Eurofighter Typhoon (image Eurofighter GmbH) |
Après avoir été évincé de la compétition aux Emirats Arabes Unis en décembre 2013, l’année 2014 semblait bien commencer pour le consortium européen et son avion de combat. Airbus et BAE, piqués au vif par la sélection de l’avion Rafale de Dassault Aviation en Inde, semblaient décidés à mettre les bouchées doubles afin de combler le retard de leur avion en terme de polyvalence.
Ainsi ont été annoncées au cours de l’année passée des avancées dans l’intégration d’un radar AESA, la future intégration des missiles Brimstone, ainsi que le début d’intégration des missiles de croisière Storm Shadow (le pendant anglais du SCALP) et Taurus.
Malheureusement, cette embellie aura été obscurcie par de multiples soucis : Au mois d’avril, la Cour Fédérale des Comptes annonce que le programme Eurofigther coûtera à l’Allemagne deux fois plus cher que prévu. Le taux de disponibilité des Eurofighter allemands est catastrophique selon le journal allemand Der Spiegel. En Septembre, on apprend qu’un défaut de fabrication du tronçon arrière du fuselage oblige les pays partenaires à (temporairement) fortement diminuer la durée de vie théorique de l’avion. A l’heure actuelle, personne ne connait le coût des mesures correctives à prendre ni le nombre exact d’avions concernés (tout ou partie).
Plus récemment, le 1er ministre britannique, David Cameron, a annoncé la prolongation d’un an d’un escadron de Tornado au vu des besoins de capacités Air/Sol nécessaires pour fraper EIIL que n’ont pas encore les Typhoon (ou très partiellement, comme nous le verrons plus loin). Le bureau de M. Cameron aurait même été jusqu’à déclarer que “le Typhoon est avant tout destiné au combat aérien et à patrouiller notre espace aérien” selon notre confrère airheadsfly.com.
Bien des soucis du programme sont liés à son caractère international. Peut être pas, comme ça l’est souvent évoqué, tant à cause de l’organisation en “lego” de son industrialisation (après tout Airbus fait de même) qu’à cause de sa nature de programme international militaire. Un avion militaire répond en effet à des besoins plus spécifiques qui varient en fonction des pays et au cours du temps.
Les exigences des différents partenaires sont souvent différentes, ce qui fait que le programme manque d’une ligne directrice claire et même parfois d’homogénéité (A titre d’exemple, le Royaume Uni, très impliqué dans diverses OPEX et faisant face à la fois à un vieillissement de ses Tornado et aux retards successifs du F-35 ressent un grand besoin de capacités Air/Sol qui indiffèrent complètement l’Allemagne…). Des points de vues divergents qu’une agence internationale, la NETMA (NATO Eurofighter and Tornado Management Agency) tente de concilier, avec plus ou moins de bonheur (au passage notons que le partenariat proposé à l’Inde il y a quelques années ne lui aurait pas permis d’intégrer cette agence OTAN).
Il est donc très compliqué pour un néophyte (et même pour un professionnel) de se retrouver dans cette organisation complexe. L’évolution du programme se fait essentiellement sur trois axes : les standards de production (Tranches, Batchs et Blocks), les standards informatiques (PSP) et les standards capacitaires (SRP) qui regroupent peu ou prou les deux autres.
Dans cette première partie d’un article en deux épisodes, nous allons vous décrire la structure industrielle du programme
LES STANDARDS DE PRODUCTION (MATERIELS)
La production des Eurofighters est subdivisée en Tranches, Batchs et Blocks :
Tranches : Ce sont les divisions de productions. Chaque Tranche correspond à un contrat entre les différentes nations partenaires et Eurofighter GmbH pour un certain nombre d’avions. A l’origine, cette organisation en tranches était destinée à assurer un minimum de souplesse dans le nombre d’avions commandés par chaque pays, mais avec des contreparties en cas de réduction de commande. Ce sont donc avant tout des divisions comptables, même si elles ont bien sûr des conséquences sur les standards d’avions produits.
