Pour contrer certaines idées bien ancrées dans le subconscient populaire, nous avons décider de publier un article sur un média grand public, sur le site Agoravox. Il ne traite pas vraiment de technique, mais de tout ce qui entoure le domaine industriel lié à l’aviation de combat en France. Pourquoi il est nécessaire, et au final pourquoi la France a bien fait de réaliser seule son propre avion de combat, et comment l’industrie aéronautique Française toute entière bénéficie de ce programme.
Source d’immense fierté pour les uns, objet de toutes les railleries pour les autres, le Rafale divise autant qu’il passionne.
Ce condensé de technologie « à la française » n’a pourtant rien à envier à ses concurrents.
A ceux qui le trouvent trop cher, il suffit de comparer sont prix à celui des concurrents de la même catégorie.
A ceux qui estiment qu’il sert à financer la famille Dassault, il faut rappeler que les activités militaires de notre constructeur national sont les moins rentables, à tel point qu’il a failli s’en séparer. Ajoutons au passage que le Rafale, c’est bien plus que Dassault. C’est aussi Thalès, Snecma, Safran, et une pléiade de petits sous-traitants qui sont autant d’emplois dont la France manque tant.
Au-delà des emplois, le Rafale est avant tout un agrégat de savoirs-faire, dont certains sont stratégiques pour l’autonomie d’un pays.
Le monde des avions de combat est définitivement quelque chose de complexe, et les réponses à des questions pourtant simples ne peuvent pas s’expliquer simplement sans en aborder d’abord le contexte.
Tout d’abord, comment un citoyen « normal » pourrait-il juger de la qualité, du prix, ou même de la pertinence d’un objet qu’il ne connait pas ? Nous avons tous une voiture dans notre garage, et cela fait-il de chaque français un potentiel décideur de la stratégie d’un groupe automobile ? Au comptoir d’un bistro certes, mais dans la vraie vie, les choses sont un peu plus nuancées.
C’est la comparaison qui nous offrira le meilleur point de vue. Comparons notre Rafale, et même l’industrie de l’aviation de combat de notre outil de défense avec ceux de nos voisins. Vous verrez, chers français, que si nous avons des sujets de complaintes qui nous font mal au crâne, d’autres nations sont en état de mort clinique.
Un avion de combat, ça sert à faire la guerre. C’est, après l’armement nucléaire, dont il peut être un des vecteurs, l’outil qui permettra d’asseoir une supériorité totale sur notre adversaire si nous maîtrisons sa dimension, le ciel. C’est dire l’importance stratégique de l’avion de combat dans l’inventaire d’une armée. En grossissant très exagérément le trait, nos fantassins pourraient se battre en étant équipés de frondes qu’ils pourraient gagner une guerre, du moment que nous maîtrisons le ciel.
Mais un avion de combat ne sert pas qu’à faire la guerre. Comme le rappelle un rapport rendu à l’Assemblée nationale d’une commission à la défense, citant elle-même un rapport américain qui n’est plus tout jeune, mais toujours à propos :
“Les Américains ont bien compris cela : un rapport de la Maison-Blanche souligne
qu’un avion de combat met en jeu 17 technologies stratégiques sur les 22 qui concourent au
développement d’un pays. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à dépenser beaucoup en ce
domaine, même s’ils ont réduit légèrement leur budget, ce qui les rend encore plus agressifs
d’un point de vue commercial.”
La France est le second pays exportateur au monde derrière les états unis en matière d’aéronautique. Sans les avancées majeures dues à l’industrie de l’aéronautique de défense, nous n’aurions jamais pu espérer maîtriser des technologies clés, comme la motorisation par exemple.
À titre d’exemple, la Snecma, entreprise purement nationale de fabrication de moteurs à réaction possède une joint-venture paritaire avec un constructeur américain, CFM-International. Rien qu’en 2013, les deux entreprises se partageront 31 milliards de dollars de commandes ! Alors oui, bien sûr que ces compagnies profitent des commandes étatiques pour améliorer leurs savoir-faire et défricher des domaines technologiques. Mais une des missions de l’état n’est-elle pas justement de s’assurer du maintien des compétences et des emplois en France ?
Le jour où la France perdra les compétences essentielles permettant de concevoir et fabriquer en toute autonomie, ou même dans un cadre international un avion de combat, ce sera tout le financement d’un pan complet de R&D de pointe qui s’effondrera. Et par voie de conséquence, une majorité des entreprises liées à ces domaines de pointe perdront en compétitivité technique.
Savez-vous que la France est le second pays exportateur de produits liés à l’aéronautique dans le monde ? 50 milliards d’euros de commandes pour un CA de 42,5 Md € réalisé en 2012. 77% de ce total est réalisé à l’export. Aucun autre domaine, mis à part le tourisme ne permet autant de combler notre balance commerciale malgré tout largement déficitaire, et d’apporter autant de devises étrangères. Le secteur aéronautique emploie (directs et indirects) plus de 300 000 salariés en France. Il est à noter que l’activité de la défense pèse pour plus du tiers de l’activité !
