Une genèse bien complexe…En effet, le principe d’un drone MALE de conception Européenne n’est pas récent. Alors que le marché européen (et mondial) des drones est historiquement dominé par les productions américaines et israéliennes, l’industrie européenne accuse un retard de plus en plus marqué dans ce domaine, alors même que les besoins en drones MALE pour les armées de l’UE vont en s’accroissant.
Les industriels Européens, las de voir leurs concurrents américains et israéliens remporter les appels d’offre successifs, tentent depuis presque une décennie de proposer aux états des programmes d’UAV MALE viables et novateurs. En 2009 déjà, EADS avait présenté au Bourget le projet Talarion au design élaboré et ambitieux, mais qui fut abandonné avec une certaine amertume en 2012 devant l’absence de financements de la part des états partenaires, et ce malgré des partenariats tissés avec des industriels Turcs, Suédois et Italiens.
En 2013, un an après l’arrêt du Talarion et du Telemos et à la demande des industriels de l’aéronautique, un conseil européen dédié aux affaires de défense établit le principe du lancement d’un nouveau programme de drone MALE européen unique, sur un modèle de coopération se voulant ouvert à tous les participants qui le souhaiteraient. C’est à partir de cette date que les industriels concernés ont commencé à travailler sur ce programme, faisant plancher leurs bureaux d’étude sur la question tout en commençant à tisser entre eux les liens industriels nécessaires à une future collaboration.
En Mai 2014, Airbus, Dassault et Finmeccanica présentaient à leurs gouvernements respectifs une proposition pour le développement du nouveau drone, impliquant une Phase de Définition de 2 ans aussitôt suivie d’une Phase de Développement, le but étant de pouvoir bénéficier d’un système opérationnel dans la première moitié de la prochaine décennie.
Un an plus tard, il y a quelques jours, ce programme a finalement été acté par les états membres du projet, impliquant la France, l’Allemagne et l’Italie. Le programme se veut toutefois ouvert à d’autres participant, notamment la Pologne et l’Espagne.
Contrairement aux programmes Telemos et Talarion, le programme de drone MALE 2020 répond à une double initiative politique et industrielle. Même si le Talarion était initialement une réponse industrielle à une demande gouvernementale, il a impliqué de forts investissements de la part de l’industriel, et restait directement lié aux états membres d’EADS, indépendamment de leurs besoins réels, ce qui explique en partie le manque d’enthousiasme quand vint l’heure de passer commande. Le Telemos, quand à lui, restait un programme développé majoritairement sur fonds propres, anglais tout particulièrement.
Avec le MALE 2020, le développement de l’appareil sur plusieurs phases est aujourd’hui acté, ce qui devrait lui assurer une certaine stabilité dans le temps et lui éviter les déboires de ses prédécesseurs. Mais dans le même temps, le déroulement du programme et sa définition laisse une grande marge de manoeuvre aux industriels, évitant de sombrer dans les travers de bien des programmes aéronautique européen, comme l’A400M qui fait couler beaucoup d’encre dernièrement.
Par rapport aux précédents programmes, on notera que l’Italie intègre cette nouvelle mouture du projet de MALE européen, avec une implication directe d’Alenia Aermacchi, filiale aéronautique de Finmeccanica. Toutefois, le grand absent est indubitablement le britannique BAE qui travaillait pourtant avec Dassault Aviation sur le Telemos et dont l’implication au nouveau programme n’a été évoquée ni par les instances politiques, ni par les sources industrielles. Bien qu’impliqués dans un projet de drone d’attaque avec Dassault Aviation, le FCAS, les Britanniques semblent relativement frileux à l’idée d’intégrer des programmes multinationaux impliquant un trop grand nombre de partenaires, peut-être une conséquences des répétitives, difficiles et douloureuses redéfinitions des programmes Eurofighter et A400M, pour ne citer que les plus emblématiques.
Quel drone MALE en 2020 ?
Traditionnellement, un drone MALE est une catégorie de drones qui s’intercale entre les drones à usage tactique, souvent mis en oeuvre directement par les troupes au sol, parfois plus près des combat, et les drones HALE (Haute Altitude Longue Endurance) qui sont beaucoup plus lourds et dont l’utilisation dans la reconnaissance stratégique se rapproche plutôt de ce que pouvait faire les célèbres avions espions U-2 pendant la Guerre froide.
