Partie 1:
Besoins opérationnels et propositions industrielles
Depuis quelques années, le sujet
de la modernisation de nos C-130 Hercules, notamment utilisés par nos
forces spéciales, revient sur le devant de la scène. Pourtant, à l’heure
actuelle, un certains flou règne sur l’ensemble de ce programme de
revalorisation, aucune source d’information officielle ne détaillant
l’état d’avancement du programme.
De 2008 à 2014, l’impossible rénovation des Hercules
Alors que le programme A400M prévoyait initialement de remplacer
l’ensemble des C-160 et C-130 de l’armée de l’air, la publication du
dernier Livre Blanc de la Défense en Avril 2013 laissait entrevoir un
étalement des livraisons du nouvel avion de transport européen. Ce
document officiel formalisait également le renforcement des moyens
aériens dédiés aux opérations spéciales (1), des moyens par définition plus tactiques que stratégiques.
ce contexte, validé depuis par la Loi de Programmation Militaire en
décembre, il apparait clairement que les 14 Hercules de l’Armée de l’Air
joueront les prolongations, en restant la monture privilégiée du
Commandement des Opérations Spéciale (COS) bien après l’arrivée de
l’A400M . Un retrait de service à l’horizon 2025, tel qu’initialement
prévu, ne semblait alors plus réaliste.
Restait donc à régler l’épineux problème de la modernisation des
Hercules, un boulet trainé par l’Armée de l’Air depuis une demi-douzaine
d’années.
2008, la DGA avait notifié à Thales Avionics et son cotraitant Sabena
Technics un contrat de rénovation de l’avionique des Hercules (2) destiné
à les mettre aux dernières normes de navigation civiles (OACI) et
militaires. Cette rénovation devait accroître les capacités d’assaut des
appareils et permettre aux Hercules d’opérer sans restriction dans tous
les espaces aériens jusqu’à leur retrait de service, alors prévu autour
de 2020.
C-130 Belge en maintenance – Crédit Sabena Technics |
Thales. En réalité, nos propres sources industrielles nous ont informés
que l’ensemble du programme aurait été un fiasco. Thales, dont les
ingénieurs sont pris par le travail sur l’A-400M, abandonne le projet.
Le premier avion en chantier (le F-RAPB) est remis dans son état
d’origine après près d’un an et demi d’immobilisation. Seuls de nouveaux
équipements radios aux normes OACI sont intégrés à l’ensemble de la
flotte, comme mesure palliative en attendant un prochain chantier de
modernisation.
alors tout le processus de rénovation des appareils qui va devoir être
modifié. Se basant sur une évaluation des besoins élaborée en 2011 par
l’Armée de l’Air, la DGA avait notifié début 2013 à trois industriels
une étude de définition portant sur le reste de la rénovation: mise aux
standards OACI post-2020, GPS tactique, Flight Management System,
Satcom, boule optronique etc.
Marshall Aerospace, Rockwell Collins et Sabena Technics présentèrent
chacun une proposition à l’automne 2013, quelques semaines avant que le
nouvelle Loi de Programmation Militaire ne donne au C-130 le nouveau
rôle d’avion de référence pour les forces spéciales bien au delà de
2020. Une décision anticipée par les industriels, puisque le COS n’a
jamais caché sa préférence pour le C-130, plus léger et plus adapté à
ses besoins que l’A400M.
Comparaison entre l’A400M et les C-130J – Crédit l’excellent site “avionslegendaires.net“ |
Ce nouveau changement de statut accordé aux Hercules allait encore
modifier le processus de rénovation. D’après nos contacts, la DGA
s’appuierait sur cette nouvelle directive de la LPM pour relancer, dans
quelques jours, un nouvel appel d’offre.
Ce dernier partira des propositions des industriels présentées à
l’automne dernier mais seront modifiées à l’aune des nouvelles exigences
en matière d’utilisation pour les forces spéciales, mais aussi des tous
derniers RETEX des opérations au Mali et en Afrique Centrale.
A l’heure actuelle, rien n’a filtré des détails de cet appel d’offre.
