Le mardi 28 février à 13h30, Yvon GOUTX est accueilli chez Jean-Paul et Christiane SAUSSIER, à Toul. Il fait un temps de «cochon». Il tombe des cordes, il y a un vent à décorner tous les cocus de la terre et il ne fait que 8°C au plus chaud de la journée.
Un temps de «cochon» la veille de la célébration des 30 ans de «Ouadi-Doum 2» par l’EC 3/3 «Ardennes», dont l’emblème et la mascotte sont le sanglier ou «cochon» de cette belle région de France, c’est dans la logique des choses.
Cette célébration devait avoir lieu deux jours plus tard, le 3 mars (3/3), évidemment. Les «jeunes» de l’«Ardennes» ont de l’esprit ! Malheureusement, les salons du superbe Hôtel de Ville de Nancy, où la fête a pris fin, n’étaient disponibles que le mercredi 1er mars. Et puis en Lorraine, il fait meilleur en mars que le 7 janvier, jour anniversaire de cette fabuleuse mission réalisée trente ans plus tôt par les «Cochons» de l’«Ardennes», les «Chèvres» du «Belfort», les «Chasseurs aux yeux bleus» du «Cornouaille», tous ces «pointus» dirigés par les «pingouins» de la 21F de Nîmes-Garons et ravitaillés par les «Nounous» des «Landes», «Aunis» et «Sologne».
A 9h30, Jean-Paul et Yvon rejoignent les locaux du 3/3 par un cheminement que Jean-Paul, qui a passé près de 10 ans sur cette base, découvre. La météo s’est calmée. Il ne pleut pas et les quelques rayons de soleil qui arrivent à percer la couche nuageuse ont permis de gagner trois à quatre degrés de température. Les locaux de l’escadron sont les mêmes qu’à la fin de la Guerre Froide. Sauf peut-être le bar qui a été agrandi ainsi que la salle d’ops permettant d’accueillir des navigateurs dans les trois escadrilles. La peinture a tout de même un peu passé mais l’odeur de kérosène filtrant du hangar fait vibrer les narines d’Yvon qui n’a pas la chance de Jean-Paul de sentir ça tous les matins, quand les Mirage 2000D de la 3ème Escadre de Chasse décollent.
Les deux «Anciens» sont scotchés par ce qu’ils voient sur le parking, devant le hangar. Un Jaguar au camouflage «chocolat-vanille» immatriculé 3-XO et portant le numéro A100 (1), en configuration de guerre avec un superbe AS 37 Martel sous le ventre, tel celui que pilotait le Lieutenant Guy Wurtz le 7 janvier 1987, côtoie un radar «Flat-Face» reposant sur un Zil 134, camion de fabrication soviétique ! (2) Yvon, un ancien de la «Reco» (3), mitraille avec son Sony Cyber-Shot, qui a remplacé l’Oméra 40 de son Mirage F1CR et les Oméra 31 des Mirage IIIR qu’il a pilotés avant à la 33ème Escadre de Reconnaissance. C’est magnifique ! Quel boulot ! Bravo les jeunes.
Mais le temps passe et ils sont attendus…
Jean-Paul et Yvon sont alors dirigés vers la salle de repos, plus communément appelée «le bar». Il y a déjà foule. Le «café-croissants» offert par le 3/3 permet aux jeunes de faire connaissance avec quelques uns des héros aux cheveux gris. Une compagnie de sous-officiers en tenue de parade se réchauffe, avant de se mettre sur les rangs, en écoutant les «anciens» qui, pour certains, ne se sont pas vus depuis plus de trente ans…
Le Lieutenant-colonel David Martel (ça ne s’invente pas), commandant du 3/3 «Ardennes», accueille les deux nouveaux arrivants qui sont rapidement tirés par la manche par d’autres anciens, déjà présents.
-
«Ah, Leuv ! T’es là ! Qu’est-ce que ça m’fait plaisir de t’revoir» dit Yvon à Dominique Loewenstein, seul représentant des équipages de C135 F de 1987.
Dominique et son équipage n’étaient pas de cette mission. C’était le 5ème Boeing, resté au sol, en spare (4). Mais Yvon et Dominique avaient vécu, le 3 janvier, lors d’une mission de Défense Aérienne le long du 16ème parallèle nord, une aventure qu’ils se remémorent en éclatant de rire, entraînant dans leur hilarité les équipages de leurs hôtes.
-
«Ah, bonjour «Taco». Qu’est-ce qu’on est contents de t’revoir». Disent en cœur «Sausback» et le «Minet» (5) à Philippe Najean, «Taco» (6) à bord de l’Atlantic «UE» de la 21F de Nîmes-Garons.
-
«Bonjour Chef !». C’est le Colonel (CR) Jean-Marie Peccavy, Adjoint tactique du Comélef (7) et Chef de la mission à bord du Breguet Atlantic de la Marine Nationale, qui vient de rentrer au bar.