Intermédiaire, le drone MALE est ainsi un appareil de grande envergure, devant être mis en oeuvre depuis une base aérienne située à l’arrière du théâtre d’opération, mais qui va pouvoir intervenir dans un cadre tactique, c’est à dire dans la collecte de renseignements pouvant être utilisés en temps réel par les troupes alliées en contact avec l’ennemi. Son intérêt repose principalement dans sa longue endurance et son altitude de croisière: contrairement à un drone tactique, un MALE peut par exemple assurer la surveillance et la protection d’un convoi pendant une quinzaine d’heure tout en restant invisible à l’oeil nu, ne révélant donc pas la position du convoi en question.
Ils sont généralement équipés d’une antenne de communication par satellite mais aussi de moyens de communication directs avec les troupes au sol, permettant de leur transférer en temps réel les images obtenues avec leur boule optronique qui rassemble caméras et autres dispositifs de visualisation infrarouge. Cette boule est généralement équipé d’un désignateur laser, les drones français Harfang et Predator ayant ainsi été utilisés pour désigner des cibles au profit des patrouilleurs-bombardiers Atlantique 2 opérant au dessus du Sahel. Pour certaines missions, les MALE peuvent emporter un radar en plus ou à la place de la boule optronique.
Depuis plusieurs années, les Américains et les Israéliens ont commencé à équiper leurs drones MALE d’armements à guidage laser légers, permettant à leur drone de détruire eux-même les cibles qu’ils désignent sans attendre l’arrivée d’un bombardier ou d’un chasseur. Si l’armement des MALE est opérationnellement logique et rationnel, cette capacité fait toujours débat dans certains pays après que les Américains, les Israéliens et dans une moindre mesure les Britanniques aient fait appel à ces capacités au profit de leurs services secrets, dans des assassinats de cibles de haute valeur ayant fait de nombreuses victimes collatérales.
Mais en ce qui concerne le MALE 2020, les aspects techniques du futur drones restent encore à définir. Tout juste sait-on que la Phase de Définition devra justement clarifier les besoins des différentes forces armées utilisatrices, réduire les risque financiers et industriels, le tout dans “un processus d’échange et de compromis”. Concrètement, il s’agira de la phase la plus politique du programme. Si le calendrier proposé par les industriels est respecté, des propositions concrètes pourraient voir le jour au début des années 2020.
De plus, les vues publiées des différents avant-projets montrent des drones dotés d’une grande capacité d’emport, embarquant simultanément des systèmes optronique, ce qui ressemble à un radar multiusage et des systèmes d’écoute électronique. Des charges utiles que les drones MALE actuels ne peuvent pas mettre en oeuvre simultanément.
Un drone MALE attendu avec impatience
Quelle sera alors la viabilité du programme sur un si long terme ?D’une part, les besoins en moyens MALE et ISR pour la France, mais aussi pour l’Italie et dans une moindre mesure l’Allemagne sont immédiats, urgents et importants. La France a déjà du commander des drones Reaper (non armés) pour faire face aux opérations en cours en Afrique, et d’autres UCAV de construction américaine seront inévitablement livrés d’ici à 2025. L’Italie, déjà cliente du Reaper, a récemment commandé des drones Hammerhead pour des missions ISR et évoque déjà une version armée de cette appareil pour de futures commandes.
Quand le MALE 2020 entrera en service, la France et les autres partenaires seront déjà équipés de drones MALE certes plus anciens mais encore assez récents et toujours pertinents. Mais les besoins resteront forts, que ce soit pour des plate-formes de reconnaissance plus modernes, ou bien pour prendre le relai d’autres équipements que les MALE actuels ne peuvent réellement remplacer. On peut évoquer les avions de patrouille maritime, mais également certains appareils spécialisés dans l’écoute électronique, qui restent encore cantonnés à des plate-formes pilotées à l’heure actuelle.
Cependant, si ce MALE 2020 représente l’avenir de l’UAV MALE en Europe, on peut légitimement se poser la question de sa capacité d’armement, qui n’est pas évoquée pour l’instant et qui n’est pas sans soulever d’intenses débats politiques et opérationnels, du moins en France et en Allemagne.
