas aussi simple que cela. L’agrandir va modifier considérablement l’aérodynamique du parachute, et aura d’autres effets néfastes, il faut donc faire de nouvelles études… Je ne suis pas un spécialiste en la matière, et j’ai omis de prendre des notes lorsqu’on me l’a expliqué. Concernant le décentrage des VBCI, nous n’avons pas abordé la question, car pour le moment, c’est une donnée qui est apparue après, et qui n’a, contrairement aux deux autres problèmes cités, pas soulevé l’ire de la DGA pour le moment. Le problème ne parait pas non plus insurmontable. Passé la (désagréable) surprise de cette découverte, il faut la relativiser. Premièrement, on est sur un engin qui pèse 18 tonnes, l’avion a encore de la marge. L’avion est de plus doté de commandes de vol électriques. De fait, en vol il peut compenser automatiquement une charge plus élevée d’un côté ou de l’autre. Seul problème, à faible vitesse comme au décollage ou à l’atterrissage, c’est un peu plus délicat. Il faudrait alors prendre plus de vitesse, et utiliser des pistes plus longues. Mais comme il est convenu qu’on ne déchargera jamais un VBCI dans la brousse… Autre solution que vous avez évoqué, celle de contrebalancer la masse, par une autre charge. Rajouter du poids n’est pas non plus la meilleure des solutions. Dans tous les cas, les performances, et surtout l’autonomie, en seront affectés lorsqu’un VBCI sera emporté.
A qui la faute ? Alors là… L’A400M a été développé dans l’optique de pouvoir aérotransporter le VBCI. Et le VBCI a été conçu dans ce même esprit. Les deux engins ont été en phase de conception à peu près en même temps. Sont-ce les cahiers des charges qui n’ont pas été respectés ou mal définis d’un côté comme de l’autre ? Un manque de concertation ? Aucune idée. Mais de mon très humble point de vue qui ne connait pas toutes les données du problème, cela me parait relativement mineur, et nul doute qu’une solution sera trouvée. Reste à savoir laquelle, et pour quel prix ?
Georges
Dans le WBCI 32 tonnes, 32 t c’est son ptac (poids total autorisé en charge) pas son poids à vide, donc pour le convoyer par avion il semble logique qu’il l’allège le plus possible.
Ben
Comme d’habitude, article excelent !!!
Pour rebondir sur le “couple” VBCI / A400M et sans etre un specialiste des blindes non plus : l’agencement des organes et/ou elements d’un blinde sont generalement realises dans le but d’offrir la meilleure survabilite possible de l’engin face aux menaces qu’ils pourrait etre amene a rencontrer. Il etait sans doute plus “facile” d’adapter l’A400 aux dimenssions du VBCI que de “modeler” l’architecture de ce dernier dans l’unique but de rendre l’aerotransport plus facile…
Si je me rappel bien (j avais du lire ca dans RAIDS a l epoque), les amercicains avaient egalement connus des desagrements avec la version MGS du Stryker : ce dernier devait etre debarasser de ses blindages additionnels et les reservoirs en partis vidanger pour permettre son aerotransport par Hercule… Mais au vu des retours d’experience sur le terrains, il erait hors de question de “simplifier” les Stryker dans le but de les rendre plus facilement projetables …
Tout ca c est de memoire, vous m’excusez si c est inexacte 😉
mich
Tres intéressant votre article ,avez vous aussi des infos sur les capacités d’atterrissage sommaire de cet avion ,car à l’heure ou des bruits courts sur l’achat de nouveau C130 ,est ce que l’ A400M est très éloigné de ce dernier ?merci