-
«Salut «Nanard». Lui c’est le Général (2S) Bernard Gallais, qui est arrivé du 2B de Paris à N’Djamena le 6 février pour nous dire toutes les vilaines choses que l’ennemi, le Colonel Kadhafi, Goukouni Oueddeï (8) et leurs troupes, ont installé depuis un an, sur les terrains de Ouadi-Doum, de Faya-Largeau, au Tchad, et de Maaten-al-Sarra et Aouzou, au sud de la Libye.
Entre alors le «Guitou», Guy Wurtz, celui qui a tiré l’AS 37 Martel ce jour-là. C’est la vedette du jour. Il n’a pas changé. Certes, 10 ans plus tôt, certains des anciens de cette mission s’étaient retrouvés au Cercle National des Armées à Paris pour fêter, en janvier 2007, les 20 ans de cette frappe chirurgicale (9) et avaient pu constater qu’il était toujours aussi jeune mais tout autant dégarni. Quand il est descendu de son Jaguar en tout début après-midi, trente ans plus tôt, et qu’il a retiré son casque, il n’avait pas plus de cheveux sur le «caillou» qu’aujourd’hui.
Dominique Putois, le seul des huit «Chasseurs» du «Cornouaille», chargés de la protection de l’Atlantic et des C-135, rejoint la bande des anciens. «Tonio», chef du détachement précédent du 3/3, est là aussi. L’officier de renseignement de l’escadron, Patrice Guinard-Thébault, que Michel Justin avait suppléé pour le détachement, a revêtu sa tenue de brigadier pour s’associer aux guerriers.
C’est à quelques minutes seulement du début de la cérémonie, que «Taquet», alias André Carbon, le patron du «Roussillon» trente ans plus tôt, n’ayant pas reçu l’invitation lui facilitant l’entrée sur la base, rejoint les anciens in extremis dans la tribune officielle. Ouf… Salut «Taquet» !
A 11 h 00 précises, les troupes et le drapeau sont en place pour l’arrivée du Colonel Loïc Rullière, commandant la Base aérienne 133 et du Lieutenant-colonel David Martel, patron de l’«Ardennes». Ils sont accompagnés jusqu’au drapeau, par le Général de Brigade aérienne Bruno Caïtucoli, Chef du BEAD (10), qui a commandé le 3/3 quelques années plus tôt. Un «Box» de quatre Mirage 2000D survole le Jaguar A100 et le Flat-Face devant lesquels la garde au drapeau et les trois escadrilles de l’escadron présentent les armes pour une Marseillaise et une revue des troupes commandées par le second de David Martel, le Lieutenant-colonel Xavier Rival.
Après la remise de deux croix de la valeur militaire, d’une «defnat» et d’une lettre de félicitations, mise en musique par des passages à basse altitude des quatre Mirage 2000D, un ordre du jour est lu par «Charles», le patron du 3/3, alias David Martel. Les anciens versent une petite larme et les jeunes les consolent en écoutant avec attention et respect le récit précis de la mission du 7 janvier 1987.
- – «Ouvrez le ban»
«… Le 6 janvier 1987, la mission échoue car les radars n’émettent pas … Une deuxième mission est décidée par le CEMA le lendemain. Pour forcer l’émission des radars de la base de Ouadi-Doum, une patrouille de Mirage F1CR attaque la base par l’ouest … Illuminés par le radar de Faya puis de Ouadi-Doum, les F1CR … L’équipier numéro 2 de la patrouille du 3/3 «Ardennes» tire son AS 37 Martel sur le Flat-Face … Quelques secondes plus tard, le radar n’émet plus…»
-
«Fermez le ban»
Après une deuxième «Marseillaise» chantée par les troupes et tous les anciens, le drapeau et le Colonel quittent la place d’armes et les rangs sont rompus.
Suivent un apéritif et un déjeuner dans le hangar où anciens et jeunes partagent leurs souvenirs, vieux de 30 ans pour les premiers ou beaucoup plus récents pour les seconds. Un superbe Mirage 2000D repeint aux couleurs sable du A100 et portant, sur le bord de sa verrière, le nom du héros du jour, le «Guitou», a été rentré dans le hangar, présenté aux anciens par leurs jeunes. Les acteurs de la mission de 87 sont photographiés devant lui, tenant la carte «peau de couillée» (11) que «Guitou» a conservée.
Débuté à 12h30 après les speechs de «Charles» et du Colonel, le repas se termine vers 15h00. Une tombola et quelques jeux prolongent ces échanges jusque vers 17h00.