Cette organisation était nécessaire au vu du nombre de partenaires, mais a pu avoir des effets délétères sur le programme, certains pays préférant se désengager plutôt que d’acheter (et surtout entretenir ensuite) le nombre prévu d’avions. D’autres partenaires ont revendu des avions commandés pour leurs besoins à des pays tierces (Le Royaume-Uni a détourné 24 avions vers l’Arabie Saoudite par exemple).
Batchs : une subdivision intermédiaire entre les Tranches et les Blocks.
Blocks : C’est l’unité de base de production. C’est elle qui définit le standard matériel auquel l’avion sera fabriqué puis livré.
La Tranche 1 (148 avions) comporte les Blocks 1 ; 1B ; 1C ; 2 ; 2B ; 5 et 5A (A pour Autriche)
La Tranche 2 (299 avions commandés, dont 72 Saudis) comporte les Blocks 8 (dont 8 ont été livrés à l’Arabie Saoudite), 8A, 8B, 9 (dont 10 ont été livrés à l’AS), 10, 10C, 11, 11C (AS), 15 et 15C (AS).
La Tranche 3 est subdivisée en 3A et 3B. Elle apporte beaucoup d’améliorations matérielles comme la plomberie en vue de réservoirs conformes, la capacité de vidange des réservoirs ainsi que la génération électrique et le refroidissement pour l’installation de radar AESA.
La Tranche 3A (124 avions prévus dont 12 omanais) correspond(ra) aux Blocks 20, 25, 25C et 30N (N étant une lettre indéfinie accolée à un future standard).
La Tranche 3B n’est pour l’instant pas assurée (d’ailleurs c’est pour cela que la Tranche 3 a été subdivisée en 3A et 3B).
Les dénominations Blocks X”B” correspondent à des évolutions des appareils, le block 8″A” aux Eurofighters autrichiens et les blocks X”C” aux appareils Saudis (à l’exception du block 1C).
Améliorations liées à la Tranche 3 de production. Illustration BAE. |
STANDARDS LOGICIELS
Les évolutions du logiciel sont appelées “PSP” (pour Production Software Package). On les subdivise en trois parties selon la partie logicielle concernée :
APSP (software avionique), principalement sous la responsabilité d’ Alenia.
UPSP (software utilitaire), principalement sous la responsabilité de BAE.
FCSP (Contrôles de Vol), surtout Airbus Allemagne.
Ces trois évolutions ne sont pas obligatoirement (même si c’est le plus souvent le cas) implémentées simultanément. Par exemple, les standards SRP 10 et 12 sont tous les deux équipés du software PSP4, mais le SRP 12 inclut certaines évolutions.
STANDARDS CAPACITAIRES
Définies par les SRP (Service Release Proposal). De façon générale, les évolutions des SRP correspondent peu ou prou à celles logicielles (PSP), avec quelques variantes.
Avions de la Tranche 1
SRP 4.1 Standard “de base” des Tranche 1, capacités Air/Air uniquement
SRP 4.2 Britannique uniquement, capacités Air/Sol rudimentaires (rétrofit R2 sous la CP-193 voir plus loin)
SRP 4.3 ultime format sur les Tranche 1, capacités Air/Sol rudimentaires
Avions des Tranche 2 et 3
SRP 5.0 Premier standard des Tranche 2 Capacités Air/Air uniquement. Dérivé du SRP 4.0.
SRP 5.1 Dernier standard “d’origine” des Tranche 2. Ce standard est dérivé du SRP 4.3 de la Tranche 1. C’est un correctif du SRP 5.0 comprenant des améliorations du DASS, des liaisons de données MIDS et du radar. Il introduit les même capacités Air/Sol que le 4.3 sans la possibilité d’illuminer la cible à l’aide d’un pod.
SRP 10 Première version de rétrofit incluant les amélirations P1EA (pour les PEA ou Phase Enhancement Program, voir plus bas). Seulement une douzaine d’appareils ont été livrés à la RAF à ce standard. Ils ont servi à expérimenter les nouvelles capacités Air/Sol du Typhoon et à écrire les procédures. Nous ne savons pas si ces avions existent toujours en tant que tels ou ont été rétrofittés au standard SRP 12.
