Robert Galan au festival Des Etoiles et des ailes en 2012 . Photo Aéroblibliothèque |
A l’occasion du festival toulousain “Des Étoiles et des ailes”, qui a eu lieu fin 2014 la Cité de l’Espace, l’un de nos reporters a pu rencontrer Robert Galan, grande figure de l’Aviation française. Portrait en quelques questions.
Monsieur
Robert Galan, vous avez fait une carrière tout à fait
exceptionnelle, puisque vous avez tour à tour été pilote de chasse
dans l’armée de l’air, pilote d’essais, pilote de ligne, enquêteur
sur les accidents aériens et maintenant auteur.
exact. J’ai été pilote de chasse pendant plusieurs années, avant
d’entrer à l’École Nationale Supérieure de l’Aéronautique
et de l’Espace (ENSAE, dite « Sup’Aéro ») d’où je
suis sorti avec le titre d’ingénieur civil de l’aéronautique.
je suis devenu pilote d’essais et j’ai passé une grande partie
de ma carrière aux essais en vol. J’ai également passé des
années comme commandant de bord en long-courrier dans la ligne à
Air France, sur A-340.
ensuite été enquêteur sur les accidents aériens, en Freelance,
parfois en parallèle avec le Bureau Enquête Accidents, mais
souvent également à l’étranger.
maintenant, vous êtes auteur. Qu’est ce qui vous a poussé à vous
tourner vers
?
depuis 5 ans, j’ai écrit une dizaine de livres, principalement sur
l’aviation mais aussi dans d’autres domaines. J’avais du temps, et
j’en avais assez de courir le monde pour enquêter sur des
catastrophes aériennes. J’en ai donc profité pour écrire des
ouvrages, édités aux éditions Privat.
vois ceci comme le couronnement naturel d’une carrière où j’ai
essayé beaucoup de choses. Quand on est jeune, qu’on a vingt ans, on
se sent prêt à n’importe quoi, on veut parcourir le monde et se
lancer des défis à soi-même. Je me suis lancé dans la carrière
de pilote de chasse, puisque ceci correspondait à mon profil
intellectuel et physique de l’époque. Ensuite, aux alentours de 30
ans, m’assagissant un peu, prenant conscience des choses, je suis
devenu pilote d’essais : Je continuais à prendre des risques, mais
de manière plus mesurée. Les années ont passé, j’ai continué à
voler dans la ligne et aux essais en vol. J’ai ainsi traversé la
quarantaine et la cinquantaine, en voyant les choses de façon plus
posée, plus raisonnable et plus poussée. A partir de 60 ans, et ce
pendant une douzaine d’année, j’ai enquêté sur des accidents
aériens. Ceci m’a permis de rester en contact avec le monde
aéronautique, et de continuer à utiliser les deux compétences que
j’avais acquises : d’une part une bonne connaissance des avions en
tant que pilote, et d’autre part une bonne connaissance technique des
problèmes, ce qui est fort utile dans bon nombre de dossiers
d’accidents.
années ont continué à passer, je me suis progressivement lassé de
passer mon temps à courir les hôtels de tous les pays du monde dans
le cadre des enquêtes. Je me suis retiré chez moi, et je me suis
dit que j’allais mettre mon temps à profit pour mettre sur le papier
une grande partie des expériences que j’avais accumulées.
tant que pilote d’essais, vous avez été aux commandes de toutes
sortes d’appareils. Quels types d’aéronefs avez vous piloté ?
France est un relativement petit pays, ce qui fait que les pilote
d’essais se comptent
sur les doigts des deux mains, en restant très impliqués dans tous
les domaines, car dans l’ aéronautique, les essais sont nombreux.
Par la force des choses, les pilotes sont donc polyvalents : il faut
évaluer, certifier et qualifier tous types d’appareils. Au cours des
25 années ou j’ai été pilote de chasse, de ligne et d’essais, j’ai
volé sur 180 types d’aéronefs, ce qui est, je crois, assez
exceptionnel. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui ont
eu, dans leur vie, l’occasion de conduire plus de 180 voitures
différentes !
le métier de pilote d’essais, on acquiert une qualification fort peu
connue, qui est celle de pouvoir partir sur n’importe quel avion
pratiquement sans formation. D’ailleurs, je n’aurais jamais pu être
formé sur 180 types d’avions différents si j’avais dû passer par
une formation complète sur chacun d’eux ! Je partais souvent sur un
avion après une étude relativement sommaire.
répondre à votre question, j’ai volé sur toute sortes d’avions :
les avions d’aéro-club, les avions d’armes de toutes les générations
(comme les chasseurs de la dernière guerre, tels le Meteor ou le
Vampire anglais, ou les avions de combat les plus modernes comme le
Mirage 2000), jusqu’aux avions de ligne allant du Dakota à l’A380,
en passant par le Concorde.
marqué, que ce soit pour leurs qualités de vols ou par leur côté
mythique ?
sur un si grand nombre d’appareils, certains sont plus présents dans
mon
que d’autres. Il y en a qui m’ont laissé une grande satisfaction.
