L’information est reprise un peu partout avec plus ou moins d’enthousiasme. Lors de la visite du cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, le nouvel émir du Qatar prévu à partir du 23 juin en France, tous les espoirs sont permis, et pour plusieurs raisons bien fondées. Mais ces dernières années nous auront appris à rester prudents, et à analyser correctement les informations reprises en boucle par des médias qui ont perdu l’habitude la plus élémentaire du recoupement de sources.
Premièrement, pour une annonce probable de cette envergure, dans un matériel de défense de premier ordre vendu de gré à gré, aucun accord ne se fait sans visite protocolaire. Donc il est inutile d’espérer une quelconque officialisation sans visite d’un chef d’État dans le pays de son partenaire. Mais une visite d’état ne va pas forcément influer sur le sort de la toute première vente du Rafale à l’étranger, car bien d’autres points peuvent être abordés entre les deux diplomaties, et pas uniquement la vente de matériel de défense, dont le Rafale est en plus loin d’être seul au catalogue des produits que la France propose.
Ensuite, beaucoup de médias parlent de 72 avions (en deux lots de 36) de combat dont souhaite se doter Doha, en remplacement des 12 Mirage 2000-5 acquis dans les années 90. Cette information n’a rien d’officiel. C’est Michel Cabirol, journaliste à la Tribune qui a évoqué ces chiffres pour la première fois l’année dernière. Sans douter qu’au bout d’une très longue expérience de journalisme il ait pu nouer des relations sérieuses avec des sources fiables, il n’en reste pas moins que l’information ne peut être recoupée. Et malgré les liens étroits et de confiance que nous entretenons avec certains industriels et certaines autorités étatiques, personne n’a confirmé cette information. Par contre, personne ne l’a infirmé non plus, laissant le bénéfice du doute aux informations apportées par M. Cabirol.
Entre parenthèses, si personne ne doute de la capacité de ce riche pays à acquérir autant d’avions, multiplier par six le nombre d’avions de combat en parc ne se fera pas d’un claquement de doigts, et le processus prendra beaucoup de temps. Il faut adapter les infrastructures, former de nouveaux pilotes et mécaniciens, et revoir en profondeur l’organisation de l’armée qatarie. De ce point de vue là, le Qatar aura besoin d’un très fort soutien de la France (si le Rafale est effectivement choisi). Mais les liens étroits qui existent entre les opérationnels ont été exacerbés durant la campagne de Libye, où des Mirage 2000-5 qataris et leurs pilotes, non formés aux procédures OTAN, ont été intégrés à des patrouilles communes avec l’armée de l’air française. Un signe de coopération et de confiance mutuelle très fort qui devrait jouer un rôle prépondérant pour la suite des événements.
Si annonce il devait y avoir, il y a très peu de chance pour qu’un contrat soit signé. Beaucoup d’étapes sont nécessaires avant que ne soient versés les premiers centimes, et que le Rafale n’arbore la cocarde qatarie. Si le Qatar choisit officiellement le Rafale, il faudrait d’abord passer par un protocole d’entente, une lettre d’intention, et si les choses ont déjà bien avancées en toute discrétion, une annonce sera suivie de l’entrée des deux parties dans une longue phase de négociations exclusives. Ces négociations visent à définir un cadre technique au bon déroulement du futur contrat, et incluront une somme complexe de points à définir. Le prix d’achat, les dates de livraison, les conditions et tarifs pour le maintien en conditions opérationnelles, la formation des pilotes, mécanicien, et toute la chaine de commandement, le transfert des savoirs faires et de technologies, les armements, et la définition technique précise de l’avion qui sera acheté par le Qatar. Cela nécessite à minima plusieurs mois de travail.
Même si le Qatar se décide, il est peu probable que le pays devienne le premier client export du Rafale. Car, si tout se déroule comme prévu, les négociations indiennes devraient arriver à leur terme assez rapidement, alors que le Qatar sera à peine rentré dans le processus. Ceci étant dit, un contrat avec le Qatar devrait être bien moins complexe à établir avec l’Inde, en cause un transfert de technologies quasi intégrales, et de toute la chaîne d’industrialisation (voir cet article).