La furtivité, terme souvent bien mal employé, n’a plus de beaucoup de jours devant elle. Consistant à rendre un avion le plus discret possible face aux ondes radar en réduisant sa Surface équivalente Radar (SER, ou RCS en anglais), ou bien aussi dans les spectres du visible et de l’infrarouge. La mode est en train de virer de bord. Aujourd’hui, cette recherche de discrétion absolue est en passe de devenir caduque face à l’émergence de technologies permettant aux aéronefs de filer à des vitesses hypersoniques (Mach supérieur à 5).
Ce n’est pas une analyse personnelle, mais bien un fait, vendu en premier par le fabriquant des F-22 Raptor et F-35, Lockheed Martin lui-même l’annonce (voir cet article ), ce même constructeur qui avait inventé au tout début des années 1990 le terme de « cinquième génération ». Étiquette devenue depuis hautement commerciale (et bien trop timidement contestée), ou généralisé à tord hors contexte de l’USAF, et dont une des principales spécificités était qu’un avion devait être « furtif ».
Seulement voilà, la furtivité est un concept qui fait dépenser des milliards en conception et en entretien sur les avions qui en sont dotés ; et qui en plus de cela possède un énorme inconvénient. Depuis les débuts de sa conception jusqu’à son entrée en service opérationnel (généralement une fourchette de 10 à 20 ans), la discrétion de l’avion n’augmentera pas, tandis que les forces adverses pourrons adapter leurs moyens de détection.
La furtivité est à la base d’un concept beaucoup plus simple que le seul fait de vouloir ne pas se faire détecter. Tactiquement, un avion d’arme furtif se doit de pouvoir frapper sa cible avant que celle-ci ne détecte son adversaire. Et pour cela, il existe plusieurs méthodes autres que la « simple » recherche de discrétion Radar, acoustique, visuelle et thermique.
C’est là qu’entre en scène l’hypervélocité. Un appareil volant à Mach 7 à 10 000 mètres d’altitudes avalerait 120 km par minutes, ou 2 km par seconde ( ! ). Ainsi, en extrapolant, si un avion volait à cette vitesse au-dessus de la France sur un axe nord sud, cela ne lui prendrait guerre plus de 7 minutes. Donc bien moins de temps qu’il n’en faut pour que n’importe quel système de défense avec un homme dans la boucle de décision puisse se rendre compte de quoi que ce soit…
Problème de cette technologie, son coût. Bien des domaines technologiques sont encore à défricher pour se permettre de se balader à de telles vitesses. Après avoir cassé le mur du son, l’appareil devra briser ce que l’on appelle communément le mur de la chaleur.
Une des briques technologique les plus délicate à maîtriser est la propulsion. A cette vitesse-là, on oublie le turboréacteur dont les limites apparaissent un peu avant Mach 3. Le moteur fusée serait envisageable, mais il nécessiterait d’emporter du comburant en plus du carburant, ainsi qu’une motorisation plus classique dans le cadre d’un avion réutilisable. Ne reste donc en lice que le super statoréacteur.
Le fonctionnement du statoréacteur est une simplification à l’extrême du principe d’un turboréacteur classique. On garde le principe de compression, de combustion, et on enlève toutes les parties mobiles (compresseurs et aubes de turbines). L’air rentre, est compressé dans une veine, puis réchauffée par la combustion de carburant dans une chambre de combustion pour ressortir encore plus vite derrière. Le principe basique de la poussée. La différence entre un statoréacteur et un SUPER-statoréacteur, tient dans la différence de vitesse à l’entrée d’air du moteur. Dans un statoréacteur l’air est ralenti à une vitesse subsonique avant d’être brûlé. Dans un superstatoréacteur, l’air est ingéré dans la chambre de combustion à vitesse supersonique. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais réussir à brûler du carburant dans un air s’écoulant aussi rapidement n’est pas chose aisée ; moi qui ai déjà du mal à maintenir la flamme d’une allumette suffisamment longtemps pour pouvoir m’allumer une cigarette…
Qui donc peut bien s’offrir cette technologie ? Dans l’absolu, n’importe quel pays ayant les ressources financières nécessaire, et une technologie suffisamment avancée dans le domaine aéronautique. On retrouve donc des expérimentations aux USA, en Russie, mais également en France ou en Australie.
