La semaine dernière, Reuters nous apprenait que Finmeccanica, à travers sa filiale Agusta Westland, avait saisi une cour fédérale à Washington afin de bloquer le processus d’achat par l’US Army de 155 hélicoptères biturbines UH-72A Lakota supplémentaires auprès de la filiale américaine d’Airbus Helicopters.
En effet, l’US Army entreprend actuellement de grandes réformes dans la gestion de ses flottes de voilures tournantes, retirant les monoturbines OH-58 et TH-67 (1) du service et transférant des appareils de ses unités de réserve et de garde nationale vers ses unités d’active, et vice-versa.
Dans cette restructuration, elle entend transférer un certain nombre d’UH-72A déjà en service vers des unités école et remplacer les UH-72A ainsi retirés des unités actives par de nouveaux appareils du même type achetés sur étagère auprès d’Airbus Helicopters, dans un contrat de gré à gré.
Une concurrence plus économique ?
Les arguments d’Agusta Westland contre ce nouvel achat sont simples: l’US Army aurait dû lancer un appel d’offre au lieu de traiter directement avec Airbus. L’achat de cette nouvelle tranche de Lakota serait ainsi illégale, ne laissant pas à Agusta le soin de proposer ses propres solutions plus économiques.
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Agusta Westland A119K de la police de New York |
Agusta Westland affirme ainsi que son petit AW-119Kx monoturbine coûterait deux fois moins cher à l’achat et à l’usage que le Lakota. Si l’US Army veut vraiment un biturbine, son AW-109 coûterait également bien moins cher, avec 4,75M$ par machine contre 7,5M$ par UH-72.
Des chiffres rapidement démentis par Airbus Helicopters, qui affirme que l’EC145/UH-72 ne dépasserait pas les 5,5M$, un tarif cohérent avec la gamme de poids du Lakota, plus lourd et plus versatile (et donc plus coûteux) que les appareils cités en exemple par Agusta Westland.
Airbus Helicopters rappelle ainsi que l’EC145 avait été sélectionné parmi plusieurs appareils, dont l’AW-139 d’Agusta Westland, au sein d’un appel d’offre qui couvrait également l’utilisation de l’appareil pour l’entrainement.
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AgustaWestland A139 (à droite) en formation avec un A109 (à gauche) |
Il n’empêche que les arguments d’AgustaWestland pourraient trouver des oreilles attentives, y compris au sein du Pentagon et de la classe politique américaine, puisque la décision d’annuler le programme ARH et d’utiliser de lourds hélicoptères d’attaque Apache pour des missions de reconnaissance soulève actuellement de lourdes critiques vis-à-vis de la gestion financière de l’US Army.
Des besoins opérationnels qui priment sur les contraintes financières
Pour assoir sa contestation judiciaire, Agusta Westland tente donc clairement de s’appuyer sur la politique affichée de l’administration américaine (et du Pentagon) visant à une rationalisation des dépenses de l’armée américaine.
Cependant, les choix de l’US Army ne découlent pas tous d’une volonté de réduire les coûts par tous les moyens.
Si le Lakota n’est pas l’hélicoptère le moins cher du marché, il dispose de sérieux avantages opérationnels qu’une étude de marché axée uniquement sur le prix d’achat et à l’heure de vol ne pourrait démontrer.
Ainsi, en utilisant la même machine dans son centre de formation, ses unités d’active, de réserve et de garde nationale, l’US Army s’autorise une grande flexibilité dans la gestion de ses parcs de machines, mais aussi de ses ressources humaines en matière de pilotes.
Une approche finalement similaire à celle qui a poussé l’US Army à décider le remplacement des OH-58 d’observation par des unités dédiées d’AH-64 Apache. Si ces hélicoptères d’attaque, pris individuellement, coûtent bien plus cher qu’un appareil spécialisé plus léger, les gains sont à chercher du côté de l’entrainement et de la gestion des équipages, de la chaîne logistique mais aussi de la flexibilité des déploiements, y compris en opérations extérieures.
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OH-58D de l’US Army. Ce petit monoturbine, léger et habile, devrait être remplacé par des AH-64 Apache bien plus lourds. |
On touche là à l’éternel débat de la spécialisation des équipements opposée à la polyvalence des systèmes d’arme. Si un matériel spécialisé permet d’effectuer une mission précise à moindre coût, le simple fait de lancer un appel d’offre, attribuer un contrat, lancer l’industrialisation et mettre en service ce matériel précis entraine un coût immédiat important, même si l’affaire s’avère rentable à long terme. Ce qui est très loin d’être systématiquement le cas.
En période de restrictions budgétaires courte, la tentation est grande d’éviter de tels investissements et d’augmenter le spectre de mission des hélicoptères déjà en service, ici les UH-72 Lakota ou les AH-64 Apache. Si la période de difficulté financière se prolonge, alors le choix est peut-être plus délicat à faire, mais impossible à prévoir au moment où la décision doit être prise.
Quel objectif pour Agusta Westland ?
Si chaque industriel ne manque pas d’arguments pour défendre sa position, l’attitude de Finmeccanica peut toutefois surprendre. Ces poursuites judiciaires risquent surtout de retarder les nouveaux achats, et les forces armées américaines ont prouvé à maintes reprises leur capacité à établir des appels d’offre taillés sur mesure pour un compétiteur précis lorsqu’un concurrent faisait un peu trop usage de pressions judiciaires, ou ne collait pas à la politique industrielle du moment.
Et même si un appel d’offre était ouvert, rien ne dit que l’avionneur italien remporterait le marché. Airbus Helicopters dispose également d’appareils plus légers mono ou biturbines, comme l’EC120 ou l’EC135, qui pourraient tout à fait compléter une flotte de Lakota et laisser Agusta Westland sur la touche une nouvelle fois.
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EC135 de la police allemande. Plus léger et moins cher qu’un EC145/UH-72A, l’EC135 est un appareil de la même gamme de poids et de performances que l’AW109 d’Agusta Westland. |
Finmeccanica jouerait-il ici son va-tout afin de percer une bonne fois pour toute sur le marché militaire et gouvernemental américain, sur lequel Eurocopter (puis Airbus) est historiquement très présent ? Ou serait-ce l’expression d’un raz-le-bol bien légitime de la part de la maison mère italienne ?
Après tout, ces dernières années ont été une suite de déception sur le marché américain.
On peut citer le cas de l’hélicoptère présidentiel VH-71 annulé après des années d’atermoiements, et qui a vu le partenaire d’AgustaWestland, Lockheed Martin, changer d’équipe pour décrocher le marché avec Sikorsky.
Pour Finmeccanica, il y a eu également en 2013 l’annulation par l’USAF du programme G.222 à destination des forces afghanes, précédé l’année d’avant par l’annulation du Joint Cargo Aircraft basé sur le C-27J (version modernisée du G.222).
Des revers commerciaux qui aurait pu finir par lasser Finmeccanica, victorieux sur des appels d’offre qui finissent par être annulés et à qui on refuse la possibilité de faire une offre pour des achats sur étagère au déroulement sûr et sans accroc.
Seul l’avenir nous dira si l’action intentée par Finmeccanica marque un nouvel effort pour s’implanter durablement sur le marché de la défense américain ou s’il s’agit avant tout de retarder l’expansion sur ce même marché de son concurrent de toujours, Eurocopter.
(1). Respectivement utilisés comme plate-forme de reconnaissance et d’entrainement, ils sont tous deux dérivés d’une cellule légère Bell 206.