Suite au conflit libyen de 2011, l’Armée de l’air française a identifié un réel besoin pour une munition légère capable d’être employée en zones urbaines et périurbaines avec un très faible risque de dommages collatéraux. En effet, durant les opérations, certaines cibles étaient inaccessibles aux Rafale équipés de l’AASM, ce qui imposait de faire intervenir les Tornado britanniques armés de missiles légers Brimstone. Après l’intégration en urgence de la GBU-12 pour le conflit Afghan, c’était la seconde fois qu’étaient mises à mal les certitudes de l’Armée de l’air concernant l’articulation de l’armement conventionnel du Rafale autour de la seule famille AASM.
Depuis 2011 donc, plusieurs voies ont été explorées, l’intégration du Brimstone est un temps évoquée suite à un réel intérêt de l’Armée de l’air, avant qu’il ne soit décidé d’intégrer sur l’AASM le corps de bombe à faible dommage collatéral BLU-126, plus rapide à qualifier et depuis lors utilisé efficacement sur le théâtre du Levant. Entre temps toutefois, l’intervention militaire continue au Mali a soulevé d’autres besoins opérationnels incompatibles avec la solution BLU-126/AASM.
D’une part, il a été décidé récemment de catégoriser les déploiements opérationnels en fonction du théâtre d’opération: face aux risques d’exactions à l’encontre d’un pilote malencontreusement éjecté au dessus de l’Irak ou de la Syrie, seuls les Rafale biréacteurs, plus fiables, y sont désormais déployés, tandis que les Mirage 2000 sont majoritairement envoyés sur les terrains africains, de plus faible intensité. Or, ces derniers avions sont incapables de tirer l’AASM/BLU-126 en zone urbaine, et n’emportent de toute manière que deux bombes en point ventral pour le Mirage 2000D.
D’autre part, les adversaires opérant au Sahel ont adapté leurs techniques de déploiements à la menace aérienne française et évitent maintenant de se déplacer ou de se parquer en rangs serrés, là où une unique bombe GBU-12 peut faire des ravages considérables sur leurs véhicules peu ou pas blindés. Les Mirage 2000N qui épaulent les Mirage 2000D et qui ne peuvent pas embarquer de pod de désignation laser en point de fuselage latéral avant ont vu leur capacité d’emport en bombes doublée, permettant à une patrouille mixte Mirage 2000D/N de traiter jusqu’à 6 cibles contre 4 auparavant. Une façon de réagir aux tactiques de dissémination de l’adversaire, mais qui ne permet pas de répondre à la problématique de l’intrication des cibles au milieu des populations civiles, les bombes restant des GBU-12 de 250kg.
Face à la double problématique de la dispersion des cibles et de la limitation des dommages collatéraux, la première solution à avoir été étudiée consistait à l’intégration de pods de roquettes guidées par laser en lieu et place des missiles air-air en extrémité de voilure, mais une telle solution était incompatible avec le système d’armes du Mirage 2000, incapable de gérer des tirs successifs de munitions guidées sur ces points d’emport conçus pour un unique missile. L’intégration d’un canon apte au tir air-sol sous le point d’emport ventral avant gauche a également été au centre du programme de rénovation des Mirage 2000D, afin de lui permettre d’opérer jusqu’à l’horizon 2030. Si le canon offre une capacité de frappe légère et précise, il impose cependant de rapprocher dangereusement l’avion tireur de ses cibles, alors même que l’actualité en Libye, au Levant et en Égypte a démontré la présence de missiles sol-air MANPAD dans les rangs de Daesh et des groupes assimilés.
Finalement, la réponse trouvée par la DGA et Thales est à la fois un exemple d’astuce et de simplicité et a été présentée pour la première fois la semaine dernière au Salon du Bourget. Le programme est dénommé ASPTT (Air Sol Petite Taille Tactique) par la DGA, mais il s’agit pour l’industriel de la bombe BAT-120LG (pour Laser Guided), un armement nouveau basé sur une munition bien connue mais passée de mode depuis de nombreuses années. La BAT-120 est en effet une bombe d’appui tactique non-guidée développée par Thomson Brandt à la fin des années 1970 et dont la version anti-piste BAP-100 a connu son heure de gloire lors de l’attaque de la base aérienne de Ouadi Doum en 1986. Embarquées par 9 ou 18, ces petites bombes d’une trentaines de kilogrammes étaient conçues pour être larguées en grappe à très basse altitude. Un usage qui n’aura donc rien de commun avec la nouvelle génération de BAT-120.