SRP 12 Ce standard inclut les modifications P1EB. Le 17 Octobre 2014, BAE a annoncé à la presse avoir livré 17 avions rétrofittés au standard PE1B à la RAF. On ne sait pas encore si parmi ces avions se trouvent les PE1A ou non. 18 autres devraient être rétrofittés au standard PE1B d’ici le 1er avril 2015. Avec ce standard, la RAF gagnera significativement en termes de capacités Air/Sol voi ici .
A l’avenir, les standards suivants sont prévus :
SRP 14. Le SRP 14 correspondra à la mise en place du PE2. Il sera divisé en SRP 14 Step1 (PE2A) et Step2 (PE2B). Le step 1 devrait voir le jour fin 2015/début 2016 et le step 2 début 2017. Le programme PE2 apportera des avancées significatives tant en Air/Sol qu’en Air/Air via l’intégration de nouveaux armements (voir plus bas)
SRP16 correspond au programme P3E (non encore contractualisé)
SRP 18 correspond au programme P4E
Au final, la configuration exacte de l’appareil.est définie par les PSC (Production System Configuration). Elle peut donc changer au cours du temps avec diverses évolutions et retrofits.
A titre d’exemple :
La Tranche 1 a été commandée le le 18 septembre 1998 pour 148 avions destinés à être livrés entre 2002 et 2005 (en fait livraisons de 2003 à 2008). Cette tranche a été divisée en deux batchs, 1 & 2.
Le Batch 1 regroupait les avions de présérie (PMAFT), des avions d’expérimentation IPA (Instrumented Production Aircraft) 1 à 5 et le Block 1 de production.
Ces avions étaient configurés de la façon suivante : SRP1, PSP1 et ont été livrés au standard PSC 1.1.2
Le block 1 a été subdivisé en block 1, 1B et 1C.
Le block 1B correspondait à des différences matérielles et logicielles mineures et a été désigné PSC 1.1.3
Le Block 1C a introduit le logiciel UPSP2 (évolution du software utilitaire), sous la dénomination PSC 1.2.
Tous les avions du block 1 ont ensuite été upgradés au standard logiciel FCSP2 donnant le PSC 1.3
Ensuite a eu lieu le retrofit R2 sur les avions britanniques (voir plus bas). Les avions ayant subi le retrofit ont donc à nouveau changé de PSC : 3.X (SRP 3.X) selon les sous standards.
Dans une seconde partie de cet article, nous vous décrirons les évolutions qu’a subi l’appareil. Et leur logique.
Un grand merci à tous ceux qui ont bien voulu répondre à mes questions, en particulier “Scorpion82”.
9 Comments
Anonyme
eh ben ,c'est du boulot, félicitation, fallait le faire, ça change de l'anglais.
Anonyme
Si on pouvait avoir un jour un comparatifs sur les fonctionnalités entre spectra et pirate,
ca serait super intéressant, du moins pour ce qu'on en connait.
Anonyme
En fait Spectra devrait plutot être comparé à Praetorian (nom peu connu qui inclu le DASS, Defensive Air SubSystem). Pirate ce serait l'OSF. Les données sont classifiées, on pourra essayer, mais sans promesse hein!
Merci pour le gentil commentaire Anonyme 1!
Sébastien Pugelle
Merci beaucoup pour cet article très détaillé et le dossier !
Anonyme
Merci Sébastien, ca va se compliquer un peu avec la suite… Mais l'ossature du programme reste la même. Le souci est qu'avec autant de pays participants il y a eu des "drops", des améliorations ponctuelles. Qui ont ou non fait partie des programmes communs d'amélioration. Et inversement (certaines parties de programmes communs d'améliorations ont été rétrofittées…). Nous essaierons d'être aussi clairs que possibles.
Chris
Ouah !! Merci infiniment pour cet immense travail de synthèse des évolutions du Typhoon.
Au fil des divers articles que j'ai pu lire sur le Typhoon, j'avais toujours eu du mal à m'y retrouver sur ses divers standards, et je comprends mieux pourquoi à présent. C'est à y perdre son latin !
J'ai hâte de lire la seconde partie de votre article.
Anonyme
Merci Chris, dans quelques jours…
Galezowski Philippe
Bravo pour tout ce travail !
phil
Anonyme
Interrogation écrite la semaine prochaine !