L’annonce du Qatar d’acheter 24, voire 36 Rafale est loin d’être anodine pour ce très riche petit état du Golfe. Il ne s’agit pas ici d’un simple remplacement d’appareils vieillissants, ni même d’un caprice de prince. Même avec “seulement” 24 Rafale, le Qatar ne va pas que doubler sa flotte d’avions de combat, ni même améliorer son efficacité, mais il se doter d’une force conventionnelle à même de pouvoir rééquilibrer profondément les rapports des forts aux faibles dans cette région si troublée, et d’imposer sa voix sur la scène diplomatique, à une échelle inaccessible jusqu’alors. Avec le Rafale, mais surtout avec l’armement que le Qatar a commandé, le pays se dote d’une véritable force de dissuasion conventionnelle… A des années lumière d’une armée de l’air seulement taillée pour assurer la sécurité de son propre ciel.
Avec le Rafale, le Qatar rentre dans la cour des grands
Des centaines de missiles air-air moyenne portée Mica, et à longue portée Meteor, des centaines de kits de missiles air-sol A2SM, plusieurs dizaines de missiles anti-navire Exocet, mais surtout… 140 missiles de croisière SCALP. Telle est l’impressionnante liste d’achat du Qatar, qui fait que ce pays offrirait au missilier MBDA sa plus grosse commande à l’exportation de l’histoire ! Cet important volume d’armement explique en grande partie pourquoi la commande globale signée lundi dernier à Doha est aussi importante pour 24 rafale, représentant plus de six milliards d’euros.
Les chiffres, révélés par le site Air Recognition, qui cite une source industrielle, avance la commande précise par le Qatar de 60 Exocet, 140 Scalp, 300 A2SM, et 300 Mica EM/IR. Le constructeur n’a pas confirmé ces chiffres. Selon lui, bien que cohérent, ils ne sont pas bons. Mais il n’en dira pas plus. La seule chose que nous comprenons au travers de ce langage, c’est la gène occasionnée par cette révélation, dans un domaine sensible… Mais surtout, si les quantités ne sont pas totalement justes, il n’y a pas eu de démenti sur les types d’armement commandés.
Des Mirage dans le désert… Tous les médias lui cherchent un client potentiel pour la revente de ses appareils, sans envisager le fait que le Qatar puisse les garder, pour assurer sa montée en puissance.
Une diplomatie qui se donne les moyens.
Le Qatar, ayant investi intelligemment dans les années 2000, et suite à l’explosion des prix des hydrocarbures, bénéficie de moyens assez considérables. En 2013, son produit intérieur brut par habitant est devenu le plus important au monde, en dépassant les 98 000 dollars par habitants. Jusqu’à présent, cet état du Golfe agissait sur le modèle du soft power, en finançant notamment des groupes sunnites, dans les états dans lesquels la mouvance chiite est la plus représentée. En 2011, le Qatar a pris pour la première fois les armes, en s’engageant dans la coalition internationale contre le régime de Kadhafi, en envoyant la moitié de ses 12 Mirage 2000-5 opérer aux côtés des avions français, qui les ont guidés. En 2011, les Mirage Qataris n’étaient pas équipés de perche de ravitaillement en vol, et de toute façon, les pilotes n’étaient pas entraînés pour l’utiliser. L’armée de l’air qatarie n’avait pas non plus la compétence pour évoluer au sein d’une coalition multinationale fonctionnant selon les normes OTAN. Et ses capacités de frappe air-sol n’étaient qu’à un stade embryonnaire. Pour toutes ces raisons, les Mirage 2000 qataris ont systématiquement été intégrés au sein de patrouille françaises, quasi-exclusivement pour des missions de CAP (Combat Air Patrol, consistant à chasser ou éloigner les avions adverses, dont on sait qu’ils resteront bien cachés…).
Mais désormais, les moyens de l’armée du Qatar ne sont plus en adéquation avec la volonté de la diplomatie qui vise à faire du Qatar un état de puissance.
Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de ce changement de méthode et de stratégie, nous vous invitons à lire cet article : Qatar 2008-2014 : du soft au smart power, dont seule la conclusion est à nuancer. L’auteur soutien en effet que le Qatar, à l’époque de l’écriture de son article, calmera son action diplomatique, alors que l’avenir lui donnera tord (ce qui n’enlève rien à l’analyse de fond, excellente).
Une force de frappe décuplée.
En passant de 12 Mirage 2000 à potentiellement 36 Rafale, voire 72 avions à long terme comme l’affirmait il y a plusieurs mois Michel Cabirol (qui a jusque là été très juste dans ses prophéties, mis à part quelques erreurs de calendrier…), le Qatar va se doter d’une force de frappe qu’il ne possédait pas, en passant d’un presque rien, à quelque chose qui va faire entrer le pays dans la cours des grands.