Bien que les USA paraissent avoir une certaine longueur d’avance avec tous les programmes d’essais d’appareils expérimentaux de ces dernières années, la France a une certaine expérience dans la conception et l’utilisation de statoréacteurs : depuis l’avion Leduc en 1946, puis Griffon dix ans plus tard, jusqu’au missile de frappe nucléaire ASMP(-A), et bientôt le missile Air-Air à longue portée européen Meteor.
L’hypervélocité est un thème qui a récemment fait la une de certains sites spécialisés, suites aux propos du chef d’état-major de l’armée de l’air, Denis Mercier qui, s’exprimant lors d’une commission de la défense à l’assemblé nationale le 15 avril 2014 déclara :
« Pour la composante aéroportée, deux projets sont actuellement à l’étude concernant le successeur de l’ASMP-A. L’un privilégiant la furtivité du missile, l’autre l’hypervélocité de celui-ci, avec des perspectives à Mach 7 ou 8.
C’est cette seconde solution qui a ma faveur. En effet, la maîtrise de l’hypervélocité apparaît d’ores et déjà comme une donnée centrale. J’observe à cet égard qu’aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Inde – autant de pays où la question de la modernisation de leur composante nucléaire aéroportée ne se pose même pas – des programmes expérimentaux de véhicules hypervéloces sont conduits. J’imagine avec peine que la France, pays qui jouit d’une avance incontestable en matière de statoréacteur, reste en marge de ces développements. D’ailleurs cette technologie sera aussi, à n’en pas douter, utilisée dans le domaine conventionnel et ses développements intéresseront le monde civil. Même si on ne devait plus disposer de composante nucléaire, la France ne pourrait tirer un trait sur 50 années de recherches et abandonner ces études où elle continue d’avoir une avance technologique certaine. »
Et la France a déjà fait un bout de chemin dans le défrichage de ces technologies permettant la propulsion hypersonique. En novembre 1994, suite au lancement du Programme d’étude du superstatoréacteur (PREPHA), une première expérience réussie avait eu lieu lors d’un essai au sol, avec la combustion de carburant obtenue à Mach 6.
Cet article de libération datant de 1995 , et trouvé alors que je faisais des recherches complémentaires suite à la rédaction de cet article, était déjà précurseur. Comme vous le voyez, je n’invente rien.
« Et disposer, vers les années 2020-2030, de missiles d’attaque au sol «hypervéloces» fonçant à plus de 8.000 km/h. La furtivité (transparence aux ondes radars) ne suffisant plus à berner l’ennemi, seule une très grosse pointe de vitesse, d’après les stratèges, permettra de percer les lignes de défense. »
L’arme ultime n’existant pas, nulle doute qu’un moyen de défense réussira à contrer cette nouvelle menace. Mais dans l’attente, il semble bien qu’entre les progrès amorcés dans le domaine de la détection radar, et les promesses de l’hypervélocité, la recherche, la conception et l’emploi d’appareils furtifs ne devienne de plus en plus inutile et donc contraignante.
3 Comments
Anonyme
Le schéma du SR72 est intéressant en ce sens qu'il montre bien la nécessité d'atteindre une vitesse minimale à l'aide d'un autre type de propulsion afin de pouvoir allumer le SCRAMJET. L'hypervélocité amènerait plus une survivabilité qu'une furtivité. (la furtivité étant une composante de la survivabilité, voir articles sur ce même blog)
Fabien Hyvert
les premiers à ouvrir la voie de l'hyper vitesse prendront un double coup d'avance: face à des appareils croisant plus vite que n'importe quel projectile connu à ce jour, il faudra développer toute une nouvelle gamme de moyens d'interception… rayons laser, et missiles miniaturisant les principes du super stato-réacteur.
Et si une chose est certaine, c'est que ça va coûter cher à développer.
Telles que les choses apparaissent, c'est toute la structure des cellules qu'il faudra blinder, même pour des engins jetable de type missile: les alliages normaux fondant dans la minute face à des contraintes aussi élevées.
Mais une fois la technologie maîtrisée, c'est mettre les vols orbitaux réutilisable à portée de réalisation, via des navettes spatiales largement réutilisables.
Frédéric
Et on redémarre les projets fous des sixties avec le XB-70 et le X-20 🙂 Thunderbirds, nous revoila…