L’annonce était attendue depuis ce matin mais provoquait déjà l’effervescence chez les spécialistes: devant les ralentissements des négociations pour la vente de 126 Rafale (dont 108 à produire localement chez l’industriel HAL), et face à l’urgence de la modernisation de l’IAF, les autorités indiennes auraient entamé des démarches afin d’obtenir au plus vite plusieurs dizaines de Rafale. D’après les informations obtenues, il s’agirait d’une commande venant s’ajouter aux négociations pour 126 appareils, le fameux « contrat du siècle », et certains évoquaient la possibilité d’une levée d’option pour 63 Rafale prévue dans le cadre du contrat initial.
Finalement, la nouvelle est tombé il y a quelques heures à peine: l’Inde va commander 36 appareils à livrer rapidement, sans que cela n’impacte le processus de négociation d’achat de 126 Rafale entamé en 2012.
Lors d’un point presse avec le président de la République, le Premier Ministre indien Narendra Modi a déclaré :
“J’ai demandé au président Hollande de nous fournir 36 Rafale, prêts à voler”
Plus de Rafale made in France que prévu
Peu de détails sont connus actuellement, mais la teneur de la déclaration de M. Modi laisse présager un accord de gré à gré similaire à celui obtenu par l’Egypte, les 36 appareils étant probablement prélevés directement sur les chaînes de production dans un standard sans doute très proche de la configuration française. Le délai nécessaire à la livraison de ces 36 appareils pourrait ainsi permettre de compenser la longueur des négociations pour le « contrat du siècle », laissant un peu plus de temps aux deux parties pour finaliser la mise en place de l’industrialisation des 108 Rafale supplémentaires qui devraient être, eux, construits en Inde dans un standard taillé sur mesure pour les besoins indiens.
Tout bien considéré, il s’agit probablement d’une excellente nouvelle à long terme pour Dassault Aviation. Même si les détails restent encore à clarifier, il semblerait que cette commande de 36 Rafale ne remette pas en question les négociations en cours pour la construction sous licence de 108 appareils en Inde. Un doute persiste cependant sur les 18 Rafale qui devaient être fabriqués en France. Ce rajouteront-ils aux 36 avions évoqués aujourd’hui ? Ou bien sont-ils en quelque sorte inclus dans la nouvelle série de 36 appareils.
Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui évident que la commande indienne comportera plus d’appareils fabriqués intégralement en France que ce qui était prévu initialement. Et rien n’empêche d’imaginer d’autres commandes passées auprès de Dassault Aviation parallèlement à la mise en place de l’outil industriel chez HAL en Inde.
Au delà des besoins de l’Indian Air Force, on pense notamment à l’Indian Navy qui, on le sait, a approché Dassault afin d’évaluer la possibilité d’utiliser le Rafale Marine sur les porte-aéronefs indiens équipés de tremplins plutôt que de catapultes.
Rappelons que cet achat de Rafale fait suite à la
modernisation des Mirage 2000 Indiens, qui viennent tout juste de recevoir leurs premiers appareils rétrofités avec, notamment, une partie des armements et du système d’arme utilisés par le Rafale.
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Il y a quelques semaines à peine, l’Inde réceptionnait ses premiers Mirage 2000 modernisés au dernier standard. |
Reste à voir les détails de ce contrat, notamment pour les partenaires de Dassault Aviation, Safran, Thales et MBDA. Pour ces derniers, il s’agira notamment de voir si cette commande anticipée de Rafale entrainera également de nouvelles commandes d’armements, où si l’IAF prévoit dans un premier temps d’armer ses premiers Rafale avec les missiles déjà achetés en marge de la modernisation des Mirage 2000.
Soulagement pour les finances françaises
Mais quels que soient les termes de ce futur contrat, force est de constater qu’il s’agit d’un immense soulagement pour le Ministère de la Défense et le Ministère des Finances français. En effet, la dernière Loi de Programmation Militaire prévoyait la production de 66 Rafale entre 2014 et 2019, mais seuls 26 appareils devaient être destinés aux forces françaises, les 40 autres devant équiper des clients export. Avec les 24 Rafale égyptiens à livrer rapidement, la commande Indienne porterait à 60 le nombre de Rafale produits en France à des fins d’exportation. Il n’empêche que rien ne précise actuellement le calendrier ni les cadences de livraisons: si la possibilité d’augmenter le rythme de livraisons des Rafale sur l’actuelle LPM a été évoqué, il est également possible que les livraisons indiennes puissent se poursuivre au rythme habituel au delà de la LPM, jusqu’en 2021 en l’occurrence.