Tout juste est-on certain qu’il inclura le remplacement des caissons
centraux de voilure pour maintenir la navigabilité des appareils bien au
delà de 2025. Pour le reste, le COS et les forces armées font leurs
demandes, mais personne ne sait ce qui sera finalement intégré dans
cette rénovation: cockpit tout écran, système de ravitaillement pour
hélicoptères, armement en soute ou sous voilure, nouvelles capacités de
détection… Rien ne semble définitivement arbitré pour l’instant.
D’après nos sources, le budget de cette rénovation devrait être figé à
400 millions d’euros, sans que le nombre de cellules à modernisées ne
soit fixé. Ce nombre devra être déterminé en fonction de la profondeur
des modernisations souhaitées.
Il est ainsi tout à fait possible d’imaginer que seuls 7 ou 8 machines
soient modernisées, les autres étant gardées comme réserve de pièces
détachées. Ou encore qu’une modernisation à minima (navigation et
structure) soit implantée sur l’ensemble du parc et que seules 4 ou 5
machines soient modernisées avec des options offensives et renseignement
accrues.
pour la DGA qui va donc devoir composer avec les souhaits, parfois
divergents, des différentes forces en présence
RETEX de Serval: une rénovation musclée ?
développées par Airdyne afin d’équiper les Hercules de boules
optroniques MX-20D équipées de désignateurs laser, remplaçant les
solutions intérimaires introduites à titre expérimental par le CPA10
dont on avait pu voir les images lors de la tentative de libération
d’otages au Niger (5). De même, une partie du parc
serait déjà équipé de systèmes Satcom et ISR divers, achetés sur
étagère en fonction des besoins opérationnels des derniers conflits.
Reste que, nous l’avons vu plus haut, le contenu exhaustif de la
rénovation des appareils n’est pas complètement figée, et que les RETEX
récents de nos forces spéciales pourrait entrainer certaines
modifications par rapport aux spécifications initiales de 2011 et 2013.
D’après nos sources, la prochaine notification d’un contrat de
rénovation pourrait inclure une généralisation des capacités
d’observation et de ciblage ainsi qu’une ou plusieurs options d’armement
des appareils de l’escadron Poitou sur au moins une partie du parc.
Boule optronique fixée au système SABIR de Airdyne, en lieu et place d’une porte d’Hercules C-130 – Crédit Airdyne |
nous vous avions présenté en détail l’une de ces options d’armement: le
Gerfaut de AA/ROK, filiale de la société ARINC SA, qui nous semble à
l’heure actuelle l’option la plus vraisemblable à court terme.
Depuis la publication de cet article, le système a continué d’évoluer,
AA/ROK travaillant aujourd’hui en étroite collaboration avec les forces
armées d’une part, mais aussi avec le fabriquant de lance-bombes RAFAUT
d’autre part. Plus récemment, SAGEM s’est également fait le porte-parole
de cette solution d’armement, après que plusieurs hauts responsables de
l’Armée de l’Air aient statué en faveur de leur AASM (plutôt que de la
GBU-49 de Raytheon) pour l’armement des Hercules. L’avion de transport
étant bien plus lent qu’un chasseur, l’usage d’une bombe propulsée est
plus logique afin de conserver une portée correcte, une bonne réactivité
de l’ensemble, tout en réduisant considérablement les échecs de tirs
qu’ont pu rencontrer les ATL2 ou les Predator avec des bombes GBU-12.
La dernière version du Gerfaut proposée à l’Armée de l’Air semble basée
non plus sur le lanceur tribombes AT730 de RAFAUT, mais sur l’AUF2
bibombes du même fabriquant, aérodynamiquement plus simple et de
conception plus classique.
En effet, l’Armée de l’Air semblerait préférer un éjecteur
pyrotechnique plutôt que pneumatique pour armer les appareils des forces
spéciales. Alors que l’AT730 demande un compresseur encombrant pour
recharger ses éjecteurs, ceux de l’AUF2 consistent en de petites
cartouches qu’un Hercules déployé en OPEX pourrait facilement
transporter en grand nombre et qui ne demandent pas de logistique lourde
pour leur mise en oeuvre. De plus, alors que l’AT730 a été
spécifiquement conçu pour les contraintes mécaniques et aérodynamiques
du Rafale, l’AUF2 est plus modulaire et son installation par paire, en
tandem, entrainerait bien moins de contraintes aérodynamiques et bien
moins de trainée que la solution initialement envisagée. Interrogé sur
la diminution du nombre de munitions employables, Patrick Gaillard
d’AA/ROK rappelle que les C-130 en opération n’emportent pas de
carburant dans leurs réservoirs externes, plutôt réservés aux
convoyages. Il est donc tout à fait possible d’emporter un système
Gerfaut sous chaque aile, pour un total de 8 bombes guidées par avion,
même si 4 bombes représentent déjà la charge utile de deux Mirage 2000D.