Tous les Mirage III, par exemple étaient des avions pas si faciles
que ça. Il fallait faire attention à basse altitude du fait de leur
aile Delta, et ils avaient une autonomie très faible. Quand on
faisait des vols d’essais de navigation, par exemple, on revenait
parfois au terrain, à Brétigny, avec seulement 10 minutes de
carburant restantes. C’était un peu acrobatique ! Mais ceci
engendrait une gestion du vol particulièrement précise et très
intéressante.
Mirage G8 (Dassault Aviation) |
point de vue plaisir de piloter, je dois dire que j’ai peut-être une
préférence pour le
G-8 à géométrie variable. Les avions qui m’ont le plus intéressée
ne sont pas forcément ceux qui ont une grande cote. Par exemple,
Concorde ne m’a pas laissé une impression impérissable. C’était un
gros avion, un vieil avion. Il était supersonique, comme beaucoup
d’avions de chasse sur lesquels je volais. Il se comportait un peu
comme le Mirage IV, mais ce dernier était bien plus intéressant.
résumer, sur les avions militaires, j’ai bien aimé le Mirage G-8,
les Mirage III et IV.
les avions de ligne, j’ai un faible pour les Airbus de l’A320 à
l’A340.
mentionniez à l’instant le Mirage G-8. Vous avez été « pilote de
marque » de cet appareil. En quoi cela consiste-il ?
La
fonction de pilote de marque est en général peu connue. Disons que,
quand un avion
sort, c’est d’abord l’équipe du constructeur, composée de pilotes,
d’ingénieurs, de
qui le fait voler. Pour les services officiels, on désigne une
équipe, dite « de marque », qui est chargée des essais officiels.
Pour ma part, j’ai été pilote de marque européen sur un certain
nombre d’avions civils : le B-747-400, premier Boeing 747 bourré
d’électronique, le MD-11
Pour les avions militaires, j’ai été effectivement pilote de marque
sur le G-8. Ceci veut dire que j’ai suivi cet appareil depuis la
planche à dessins jusqu’aux derniers vols. J’ai travaillé sur les
premiers plans de l’avion chez le constructeur Dassault, à Saint
Cloud. J’ai assisté à la mise en place de la maquette échelle 1
dans un hangar. A ce stade, l’ensemble était encore modulable, la
configuration finale n’était pas figée. Certains détails ont été
modifiés à ma demande. C’est là le rôle du pilote de marque.
Les premiers vols sont effectués par le pilote d’essais du
constructeur. L’équipe était à l’époque basée à Istres. Il se
trouve que l’avion avait effectué son premier vol au mois de mai
1971, et Dassault voulait le présenter absolument au salon du
Bourget (en juin). Il fallait pour cela impérativement un visa des
services officiels et une autorisation du gouvernement. J’ai donc eu
l’occasion de faire le 6ème ou 7ème vol de l’appareil, ce qui est
assez rare, car normalement l’équipe de marque intervient plus tard.
profite pour ouvrir une petite parenthèse : contrairement aux idées
reçues, les pilotes du CEV n’interviennent pas seulement lorsque
l’avion est fini, ils ne se contentent pas de piloter la machine et
de dire « l’avion est bon » ou « l’avion est mauvais ». Le pilote
d’essais officiel est intégré dans le processus de mise au point de
l’avion. J’ai eu à donner un avis sur des équipements qui étaient
en cours de mise au point, qui venaient tout juste de voler pour la
première fois et n’étaient pas encore finalisés : les composants
électroniques de l’A320, les commandes, les CDVE..
appareils que vous avez piloté, y’en avait-il certains qui offraient
des défauts rédhibitoires, et sur lesquels vous avez dû demander
des modifications importantes ?
sur la quantité d’avions que j’ai pilotés, certains ne donnaient
pas satisfaction. Ils pouvaient avoir des comportements à basse
vitesse gênants, par exemple ce qu’on appelait le « pitch-up »,
qui est une tendance à l’autocabré en finale. Ce défaut était
très commun dans les années 1960, à l’apparition des premiers
avions à aile en flèche, avec lesquels il fallait être très
prudent à basse vitesse. D’autres avaient des problèmes de
décrochage. J’ai des copains qui se sont tués lors d’essais de
vrille sur des machine de cette époque…
je n’aime pas jeter la pierre aux gens ou aux appareils qu’on met de
côté, donc je ne donnerai pas de noms, mais il est vrai que sur le
tas, certains avions étaient de vilains petits canards…
vous le voulez bien, jetons un œil à l’actualité. Ces temps-ci, on
parle beaucoup de drones. Que pensez-vous des drones civils et
militaires ?