Mais peut-on se passer de telles capacités, au moins potentielles, alors que l’on n’a aucune idée de la réalité des opérations militaires de 2025-2030 ?
Quels seront les avantages concrets d’un tel MALE 2020 par rapport à une cellule actuelle de Reaper ou même à son évolution Avenger qui intègre une soute pouvant embarquer aussi bien des armements que des équipements de mission?
Les vues présentées jusqu’à présent ne semblent rien montrer de bien spectaculaire en matière de design de la cellule. On notera tout de même, sur la vue d’artiste publiée avec le communiqué de presse, que l’accent semble mis sur les capacités ELINT-SIGINT intégrées à la cellule, tandis que le modèle présenté par Alenia Aermacchi il y a quelques jours était doté de lignes nettement furtives.
La dernière question, qui déterminera les performances de l’appareil en matière de vitesse de déploiement sur zone autant que de durée maximale des missions, est celle de la propulsion. Si le modèle proposé par Alenia Aermacchi est clairement équipé d’un (ou plusieurs) réacteurs, à l’instar du Talarion, le modèle présenté avec le communiqué de presse ne montre rien de sa propulsion. Aucune hélice apparente, pas d’entrée d’air pour un quelconque réacteur. L’étrange tuyère que l’on peut voir sur le projet de Dassault est en réalité un élément du support pour la maquette exposée dans les différents salon, mais sa présence ne fait que rajouter du mystère à tout ce projet. Gageons toutefois que le MALE 2020 sera équipé d’une propulsion conséquente, ne serait-ce que pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement de toute son électronique et ses senseurs embarqués.
La prudence s’impose
Si la bonne conduite du programme nEUROn, qui n’était qu’un démonstrateur technologique, laisserait présager le mieux pour ce MALE 2020, nous ne pouvons nous empêcher de rester circonspect à l’heure actuelle.
La Phase de Définition évoquée par les industriels va nécessiter l’élaboration de besoins communs par les pays membres du programme. A ce niveau, la question de l’armement de l’engin mais également les compromis en matière de performances de la cellule (autonomie, capacité d’emport etc.) et donc de propulsion seront autant de points à traiter tant au niveau politique qu’industriel. Notons toutefois que la proposition industrielle présentée il y a un an et validée aujourd’hui entérine un principe initié sur le programme nEUROn, à savoir que la répartition de la charge de travail et des domaines de compétence ne se ferait pas en fonction de critères politiques, mais bien sur des bases de compétences industrielles, ce qui permettra sans aucun doute d’éviter de nombreux retards et problèmes techniques rencontrés sur les programmes européens plus anciens.
On peut aussi s’interroger sur la viabilité d’un programme mené sur une aussi longue période, alors que le drone Talarion, regroupant les partenaires du MALE 2020 actuel ainsi que l’Espagne et la Turquie, développé presque exclusivement sur une initiative industrielle, serait déjà en train de réaliser ses essais en vol s’il avait pu trouver ses financements il y a 5 ans. En cela, le MALE 2020 apparaît comme la solution de la dernière chance pour que l’industrie européenne puisse espérer rattraper son retard sur ce segment de marché. Un nouveau fiasco contraindrait sans aucun doute les industriels européens à se rapprocher des solutions américaines et israéliennes, à moins que ce délai ne laisse le temps à certaines petites initiatives industrielles de faire leur chemin.
Si le MALE 2020 permet effectivement à l’Europe d’avoir une solution prête pour la prochaine génération de drones MALE, cela ne fait que mettre en avant l’échec de cette même collaboration européenne pour l’actuelle génération d’UAV qui, en attendant 2025, devront encore être achetés auprès d’industriels israéliens et américains qui ont définitivement de beaux jours devant eux, et tout le temps pour placer leurs pions (et leurs investissements) afin de se placer sur le créneau du MALE 2020.
Le défi s’annonce donc de taille, et il semble impératif que les enjeux politiques ne viennent pas handicaper un programme industriel qui s’annonce bien et pourrait bien, avec un peu de chance, devenir un succès commercial au delà des trois partenaires actuels.
C’est en tous cas tout ce que l’on peut lui souhaiter.
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