Par rapport au Mirage 2000-5, le Rafale apporte à l’armée de l’air qatarie une capacité de frappe stratégique, loin dans le territoire adverse. Associée au missile de croisière Scalp (bridé à 250 km de portée, selon les accord internationaux en vigueur concernant ce genre d’armement), cette capacité est à même de pouvoir constituer une véritable force de dissuasion conventionnelle. L’utilisation de Rafale, pouvant pénétrer profondément en territoire ennemi de façon autonome, couplé au ravitaillement en vol (le Qatar a passé commande de 2 A330 MRTT en 2014), et à l’utilisation de missiles de croisière SCALP, le Qatar deviendra redoutable sur la scène internationale, et ce dans une zone d’action potentielle de plusieurs milliers de km. En l’utilisant sur des objectifs stratégiques, tels les centres de commandement militaires, centres de pouvoir politiques, ou de production énergétique, une telle force de frappe peu très rapidement infliger de lourds dégâts capables de déstabiliser en quelques heures un pays adverse, et sans préavis.
En 2014, l’Armée de l’Air a démontré le potentiel stratégique du Rafale en réalisant une frappe simulée sur l’Ile de la Réunion, à 9 000 km de la métropole, sans escales.
L’achat de missiles antinavires est aussi à souligner. Situé dans une région où transite un flux commercial important, le Qatar va pouvoir renforcer son influence et son poids dans la sécurité des accès maritimes de la région du très Golfe persique. Cette capacité n’était jusqu’à présent assurée que par la seule marine de l’armée du Qatar. Désormais, la force de frappe contre la mer pourra aussi venir du ciel.
Moins impressionnant, mais tout aussi importante, l’acquisition de kits A2SM donne également une toute autre dimension aux capacités air-sol de l’armée qatarie. Si le 2000-5 est capable d’effectuer des frappes au sol, l’armée de l’air qatarie n’a jamais réellement développée ce point. Le Rafale apporte un plus indéniable, que ce soit en terme de capacité d’emport ou d’autonomie. Les leçons de l’implication et des faiblesses du Qatar en Libye auront vite porté leur fruit !
Tout reste à apprendre
Rome ne s’est pas faite en un jour. Et le Qatar, bien au delà de cet achat, signe avec la France un partenariat hautement stratégique. Il faudra en effet former un nombre plus important de pilotes compétents ce qui, d’un certain point de vue, est bien plus compliqué à obtenir, et plus long que la construction d’un avion. Car l’achat d’un avion et d’un armement ne fait pas tout, et il ne suffit pas de “lire le mode d’emploi” pour devenir capable de l’utiliser correctement.
L’armée de l’air Qatarie va devoir acquérir des compétences à tous les niveaux ! Au niveau stratégique, il faut être capable d’obtenir et exploiter du renseignement pour nourrir des bases de données de cibles potentielles à haute valeur. Les compétences sont rares et chères à obtenir en terme d’investissement humain. A ce propos, il manque dans la panoplie du Qatar encore un moyen: celui de l’observation satellite, pour nourrir le renseignement militaire. Un accord de coopération dans ce domaine fait il parti des accords ? Ou le Qatar s’apprêterait-il aussi à acquérir ce moyen ? Il serait logique qu’une annonce en ce sens intervienne assez rapidement.
Une fois que la compétence du fonctionnement de la boucle du renseignement est acquise, il faut que l’armée du Qatar sache déployer ses moyens et préparer des missions d’attaque au sol, qui peuvent être rapidement extrêmement complexes. Bien plus qu’une simple compétence, il s’agit là aussi d’une culture de fonctionnement, et d’interaction entre les différents niveaux de la hiérarchie de l’armée. En plus des compétences individuelles, il faut donc que l’armée de l’air, en tant qu’entité, apprenne à travailler en équipe, en utilisant des compétences transverses. C’est tout l’intérêt d’exercices du type Volfa, organisés en France.
Plus simplement, et pour bien imager ce qui vient d’être écrit, la commande en 2014 de deux avions ravitailleurs A330 MRTT auprès d’Airbus Space & Defense, ainsi que d’avions capable d’être ravitaillés comme le Rafale, ne débouchera pas automatiquement sur une capacité. Il faudra que l’armée de l’air qatarie prenne possession de ses matériels, mais acquiert également la “culture” du ravitaillement aérien.
En cela, et pour toutes ces raisons, le partenariat avec la France est évident. Non seulement le pays offre à ses clients des vecteurs et armements 100% made in France, mais également peut former ses clients. Le but étant clair, leur vendre la capacité d’obtenir une compétence stratégique et indépendante. Ce sont les Emirats Arabes Unis qui, en 2014, ont offert un coup de publicité assez évident, en démontrant leur capacité de frapper des cibles au sol, loin de leur base d’attache, et en toute autonomie, lors de frappes ciblées contre des djihadistes en Libye. Ce raid avait même créé la surprise outre-atlantique, et une gène assez désagréable. Désormais les EAU ont démontrés une capacité à agir de façon totalement indépendante des moyens américains. C’est certainement un argument de poids qui a pesé dans le choix du Qatar.