La BAT-120LG ASPTT telle qu’exposée sous le Mirage 2000 d’essais en vol de la DGA conserve de la BAT-120 originale son système de fixation et de largage, ses dimensions générales, ainsi que ses ailettes déployables arrières cruciformes qui serviront uniquement à la stabilisation de la bombe. Le guidage laser sera assuré par le même autodirecteur qui équipe la roquette à guidage laser Aculeus de Thales/TDA, et le pilotage de la bombe sera assuré par des ailettes canard déployables à l’avant. Peu de détails sont connus sur la nature de la charge militaire légèrement supérieure à 10 kg, qui pourrait être dérivée de celle équipant l’obus de mortier de 120 mm également produit par TDA. Le poids de la bombe devrait se situer autour de 35 kg, ce qui permettra de limiter drastiquement les effets collatéraux de l’explosion.
Le choix qui a été fait par la DGA est celui de l’économie maximale et de la simplicité d’intégration, ce qui explique la réutilisation du corps de bombe et des pylônes d’emports de la BAT-120, déjà qualifiés sur Mirage 2000 (mais aussi Mirage III, Mirage F-1, Hawk, Jaguar, Alpha Jet, MB-326, M-345 et A-4 Skyhawk), ainsi que de l’autodirecteur de la RGL Aculeus en cours d’intégration sur hélicoptère Tigre et qui devrait être pleinement compatible avec la conduite de tir GBU-12 du Mirage 2000.
Comme pour les BAT-120/BAP-100, le Mirage 2000 devrait embarquer 18 bombes en emport ventral central, la disposition en point latéral arrière présentée au Bourget n’étant pas représentative de la campagne de test en vol déjà entamée, ni de la future configuration opérationnelle. Sur d’autres plate-formes plus légères, avions ou drones, et s’il en est fait la demande à l’industriel, il sera possible également de proposer la BAT-120LG depuis des emports par 3, 6 ou 9 en fonction des besoins du client. Ces détails restent cependant sujets à caution. La bombe de test présentée sur le stand de la DGA et qui ne dispose pas de tous ses sous-systèmes, reprend en effet pleinement le système d’accroche et d’éjection de la BAT-120, autorisant les emports en trois rangées de trois bombes. Du côté de la DGA, il nous a été confirmé que ce type de disposition par empilement restait envisagé pour la version LG, et la nécessité de maintenir les coûts les plus serrés plaideraient pour la conservation du système d’éjection initial. Reste que les visuels et les maquettes exposés par Thales présentaient un système d’accroche simplifié, ne montrant pas la capacité d’empilement des bombes. Il est fort probable qu’il s’agisse uniquement d’une volonté esthétique, afin de présenter un équipement à l’allure plus lisse, mais le développement de l’ASPTT n’en est qu’à son début, et des évolutions de design et de configurations d’emport peuvent encore survenir.
Contrairement à son aînée, la BAT-120LG est conçue pour être tirée depuis des altitudes moyennes et hautes, généralement au dessus de 5 000 m d’altitude. Même si les essais en vol de la DGA cherchent à définir les conditions d’emploi spécifiques à ce nouvel armement qui sont pour le moment méconnues dans les détails, l’objectif reste de pouvoir employer cette munition légère dans des conditions de tir assez proches de celles d’une GBU-12, en terme d’altitude et de vitesse de largage. La portée de l’arme, cependant, sera inférieure à celle de la GBU-12, puisqu’elle devrait se situer autour de 5-8 km contre 10-15 km pour la bombe de 250 kg.