n’ai pas d’idée très précise sur le sujet. Toutefois, j’ai
instinctivement tendance à éprouver un certain sentiment de rejet
vis-à-vis de ces machines. Tout d’abord, elles sont très
indiscrètes, comme le prouve l’actualité… Les portes sont
ouvertes à toutes sortes de choses. Jusqu’à présent, les hommes
prenaient leurs responsabilités. Par exemple, en période
d’hostilités, un pilote de chasse prend le risque d’être abattu de
s’éjecter, d’être fait prisonnier… Toute cette dimension
humaine qui fait que l’homme est impliqué. C’est valable aussi pour
les avions civils. Si un avion commercial est en difficulté,
l’équipage est bien entendu impliqué.
les drones, on en arrive à une générations de machines pilotées
depuis un bureau. Je n’ai rien contre les ingénieurs, loin s’en
faut, puisque j’en suis un moi-même, mais dans ce genre d’activités
qui met des machines en relation étroite avec des hommes, je pense
qu’il est regrettable que les risques soient absolument mis de côté,
et que la dimension humaine disparaisse.
est-ce que l’aventure de l’aéropostale a revêtu cette aura
exceptionnelle ? Les membres de l’aéropostale, qui ouvraient les
lignes sur l’Atlantique sud ou le Sahara, mettaient leur vie en jeu,
ainsi que toutes leurs capacités, leurs connaissances, leurs
talents. La plupart d’entre eux en sont morts, comme Mermoz, ou ont
vécu des aventures exceptionnelles, comme Guillaumet. Ils ont pu
donner la mesure de leurs capacités.
l’on faisait ceci de nos jours, que l’on envoyait du courrier en
Amérique du sud avec des drones
à partir d’un bureau à Toulouse, je trouve qu’on perdrait quelque
chose dans l’activité aéronautique.
y a quelques semaines, un pilote d’essais américain est mort dans
l’accident de l’avion spatial Spaceship Two. Croyez-vous que l’avenir
de l’aviation réside dans les avions spatiaux ?
crois volontiers que les avions spatiaux existeront dans l’avenir.
Mais je crois que ceux qui
parlent de « tourisme spatial » n’ont pas réalisé ce dont il est
question. On va certes pouvoir faire voler des avions comme le
Spaceship Two qui dépassent la frontière «
officielle » de l’atmosphère (qui se situe à 100km d’altitude) .
Les passagers pourront donc être en apesanteur quelques instants,
voir la rotondité de la terre et le ciel noir au dessus. Ça va
durer deux à trois minutes !
qualifier ça de vol spatial ? J’ai l’impression que ce terme est
utilisé de façon abusive.
C’est un leurre, et les passagers vont vite s’en rendre compte : ils
vont payer très cher pour un vol qui ne leur apportera pas
grand-chose. A mon avis, il sera bien plus intéressant d’aller faire
un tour en apesanteur dans un avion « zéro-g », bien plus
économique. Je
ne veux pas jeter la pierre aux concepteurs de cet avion, bien
entendu, mais cela me semble sans grand intérêt.
contre, je pense que beaucoup de choses vont se passer dans l’avenir
de l’aviation. On va augmenter les capacités des moteurs, notamment
en matière de consommation. C’est déjà le cas : un passager assis
dans un A-380 consomme 3l/100km ! Je pense que les évolutions de
l’aviation commerciale vont se dérouler dans plusieurs domaines.
part, les avions à très grande vitesse. Des projets existent chez
Airbus et Boeing, d’avions
très supersoniques qui transporteront plus de passagers que le
Concorde. Ce genre d’avion continuera à consommer beaucoup, et sera
donc toujours très cher. A mon avis, ceci restera une aviation de
luxe, réservée à une certaine élite, et pas toujours
passionnante. Le Concorde nous l’a déjà montré : quand on allait
en réunion aux USA, on pouvait partir à 11h du matin et arriver à
New York à 9h du matin (du fait du décalage horaire). Mais du fait
de ce même décalage horaire, on rentrait très tard le soir, en
pleine inactivité de Roissy, ce qui fait perdre une partie de
l’intérêt.
part, je crois que le grand avenir, ce sont les grandes capacités,
pour les vols familiaux et touristiques par exemple, pour lesquels on
n’est pas à cheval sur le temps. Cette génération a commencé avec
l’A380, et d’autres viendront. Dans ce domaine, pas mal de gens
s’intéressent actuellement aux dirigeables. De grandes compagnies
envisagent de mettre en service des ballons, qui voleront à des
vitesses « ridicules », de l’ordre de 200km/h, mais qui auront de
très grandes capacités, et où les gens pourront voyager dans de
bonnes conditions de confort. Des familles qui voudront, par exemple,
passer deux semaines en Amérique du sud pourront faire cela à un
coût très faible et dans de bonnes conditions.
c’est de l’avenir. J’aime bien pour ma part coller au présent, et ne
pas trop faire d’extrapolations.