Deux lance-bombes AUF2 en tandem sur le Gerfaut, pour un total de 4 bombes AASM – Crédit AA/ROK |
Gerfaut peut toujours emporter un pod Damocles sur son interface avant,
l’Armée de l’Air aurait très récemment fait le choix d’équiper ses
Hercules d’un système modulaire SABIR capable d’accueillir une boule
optronique MX-20D équipée d’un désignateur laser (6).
Une telle acquisition valide et uniformise les solutions à base de
MX-15 et MX-20 adoptées en urgence par le COS sur plusieurs appareils (7), et il est vraisemblable que le prochain appel d’offre sécurise cette solution simple et performante.
Concernant le système d’arme, on nous a confirmé chez AA/ROK que
l’intégration du kit EPAK de Raytheon n’est plus d’actualité, puisqu’il
n’est plus prévu d’intégrer (dans un premier temps) la GBU-49. En lieu
et place, le système Gerfaut reprendrait à son compte le kit développé
par Sagem pour l’utilisation de l’AASM sous Mirage F1 Marocains, dénommé
SWIU. Un kit similaire à l’EPAK, mais optimisé pour le tir d’AASM.
SAGEM assurerait que son kit s’intègrerait facilement dans le module de
tir du Gerfaut à bord des C-130 du COS. Cerise sur le gâteau,
l’intégration d’un système d’arme déjà existant et ayant déjà servi à
des tirs d’essai devrait permettre de faciliter et d’accélérer
l’intégration de l’AASM sous Hercules, si le système était sélectionné
pour la rénovation des Hercules.
AASM sur AUF2 sous une aile de Mirage F1 – Crédit Rafaut |
A suivre :
Débat autour de l’armement des Hercules C-130
Notes de l’article:
1. http://www.opex360.com/2013/06/18/la-france-ne-reverra-pas-a-la-baisse-sa-commande-da400m/
3. Air&Cosmos n°2356 – Avril 2013 – “Les multiples travaux d’Hercules”
4. Raids Aviation n°11 – Février-Mars 2014
5. http://www.portail-aviation.com/2013/11/25/quand-une-pme-francaise-propose-de/
6. En décembre 2013, DSI n°98 évoquait déjà cette possibilité dans son entretien avec des officiers des forces spéciales de l’Armée de l’Air. Le système SABIR était alors désigné sous le terme générique de « bras externe polyvalent».
7. Comme nous l’évoquions dans notre précédent article sur le Gerfaut, les premières boules optroniques utilisées sur les avions tactiques du COS étaient issues des drones Hunter réformés, mais ont aujourd’hui été retirées du service.
6 Comments
Anonyme
Super intéressant et documenté!
ALex D
Pour les FS une version GunShip serait bien plus efficace pour du soutien et de la couverture tout en étant moins couteuse (350 000 euros la bombe)
Dans un article de defense News on parler de version gunship , radar,…
Yannick SMALDORE
@Alex:
Plus efficace et moins couteuse, rien n'est moins sûr.
Je le développe plus longuement dans la seconde partie de l'article, qui sera publiée ce soir. Mais il faut bien voir qu'un Hercules armé viendrait en complément de moyens déjà existants (chasseurs et hélicoptères de combat), qu'il faut prendre en compte la polyvalence du vecteur, la dotation en armement (les AASM sont déjà en stock dans l'Armée de l'Air), la réactivité du système et surtout, de plus en plus, la sécurité de l'avion tireur.