Pour les tirs à longue portée sur des cibles fixes, la majeure partie du vol de la munition devrait se dérouler de manière balistique, le calculateur du Mirage 2000 étant particulièrement réputé pour la précision de ses tirs sans guidage terminal. Le pilotage de la munition ne devrait alors intervenir qu’à la fin du vol, afin de corriger la position de la bombe et de frapper la cible désignée avec une précision sub-métrique. Même si la bombe devrait être capable de suivre la tâche laser de l’illuminateur tout au long de son vol (elle dispose de deux modes, un mode “stand alone” ou le code laser est entré à la main avant le décollage, et un mode “à la volée” ou le code est entré par induction par le vecteur), le fait de maximiser le vol balistique, un mode de tir également pratiqué sur GBU-12, permettra des tirs depuis de plus longues distances et devrait également permettre à la BAT-120LG de frapper quasiment à la verticale, à la manière d’une AASM, réduisant encore plus les effets collatéraux de la bombe, et maximisant son efficacité en zone urbaine.
En théorie, à l’instar de la GBU-12, la BAT-120LG devrait également être capable de traiter des cibles en mouvement se déplaçant à vitesse modérée, une capacité importante pour les opérations dans le Sahel. Ces modes de tir devraient sans doute impliquer un pilotage plus continu de la bombe, avec un temps de vol balistique réduit, et une capacité moindre à frapper verticalement. Plus encore que pour la GBU-12, il conviendra sans doute pour l’illuminateur, qu’il soit à bord du Mirage 2000 ou déporté au sol, d’anticiper le déplacement de la cible et le temps de vol de la munition afin de viser une boite (sans doute d’une cinquantaine ou une centaine de mètres de rayon) où devraient se trouver la cible au moment de la frappe, afin d’assurer un coup au but. L’exercice est délicat, et des ratés ont déjà eu lieu, notamment avec des GBU-12 tirées de chasseurs ou d’ATL2, mais les contraintes en sont connues et le plus souvent maîtrisées.
Pour l’instant, seule l’intégration au Mirage 2000 semble envisagée, en grande partie parce qu’elle a déjà été faite, soit matériellement et mécaniquement, concernant le corps de bombe et son lanceur, soit en matière de système d’arme grâce à la conduite de tir des GBU-12. Le Rafale ne devrait donc pas être concerné par cette munition, dont la qualification s’avérerait longue et coûteuse, alors même que l’appareil a plutôt besoin besoin d’une capacité d’emport secondaire en sus de ses AASM, ce que le lanceur de 9 ou 18 BAT-120 ne peut offrir, puisqu’il viendrait forcément prendre la place d’un lanceur triple d’AASM ou d’un réservoir de carburant externe, trop importants sur le Rafale en OPEX.
Ce programme ASPTT marque cependant une vraie rupture pour l’Armée de l’air, qui jusqu’ici cherchait à optimiser ses chaînes logistiques en évitant de multiplier les munitions propres à une unique plate-forme. A travers l’exemple de la BAT-120LG, on voit pourtant qu’un armement développé sur-mesure pour un unique vecteur peut s’inscrire dans une volonté de réduction des coûts et d’optimisation des moyens. De ce qui nous a été dit au Bourget, les réflexions et le travail progressent depuis quelques semaines autour de l’intégration de lance-roquettes guidées laser sur le Rafale, un armement propulsé qu’il serait plus facile d’intégrer sur le point 3 de voilure du Rafale que des BAT-120 larguées. De plus, ce type d’armement disposerait d’une portée légèrement accrue, ainsi que d’une polyvalence (différents types de roquettes, tir en salve). Le missile Brimstone, toujours présenté sur le stand de Dassault, continue d’intéresser certains clients du Rafale, dont l’Armée de l’air, mais son intégration n’est jamais passée en tête des priorités et il est probable que l’intérêt pour ce petit missile aille décroissant dans les années à venir.
En effet, le programme AASL (Armement Air Sol Léger) pourrait bien être lancé l’année prochaine afin d’équiper le Rafale d’armements stand-off plus légers, de plus longue portée et à l’emport plus nombreux que les AASM, afin de compléter l’arsenal air-sol de l’Armée de l’air. Avec sa famille SmartGlider, également dévoilée au Salon du Bourget, MBDA semble se positionner très spécifiquement pour le marché français, non seulement pour le futur AASL avec le SmartGlider de 120 kg, mais également pour le remplacement des GBU-24 avec le SmartGlider de 1 200 kg.