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Si Dassault et son réseau de sous-traitants livrent actuellement 11 appareils par an, la cadence de production pourrait être augmentée à 2,5 avions par mois afin de satisfaire les futures commandes à l’exportation (Source B. Etchenic) |
Si le respect de la LPM aura pour conséquence de réduire le rythme de dotations en Rafale des escadrons de l’Armée de l’Air, il aura tout de même l’immense avantage de permettre de boucler au mieux le budget de la défense, et de ne pas avoir à réorienter vers le programme Rafale des fonds aujourd’hui prévus pour d’autres usages (on pense notamment à l’équipement de l’Armée de Terre, mais aussi aux dotations au profit des forces spéciales, y compris dans l’Armée de l’Air).
Dans ce contexte, on comprends d’autant mieux les efforts déployés par l’Etat français aux côtés de Dassault Aviation afin d’établir des accords de vente rapidement.
Un enjeux stratégique pour l’Inde
Pour l’Inde, ce contrat pour 36 Rafale représente sans aucun doute un compromis entre les officiers généraux de l’IAF qui prônaient une commande rapide des 63 Rafale en option et les services du Ministère de la Défense qui ne voulaient pas engager de dépenses supplémentaires en marge des négociations pour le contrat initial.
Mais ce sont in fine les besoins de l’IAF qui l’ont emporté: alors que pas moins de 10 escadrons de chasse doivent être désactivés dans l’année à venir, le renouvellement de la flotte de combat devenait des plus urgents. Si la possibilité avait été évoquée d’acheter des Su-30 supplémentaires à la Russie dans l’attente de la signature (ou de l’annulation) du contrat Rafale, l’IAF a toujours maintenu son attachement à l’achat de Rafale.
En effet, il ne faut pas oublier que l’IAF entretient de très bons rapports avec Dassault Aviation, les Mirage 2000 indiens bénéficient en effet d’une excellente réputation. De plus, même si la question est rarement évoquée, l’IAF recherche un nouveau vecteur nucléaire afin de remplacer dans ce rôle des appareils vieillissants, notamment ses Jaguar modernisés. Or, les capacités de pénétration en territoire ennemi du Rafale ne sont plus à démontrer, puisqu’il s’agit d’une de ses missions principales en France.
Si le sujet n’a jamais été évoqué publiquement, certains officiels de l’IAF n’ont jamais caché qu’il s’agissait d’un argument en faveur de l’appareil français face à l’Eurofighter Typhoon, outre son prix inférieur. Alors que l’Inde entretient des relations houleuses avec ses voisins Chinois et Pakistanais, autres puissances nucléaires régionales, le renouvellement de sa flotte de combat par des appareils modernes et polyvalents n’apparait certainement pas comme un luxe aux yeux de l’IAF.
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Même si l’IAF communique très peu sur la question, les observateurs s’accordent sur le fait que le Jaguar est, aux côtés du Mirage 2000, un des vecteurs nucléaires à la disposition des forces indiennes. A terme, il est probable que le Rafale remplace le vénérable félin dans ses missions de pénétration stratégique. |
Perspectives pour le Rafale
Avec ce nouveau contrat, Dassault et les services étatiques nous surprennent encore une fois: si personne n’avait vu venir la signature en Egypte, il semblait également peu probable il y a quelques semaines qu’une option d’achat sur étagère soit levée avec l’Inde alors même que les négociations pour le contrat principal semblent vouloir se prolonger encore et toujours. Mais la situation internationale et le contexte économique mondial réservent parfois quelques surprises: alors que les bouleversements dans les jeux d’alliances locales ont certainement aidé la vente du Rafale en Egypte, ce sont sans doute le contexte régional mais également l’évolution du taux de change de l’Euro face au dollar et à la roupie qui auront facilité cette prise de commande rapide et imprévue.