Le Rafale est donc bien plus qu’un avion de combat. En ce début d’année, beaucoup ont repris leur plume assassine après l’annonce du contrat de développement du nouveau standard F3R, en arguant du fait que c’était comme jeter 1 milliard d’euros par la fenêtre, en ces temps difficiles, pour un avion qui ne se vend pas ! Pour une fois, soulignons l’audace des politiques qui agissent et prennent des décisions sur le long terme, et ce malgré un vent médiatique largement défavorable. Médias qui, pour la plupart, ne sont que peu renseignés sur des réalités qu’ils semblent ignorer (et là mon cœur balance entre incompétence et démagogie.
Pour comprendre ce qu’il se passe en France, il est bon de regarder aussi chez nos voisins. Nos plus grands compétiteurs européens dans le domaine sont sans conteste possibles, les britanniques. Leur industrie aéronautique est forte et complète. Avec la Grande-Bretagne, la France est le seul pays européen à pouvoir maîtriser l’ensemble d’un système d’arme aéroporté. Mais plus pour très longtemps… Avec les Allemands, les italiens et les espagnols, ils ont conçu l’Eurofighter Typhoon, concurrent direct et très semblable à notre Rafale pour les non avertis.
Il est vrai que l’Eurofighter se vend, lui. Toujours le même argument. Mais c’est vrai. Il s’est exporté dans trois pays : L’Autriche, l’Arabie Saoudite et Oman. Bien que ce soit le résultat final qui compte, il est important de souligner que l’avion n’a jamais gagné un seul appel d’offre. Énorme scandale de corruption en Autriche, où l’Allemagne a revendu l’équivalent d’une petite escadrille d’avions de la première tranche, avec des capacités très limitées, d’occasion, mais pour très cher. L’Arabie Saoudite avec un contrat important de 72 avions signé en 2007 et dont les négociations pour les 48 restants se sont enlisées, puis Oman, pour une petite douzaine d’avions.
Bien que les pays partenaires se soient partagé la conception d’un avion fabriqué pour un besoin domestique bien plus important que le franco-français Rafale, les 620 appareils prévus pour chaque armée des pays partenaire, le chiffre a été ramené à 571, export compris…
En cause, un programme industriel chaotique, avec une chaîne d’assemblage dans chaque pays partenaire, une organisation à la peine, et des coûts de développements qui ont explosé.
L’avion, est à quelque chose prêt de même niveau technologique que le Rafale. Mais il a été conçu selon une philosophie différente, où la mission d’interception a été élevée bien au-dessus des autres. Résultat, l’avion possède aujourd’hui une autonomie limitée, et ne possède des capacités de bombardement que très parcellaires. Un nouveau standard du Typhoon est en cours d’essai, lui donnant la possibilité de disposer enfin d’un radar AESA (dont les études d’intégration n’ont pas encore été financées), de tirer des missiles de croisière et quelques munitions air-sol supplémentaires ; et quand bien même ces capacités-là seront opérationnelles, elles seront toujours pénalisées par la conception originelle de l’avion. Moins d’emports, moins loin. Un autre problème se profile pour les Européens. Les centaines d’avions déjà produits ne sont pas facilement améliorables jusqu’à la dernière version, de nombreux composants et systèmes ayant été remplacés. Ce qui n’est pas le cas pour les avions français (sauf les 10 premiers, avions livré à la marine à partir de l’an 2000), où la dernière version consiste surtout en une grosse mise à jour logicielle, et où les « périphériques » sont interchangeables (pour faire une analogie avec votre ordinateur).
L’Eurofighter n’a donc pas fini de coûter cher aux Européens. Que feront-ils lorsque leurs Tornado, avions d’attaques au sol sur lequel leurs forces de frappe sont basées, seront retirés du service dans quelques années ? La réponse est amère : ils achèteront américain.
Des quatre pays de lancement du programme Eurofighter, deux d’entre eux ont déjà décidé de devenir également partenaires du programme F-35 américain. Un avion qui leur faisait la promesse de tout faire, mieux que tout le monde, et pour moins cher, à l’image de l’immense succès que fut (et est toujours) le F-16 en son temps. L’exemple du Royaume-Uni est édifiant. Ils ont fait un chèque de 2,5 milliards de dollars. En retour, la promesse des Américains d’un retour sur investissement avec une participation industrielle importante. Pour ce qui concerne son unique moteur, le pentagone avait décidé en effet de mettre en concurrence deux motoristes qui fourniraient tour à tour réacteur et support (pour une cible potentielle de plus de 3000 avions), ce qui permettrait de réduire les coûts grâce à une saine concurrence. Rolls Royce, le célèbre motoriste britannique était impliqué dans la presque totalité de la conception et de la fabrication du second moteur, le F-136. Après des années de retards et des coûts de développement et de fabrication qui ont explosé sur l’ensemble du programme, le moteur F-136 sera purement et simplement… Abandonné. De 60 à 80 millions de dollars l’unité prévue au départ, le prix unitaire du F-35 se cale désormais entre 180 et 299 millions de dollars en fonction de la version…
Non seulement le programme F-35 pèse lourd dans les dépenses des états européens qui assécheront leurs budgets équipement, mais bien plus grave encore, des efforts ne pourrons être consentis en direction d’une R&D efficace pour améliorer l’Eurofighter par exemple.