On en discute dès ce soir dans les commentaires de la Seconde Partie si cela te tente 😉
ALex D
L'avantage de la version gunship permet d'avoir un appareil qui tourne au-dessus de la zone "d'action" pendant un certain temps non negligable et d'avoir un feu précis, puissant ,permanent sans "trop" de dommage collatéral Alors que les bombes de 250 kg neccesite plus de temps pour être mise en oeuvre avec des temps morts, l'avion doit être à une certaine altitude dans un certain angle et une bombe de 250 kg ne fait pas dans la dentelle pas vraiment adaptée à l'action des forces spéciales je pense… Encore il y aurait des Tigre disponible en nombre mais ce n'est pas le cas Je pense que ce système est viable pour les forces conventionelle comme sur les Atlantique 2 Quand je dis moins chère s'est à moyen terme car il est sur que la transformation en gunship est bien plus onéreuse mais pas les munitions J'attend avec impatience la suite 🙂
Yannick SMALDORE
C'est leur avantage, et leur inconvénient en réalité.
Il peuvent tourner autour de la zone, mais ils DOIVENT surtout le faire. Quand il s'agit d'apporter un support ponctuel et persistant c'est une très bonne chose. C'est ce qui a fait encore une fois le grand succès de la formule an Afghanistan au début de la guerre, quand il s'agissait de déloger des positions insurgées retranchées et bien défendues contre des fantassins. Le Gunship agit comme un support d'artillerie déplaçable rapidement, mais persistant sur zone.
Sauf que ce concept d'emploi tactique, qui reste tout à fait valable dans certains cas, ne l'est pas du tout dans d'autres. C'est pour cette raison que je parle du RETEX de Serval.
Ce que le Mali nous a appris (ainsi que la Libye et d'autres OPEX en Afrique) c'est que les forces françaises (et les forces spéciales en particulier) se sont retrouvé face à une guerre de mouvement plus que de retranchement. Dans ce cadre là, le fait d'orbiter autour d'une cible unique est plus un inconvénient qu'un avantage.
Ce n'est pas pour rien que les officiels de l'état-major ont demandé à AA/ROK de bosser sur un Gerfaut équipé d'AASM plutôt que de GBU-49.
Un C-130 qui fait une large orbite avec des AASM capable de frapper instantanément (+ le temps de vol) à une cinquantaine de kilomètres à la ronde permettra non seulement de faire de l'ISR au dessus d'une zone bien précise mais aussi d'apporter un support à TOUTES les troupes alentours dans un rayon assez vaste.
Pour arrêter des convois de pick-up, détruire un bâtiment à l'autre bout de la ville et déloger une position insurgée en moins de 10min, il n'y a pas mieux.
On est d'accord pour dire que les bombes de 250kg présentent des inconvénients, les forces elles-même le souligne. C'est aussi pour ça qu'on propose des charges en béton sans explosif pour réduire les dommages collatéraux.
Mais au final, il faut bien voir que dans la réalité opérationnelle de Libye et du Mali, la plupart des objectifs de l'Armée de l'Air ont été traité à la bombe Mk82, qu'elle fusse lisse, GBU ou AASM.
Les Tigre et leurs 30mm et roquettes ont apporté un appui-feu indéniable, mais qui seraient, en l'état, difficilement transposable à un C-130.
Comme on le voit dans la seconde partie de l'article, le débat est tenace, et les deux "camps" ont de bons arguments.
Le fait est que les deux postures tactiques entrainent des avantages et des inconvénients.
-Vaut-il mieux une canonnière équipée de canons type 30mm pour du support plus précis mais ponctuel qui devra être complétée par des chasseurs pour des interventions lourdes où sur une plus grande superficie ?
-Ou vaut-il mieux un Hercules-bombardier capable de couvrir une plus grande zone en volant à distance de sécurité (plus compatible ISR) mais nécessitant un support d'hélicoptères de combat (ou d'UCAV-MALE si on armait les Reaper) pour des frappes de précision nécessitant de réduire les dommages collatéraux ?
Dans les deux cas, il faudra que la solution soit intégrée aux moyens existants.
On ne peut pas armer les Hercules en se disant qu'ils remplaceront les chasseurs ou les HDC. Ils seront complémentaires, c'est une nécessité.
Reste à voir pour quelle solution on optera.
Anonyme
Il manque un intervenant dans le processus de la réno OACI des C130 FAF : L' AIA CF.
En effet, SBT fournit les kits et l'AIA CF les installe.