Quoi qu’il en soit, Dassault ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Si d’autres prospects pourraient se décider pour l’avion français dans le Golfe suite à la décision indienne (on pense au Qatar mais également au Koweit et aux Emirats Arabe Unis), une signature anticipée en Inde pourrait avoir des effets positifs sur d’autres marchés de la région, notamment en Malaisie et en Indonésie.
Plus près de nous, Dassault entend bien défendre ses chances en Belgique mais aussi en Finlande.
15 Comments
Judas
Excellente nouvelle pour l'industrie aéronautique française (pas seulement Dassault mais aussi Thales, Safran, MBDA, et de nombreux sous-traitants) !
Je n'ai jamais entendu parler de la Finlande dans les prospects du Rafale, un existe sérieuse ?
Anonyme
En tous cas, le cherf d'Etat Major des Armées finlandaises a récemment volé sur Rafale et semble avoir beaucoup aimé.
Judas
Merci pour l'info ! Je n'étais pas au courant de cela.
Anonyme
Pourquoi il y a urgence pour l'Indian Air Force :
50% de ses Su-30MKI bloqués au sol par des problèmes de maintenance (chiffre officiel)
les Mig-21 et les Mig-27 ne doivent pas avoir une bonne disponibilité non plus
les Jaguar, Mig 29 et Mirage 2000 sont en cours de rénovation
le nouveau Tejas est produit au compte goutte
le T-50 furtif russe patine
le projet Indien furtif AMCA loin d'être concret
résultat pour l'IAF, seulement 200-250 avions prêt au combat. Face à la Chine et au Pakistan c'est perdu d'avance.
Voila pourquoi l'état major de l'IAF met la pression et a pris des positions publiques pour le Rafale.
François
Anonyme
bonjour,
Comme toujours, voici un article bien fait, précis et donnant clairement les infos.
Félicitations.
C'est effectivement une bonne nouvelle, il ne faudrait pas par contre que le nbr de Rafale pour l'AA soit inférieur pour la période de la LPM; 26 c'était déjà pas énorme pour la période concernée.
On peut ainsi espérer une baisse du prix pour les Rafale suivants pour l'AA (ceux après les 26) ou à tout le moins des niveau supérieurs de versions au même prix grâce à l'effet positif du nbr d'avions exportés.
Ensuite bien sur cela peut déclencher d'autres ventes, dont la Malaisie (même si là il y a aussi des soucis financiers à prendre en compte).
Enfin c'est juste mon avis.
Castle68
Louis Dalphin
Comment pouvez-vous vous rejouir que la France vende des armes ???!
Anonyme
La vente d'arme finance la R&D en france, le secteur civile malheureusement ne peux plus dégager de profit puisque qu'il se trouve en concurrence frontale avec les pays à bas coût de main d'oeuvres (l'art63 du TFUE autorise cela).
Dans certain secteur ,l'électronique notamment, la france est presque absente du secteur civile.
Anonyme
Déjà merci de nous avoir lu, cela prouve votre ouverture d'esprit. Il n'y a aucune réelle justification aux ventes d'armes… Dans un monde pacifié. Nous en sommes loin et ces ventes nous permettent de nous maintenir à niveau technologiquement. Vieux débat… Au plaisir de vous revoir sur un de de nos (nombreux) articles sur l'aéronautique civile.
GA_U
– Vendre des armes à des pays étrangers permet aussi à la France de produire ses propres armes en diminuant leur prix de revient, de façon toute relative, et d'être indépendante de l'"étranger" pour l'acquisition puis l'utilisation de ses principales armes que sont les sous-marins lanceurs d'engins et d'attaque et ses avions qui assurent la dissuasion nucléaire, les frégates, le porte-avion, et les blindés. Il en va de l'indépendance de la France. Il y a environs 2 ans, les USA ont interdit à l’Égypte d'utiliser ses F16 pour bombarder la Lybie, (je crois, ou la Syrie). Les Britanniques ne peuvent plus faire de sous-marins lanceurs d'engin sans les USA, etc.