Le F-35 est, industriellement, un tueur d’avions européens. De ce point de vue là, les USA auront bien réussi leur coup… Sauf en France !
Alors, toujours aussi bidon notre Rafale ? Non seulement il est plus adapté et moins cher que son cousin européen, mais en plus il nous assure pendant quelques dizaines d’années encore une indépendance technologique, industrielle et stratégique indispensable à notre développement.
Reste le cas du petit chasseur suédois… Le Gripen a soufflé au Rafale deux contrats coup sur coup. En Suisse en 2011 (contrat en sursis à cause d’un référendum au mois de mai), et au Brésil en décembre 2013. L’avion suédois, plus petit et logiquement moins cher à l’achat et à l’entretien que les Rafale, Eurofighter et F-18 Américains, s’impose dans tous les pays dotés de forces aériennes modestes. Hongrie, République tchèque, Afrique du Sud, Thaïlande, brésil et Suisse. Pour un total d’environ 120 avions vendus à l’export à 6 pays. C’est un beau succès pour l’avion suédois, il ne faut pas le nier.
Il faut néanmoins relativiser le succès de l’industrie suédoise. En effet, Saab, concepteur de l’avion (au même titre que Dassault en France) s’appuie grandement sur des fournisseurs étrangers pour tout ce qui concerne les équipements de l’avion. Moteur, Radar et avionique qui sont une part très importante de l’avion ne sont pas conçus en suède, mais aux états unis et en Europe. La Suède est donc un pays qui dispose d’un beau jouet dans son show-room, mais reste un pays stratégiquement dépendant de technologies étrangères.
L’avion français permet donc à la France, tant du point de vue technologique, industriel, stratégique mais aussi opérationnel, de disposer d’un appareil qui lui convient, qui lui coûte moins cher que son concurrent le plus direct (de 20 à 30%), et qui lui permet une liberté de manœuvre que n’ont pas les pays possesseurs de moyens de guerre achetés à l’étranger. Malgré tout, vendre l’avion serait un plus non négligeable. Il permettrait au budget de l’équipement des armées d’être soulagé des 11 avions qu’elle est obligée d’acheter tous les ans (seuil en deçà duquel l’outil industriel s’effondrerait), en les vendant à l’étranger, et de maintenir la construction de l’avion pendant de nombreuses années encore, sans perte de compétence.
Il y a beaucoup d’informations disponibles sur les raisons des échecs successifs du Rafale à l’international, dont le politique y est pour beaucoup. La Corée du Sud est restée en travers de la gorge des équipes de négociation françaises alors que le Rafale, jugé techniquement meilleur et à un coût relativement moindre que le F-15K avec qui il était en finale, a été écarté au profit de ce dernier. Avec le recul, on se demande comment il aurait pu en être autrement avec un pays qui doit sa sécurité en partie, aux quelque 40 000 Gi’s présents sur son sol…
Cependant, et pour terminer sur une note positive, il est à noter que le Rafale a remporté l’appel d’offres le plus important de ce siècle (à ce jour) en Inde, où l’avion a été sélectionné parmi tout ce qui se fait aujourd’hui dans sa catégorie (Gripen, Eurofighter, F-16, F-18, Mig-35). Onze longues années se seront écoulées entre le lancement de la compétition et le choix du vainqueur, avec le lancement du premier RFP en 2001 et de l’annonce du choix du Rafale en 2012. En deux ans, de longues négociations visant à fixer sur papier les règles éminemment complexes liées aux transferts de technologies et compétences, semblent toucher au but. Les journaux locaux et spécialisés n’ayant plus aucun doute sur une signature, mais seulement sur la date à laquelle celle-ci va arriver, à cause du calendrier électoral indien. Nombre total d’avions achetés : 126, plus 63 en option, soit 189 au total. Soit, en un seul contrat, plus que l’ensemble des ventes du Gripen, et le double des ventes export de l’Eurofighter !
Beaucoup doutent du fait que l’avion n’est pas aussi bon qu’on pourrait le prétendre puisqu’il ne se vend pas. Alors en attendant la première signature, vous pouvez toujours consulter le rapport d’évaluation suisse.
Ne soyons donc pas si pessimistes. Le précédent appareil made in France, le Mirage 2000, aura eu une carrière commerciale d’un peu moins de vingt ans. Le Rafale quant à lui n’est opérationnel au sein de l’armée de l’air française que depuis 2007. Seule l’histoire nous dira si les bons choix ont été faits ou non. Patience !