Zoom sur le Qatar
Riche état du Moyen Orient, le Qatar est un petit pays de 11 000 km² dont la superficie est comparable à la région d’Île de France, ou au département de la Gironde. Il a acquis son indépendance du Royaume Unis en 1971. peuplé de 2,1 millions d’habitants, ses principaux revenus sont générés par l’exploitation du pétrole et du gaz présents dans son sol. profitant de la hausse importante du prix des hydrocarbures dans la première décennie du 21ème siècle, et bénéficiant des importants investissements réalisés sur le gaz liquéfié, le Qatar s’est lancé dans une diversification de son économie, y compris en réalisant beaucoup d’investissements à l’étranger. L’émirat veut devenir un centre économique, touristique et culturel incontournable dans la région. Ses investissements sont colossaux, à l’image de la création de la compagnie aérienne Qatar Airways, devenue en quelques années une des compagnie les mieux classées, ou encore de l’organisation d’événements sportifs tel la coupe du monde de football en 2022. Le pays a pris une place importante sur la scène médiatique avec la chaîne d’information Al-Jazeera, équivalente à CNN dans les pays arabophones.
12 Comments
Anonyme
Vu la taille du Qatar, 72 avions seraient complétement démesuré
tipi
Singapour: 714 km2, 150 chasseurs (24 F-15, 74 F-16, plus une quarantaine de F-5)
Taiwan: 36.000 km2, 420 chasseurs (146 F-16, 90 F-5, 57 M2000, 128 F-CK-1)
Qatar: 11.000 km2 … 72 avions, ce serait trop ?
C'est vrai que je me suis toujours demandé ou Singapour rangeait ses avions, mais si le Qatar atteignait la même densité d'avions de combat que Singapour ils pourraient monter à 1500 🙂
Anonyme
Le problème c'est qu'en cas de guerre conventionnelle, il suffit de bombarder l'aéroport international de Doha, et les 72 avions sont inutilisables 😀
Taïwan on peut difficilement comparer, ils sont sur une île isolé et ils ont un immense voisin assez agressif
James
Comme disait un de mes collègues, avec le Rafale, le Qatar fait un Doha d'honneur à ses voisins! o:)
Chris
Un grand merci pour cet excellent article très bien écrit.
GA_U
Qui sont, et seront, les pilotes qataris ? Des qataris, des étrangers, éventuellement trés "francophones" ? Qu'en est-il des pilotes des autres pays de la région ?
James
Et bien, une partie des pilotes de Mirage 2000-5 qui sont qataris.
Pour le reste, ils trouveront bien d'autres pilotes qataris à former d'ici jusqu'aux 1er Rafale livrés.
J'avoue que je ne vois pas trop le but de votre question.
Anonyme
J'ai remarqué que sur certain forum on commence a appelé le Rafale le vaisseau klingon, je trouve ça très drôle. Cela est sûrement du a sont ou ces systèmes de guerre (spectra) qui le rende très discret.
source
On oublie que ce sont des engins de guerre…
sepecat
Eternel dilemme…
Dans un monde idéal, la notion même d'arme n'existerait pas et leur utilisation non plus.
A ce jour, le monde n'a rien d'idéal et le choix est relativement simple : ne pas construire / acquérir des armes, ou bien, a contrario, les construire / s'en doter auprès d'autres.
Partant du postulat que l'on ne souhaite pas s'en servir, mais qu'il faut bien en avoir sous la main le jour où un adversaire s'avise de venir nous chercher des noises, il est alors préférable, non seulement de savoir construire (indépendance nationale), mais aussi de pouvoir vendre (amortissement des coûts).
Détester les armes est éminemment respectable, mais je doute que la libération d'otages au Mali ou l'élimination de leurs ravisseurs par nos militaires ait pu avoir lieu si la décision de les doter d'armement n'avait pas été prise auparavant.
Penser que l'on peut aller rechercher quelqu'un au fin fond du désert sans armes est, certes, satisfaisant sur un plan moral. C'est nettement plus probématique quant à l'exécution…
Castigu
Ce sont aussi des emplois, et par ces temps de disette une bouffee d'oxygene …. ou de kerosene .
remy
ce qui fait rire c’est que n’importe quel pays avec un peu d’argent peux se payer les rafales ou autres avions de guerre, mais le soucis n’est pas une question d’argent..
le vrai soucis c’est que pour faire voler un seul de ces avions, il faut un ou deux pilote, ca c’est pas un soucis.. mais.. il faut egalement une quinzaine d’ingénieur au sol pour le faire voler..
et la c’est pas pareil, voila pourquoi on a pas trop vu d’avion lybien pendant l’agression du pays, malgré le fait que le pays est plus de 350 avions de combat operationnel..
ca plus le fait que l’accession au pieces detachés de ces jouets ne seront accessible au pays que a condition qu’il cire bien les pompes au pays vendeur..