– Les USA ont analyser que faire un avion militaire, F22 ou Rafale, permettait de maîtriser environ 25 des 35 hautes technologies indispensables pour être dans le peloton des têtes des pays industrialisés ; radar, transmissions, laser, optroniques, métaux, réacteur, composites, carbone, explosif, etc…
– Cela permet d'avoir des écoles d'ingénieurs de hauts niveaux. Certains vont travailler dans l'armement, d'autres dans d'autres activités qui profitent de leurs compétences
etc
sepecat
Dans un monde idéal, la guerre ne devrait pas exister… Si vous pensez que nous vivons dans un monde idéal, tant mieux, mais je vous incite toutefois à regarder d'un peu plus près les actualités.
Comme le soulignent d'autres commentaires, et que cela plaise ou non, l'industrie militaire en général, la branche aéronautique en particulier, profitent pleinement des progrès techniques réalisés par lesdits militaires.
Sauf erreur de ma part, les premier atterrissages tout temp réalisés par feu Air Inter sur Lyon Satalas l'étaient avec un HUD dont la conception et le développement répondaient, dans un premier temps, à des besoins militaires.
Alors, être pour la paix et voir le monde en bisounours, pourquoi pas. Avoir le sens des réalités et s'adapter au monde dans lequel nous vivons semble une approche un peu plus pragmatique.
Cela me rappelle les manifestations CGT de l'arsenal de Tarbes autrefois, contre les dépenses militaires… les mêmes manifestant quelques années plus tard contre la fermeture de ce même arsenal. A méditer.
sepecat
Complément… je répondais, bien entendu, à la défiance de M. Dauphin vis à vis des armes
sepecat
Pour en revenir au sujet de la vente des 36 Rafales à l'Inde, je dois dire que l'article est, à nouveau, complet et détaillé. Je crois que le fait est acquis à présent que l'Inde n'a pas, contrairement à ce qu'elle prétend, les capacités techniques nécessaires pour ce type de technologie.
Dire qu'elle ne les a pas ne signifie pas qu'elle ne les aura jamais… mais le constat est là, malgré les déclarations destinées à raviver le patriostisme national indien, il y a encore des carences dans l'outil industriel.
Le deuxième point qui me paraît intéressant c'est que l'achat "sur étagère" n'était pas forcément à faire en France et aurait tout aussi bien pu être fait auprès d'autres fournisseurs qui auraient été fort heureux ce revenir dans la boucle, (je pense aux British, of course, mais ils ne sont pas les seuls et les Russes ne sont pas les moindres).
Troisième point qui me semble tout aussi important, acquérir le Rafale c'est avoir un chasseur dont la capacité au combat n'est plus à démontrer mais aussi, et peut-être surtout, la même plateforme pour équiper l'aéronavale indienne.
Pas négligeable pour les comptables et l'optimisation du parc, comme le démontrent nos Maris et nos Aviateurs.
Bref, cette vente est en tout point une bonne nouvelle, même si un long chemin reste à parcourir.
Patrick Artefact
Merci pour ces inputs
Génial enfumage des promoteurs de la LPM et grand écart, encore une fois, entre AP et CP. Il faudra bien du temps avant que AA et Marine aient les 180 Rafales commandés. La Grande Bretagne a toujours beaucoup d'influence en Inde ( CF les centrales RR de mauvaises qualités vendues au nez et barbes d'Areva après des écoutes et piratages…). Mais AK Antony avait pris conscience des incapacités et du cout tres élevé de possession ( achat + MCO ) du Typhoon. Réjouissant quand on se souvient des tous les mensonges lus et entendus lors d'OOP / OUP en Lybie
Mikilo
Bonsoir,
User d'un peu trop d’abréviations sans les définir est un tantinet trop dur pour le néophyte que je suis.
Pourriez-vous expliquer AC, CP, RR, AK, OOP, OUP?
Merci.
Patrick Artefact
Désolé…..
AC : Autorisations de programmes
CP : crédits de paiements
RR : Rolls Royce
AK, prénom abrégé de Mr Antony, ministre indien de la défense
OOD : Operation Odyssey Dawn ( Libye; 2011 )
OUP : Op. Unified Protector ( Libye 2011 )