Après l’inter-connectivité des vecteurs, l’amélioration et la diversification des armements embarqués est enfin (!) revenue au cœur des débats de nos forces aériennes. Grâce aux RETEX les plus récents, mais aussi à la communication entre les organes officiels et les industriels, on devrait voir apparaître dans les prochaines années des gammes entières de nouveaux armements adaptés aux menaces.
Reportage, article et photos de Yannick Smaldore et Yves Pagot (sauf indication contraire)
2 Comments
Patrick_ad.net
Super article très complet sur l’ASPTT.
Je reste persuadé qu’un lanceur double de 18 armes, protégées dans un conteneur doté de soutes ou semi-ouvert à l’instar du Rafaut LBF2 (servant à l’emport des bombes d’exercice F4) pour offrir une résistance aérodynamique moindre, comparable à celle d’un bidon de 1200L ou d’un SCALP, ne devrait pas dépasser les 850 kilos pylône compris et s’avérer infiniment plus simple à intégrer sous Rafale de la sorte. Ce qui évacuerait une partie de la question du coût d’intégration.
Emporté sous chacun des points 2 de voilure, ce système pourrait constituer un armement exceptionnel pour le Rafale. Imaginez : 36 armes de précision à létalité réduite, guidées laser à précision sub-métrique et low-cost, pour le CAS, ce serait un game changer qui placerait le Rafale loin devant les combos F-15/16/18/22/35 + SDB en termes de létalité pour le type de CAS pratiqué aujourd’hui au dessus de la Syrie et dans la plupart des conflits assymétriques. Une canonnière volante décuplant les capacités françaises pour un coût maîtrisé.
Couplé aux pods de roquettes guidées laser en point 3 ajoutant 14 armes guidées, ce seraient même 50 armes de précision capables de détruire pick-ups, petites fortifications, VBIED, véhicules blindés, et personnels ennemis sur le champ de bataille, qui seraient disponibles sous un Rafale, toujours doté, dans cette configuration, de ses trois bidons de 2000L et de 4 missiles air-air lui assurant un excellent rayon d’action et un loitering time élevé. Le tout pour un poids équivalent aux configurations à 6 AASM ou 2 SCALP.
De même, on peut imaginer une version de l’ASPTT dotée d’une évolution du moteur fusée de la BAP100 ainsi que d’une tête militaire combinant une charge creuse et à fragmentation suivant le profil de détonation choisi, permettant ainsi d’obtenir, toujours à bas coût, une mini AASM très bien dimensionnée et capable d’une portée flirtant avec celle d’un brimstone 1, soit 20km.
Pour le travail que l’on demande aujourd’hui aux Rafale en CAS, mais aussi pour la lutte anti-chars, même contre ceux dotés d’un fort blindage de toit, l’attaque par le haut, à la manière d’un missile Javelin, couplée à la forte vitesse terminale d’une charge de 10kg, est par ailleurs de nature à permettre de percer à peu près n’importe lequel d’entre-eux (sans compter que le nombre d’armes emportées autorise un doublement, triplement ou quadruplement des coups).
Vraiment une bonne surprise que voir cette renaissance de la BAT120 et d’imaginer tout le potentiel d’évolution de cette munition. C’est décidément dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.
Xman
Article interessant. Un peu decu d’apprendre qu’en l’etat ce systeme serait reserve au M2000, mais bon si on vise un faible cout cela s’explique.
Je suis d’avis qu’un booster rudimentaire aurait un interet pour l’allonge , mais aussi pour rendre l’armement compatible sur d’autres vecteurs , ATL2 , C130 des FS, UCAV ..etc. Forcement cela implique une complexite et un cout de developement superieur. Peut etre dans une deuxieme phase.
En attendant cela reste effectivement une bonne surprise dans l’esprit on a peu de moyens mais on a des idees. Cela change des programmes couteux pas forcement adaptes au type d’ interventions de faible intensite auxquels nous sommes malheureusement de plus en plus confrontes ( Mali, Sahel..etc )