A 18h30, tout le monde se retrouve dans les magnifiques salons de l’Hôtel de Ville de Nancy. David Martel y va de son discours rendant hommage à ses anciens de l’ «Ardennes» avant de passer la parole à Jean-Marie Peccavy qui présente à tous la mission dont il était le chef. Même les anciens en découvrent, 30 ans après, les secrets, notamment une mission Ouadi-Doum 3 qui devait être effectuée de nuit par les Jaguar de la 11ème Escadre, dirigée par un Mirage F1CR… si «Guitou» n’avait pas tiré…
A 20h30, les bouteilles de Champagne sont épuisées. Il est temps de passer à la partie dînatoire du cocktail, communément appelé «mange-debout». Les jolies serveuses de la base font merveille. Elles présentent des canapés salés sucrés aux invités en slalomant entre jeunes et moins jeunes, lesquels posent un coude sur les petites tables rondes pour soulager leurs reins tandis qu’ils lèvent l’autre pour boire un ou plusieurs coups ! David Martel en profite pour clôturer les speechs par une comparaison humoristique et intelligente des «chasseurs» de 1987 et de ceux de 2017.
Quand chacun reprend le chemin du domicile ou de l’hôtel, il est plus de 23 h 30. Les nombreuses épouses encore présentes ont pu remarquer que l’esprit de la «Chasse» découvert avec leurs pilotes ou navigateurs de maris demeure…
… Avant de se quitter, rendez-vous est pris pour fêter les 40 ans de cette mythique mission… Et à la chasse… B… !
Yvon Goutx, leader des «Chèvres»
photos de l’auteur, sauf mentions contraires
NDLR :
Si vous désirez en savoir plus sur cette mission, nous vous invitons à en lire le récit complet par l’un des principaux protagonistes du raid, l’auteur de cet article, sur le site de l’association Les Vielles Tiges
Yvon GOUTX a aussi écrit deux ouvrages autobiographiques que Portail Aviation ne peut que conseiller: “Le ciel est mon désir. Pilote de chasse pendant la guerre froide, 1969-1991” et “L’envol du Qatar. Regard d’un -chasseur- blanc au pays de l’or noir”. Un troisième ouvrage est en cours de finalisation … Les personnes intéressées par ces ouvrages peuvent contacter la Rédaction qui transmettra à l’auteur.
Notes :
(1) En fait le A26 redécoré et mis dans la configuration de l’époque pour la circonstance. Le vrai A100 a été retiré du service et envoyé à Châteaudun le 18 septembre 2000 avec 4728h15 de vol au compteur !
(2) Le Flat-Face était un radar d’acquisition et de veille lointaine. Il était souvent posé sur un camion de type Zil 134. Il équipait aussi, ce jour-là, la base de Faya-Largeau.
(3) “Reco” pour Reconnaissance, mission principale de la 33ème Escadre de Strasbourg-Entzheim.
(4) L’Armée de l’Air avait acquis 12 C135F en 1964 pour ravitailler les Mirage IVA de la Force Aérienne Stratégique. Le C135F n° 473 a été perdu dans un accident le 30 juin 1972 à Hao, en Polynésie. Jusqu’à l’arrivée, encore attendue, du premier A-330 MRTT, et des 3 KC 135 RG acquis en 1997 auprès de l’USAF, les FAS ne disposaient que de 11 Boeing C135F remotorisés pour devenir des C135FR entre 1986 et 1989.
(5) Tous les pilotes de chasse, encore aujourd’hui, ont un “nom de guerre” utilisé à la radio en opérations, qui est souvent un “surnom”, parfois lié directement aux fonctions exercées lors de cette mission. “Guitou” est celui de Guy Wurtz, “Sausback ou la Sauce”, celui de Jean-Paul Saussier, “Nanard” celui de Bernard Gallais, “Leuv” celui de Dominique Loewenstein, “Taco” celui de Philippe Najean, “Chef”, celui de Jean-Marie Peccavy, “Taquet”, celui d’André Carbon, “Tonio” celui de Pierre-Alain Antoine et “Minet” celui de l’auteur.
(6) “Taco” : coordonnateur tactique. Officier chargé à bord de l’avion de la Marine Nationale, de suivre la mission en synthétisant les informations données par les autres membres de l’équipage écoutant les fréquences radios et les émissions électromagnétiques.
(7) Commandant des Eléments Français : le Colonel Yves Joseph ce jour-là
(8) Le Président tchadien, Hissen Habré, avait pris le pouvoir à son frère-ennemi, Goukouni Oueddeï, en juin 1982. Goukouni Oueddeï était soutenu ouvertement par le Colonel Kadhafi.
(9) Frappe à l’aide d’un armement permettant d’éviter les dommages collatéraux, victimes civiles entre autres
(10) BEAD : Bureau Enquête Accidents de la Défense
(11) Les cartes de navigation étaient recouvertes de mipophilie, feuille de plastique permettant de tracer les missions avec un crayon gras ou un feutre effaçable. Tous les pilotes appellent cela de la “peau de couilles”.