Dans quatre jours, le lanceur Soyouz s’envolera avec à son bord deux satellites : “Sentinelle”, un satellite d’observation de la Terre et “MicroSCOPE” (Micro–Satellite à traînée Compensée pour l’Observation du Principe d’Equivalence). C’est ce satellite qui va essayer de montrer que le principe d’équivalence édicté par Albert Einstein comme un principe toujours prouvé par l’expérience subit une violation.
Qu’est ce que MicroSCOPE ?
Il s’agit d’un micro-satellite, c’est à dire un satellite ayant un volume inférieur à un mètre cube et ne disposant pas de moteurs pouvant délivrer des poussés importantes.
Il sera mis en orbite à 700km de la terre pour une durée de deux ans. Le lancement aura lieu le 22 avril et sera réalisé par le CNES avec un lanceur Soyouz depuis le Centre Spatial de Kourou. Sa mise en service est prévue le 27 avril. L’objectif du satellite MicroSCOPE sera de tester la validité du principe d’équivalence dans l’espace.
Qu’est ce que le principe d’équivalence ?
Ce principe, qui sert de base à la théorie de la relativité générale d’Einstein, est celui qui établit l’égalité entre la masse inertielle et la masse gravitationnelle. Concrètement, cela implique qu’un observateur placé dans une capsule propulsée dans l’espace avec une accélération d’un G aura les mêmes sensations et réalisera les mêmes expériences physiques qu’un observateur placé dans une capsule similaire, au sol, dans le champ de gravité terrestre, sans possibilité de savoir s’il se trouve dans l’une ou l’autre des capsules. Il y a ainsi une égalité parfaite entre accélération et gravitation, et les lois élémentaires de la physique s’appliquent donc de la même manière, indépendamment du référentiel dans lequel on se place.
De cette égalité découle l’universalité de la chute libre dans le vide. C’est ce qu’illustre ce que nous avons tous appris : une plume et une bille de plomb lâchées dans le vide, arriveraient au même moment au même point. Seul le champ de gravité impacte la chute des objets, pas leur propre masse.
Comment fonctionne MicroSCOPE ?
Le but est d’essayer de trouver une violation du principe d’équivalence. Pour cela, l’ONERA, qui est le leader scientifique (PI – Principal Investigator en anglais) de la mission, a développé le T-SAGE (Twin – Space Accelerometer for Gravitational Experiment).
Cet instrument sera en orbite autour de la terre. Cette trajectoire est comparable à une chute libre permanente. Les masses à l’intérieur des accéléromètres sont accélérées pour être maintenues concentriquement sur une même trajectoire grâce au contrôle électrostatique.
L’instrument est en réalité composé de deux accéléromètres ultra précis. Le premier est l’accéléromètre de référence. Les deux masses de cet accéléromètre sont dans le même matériau, et devront donc subir une accélération égale. Le second, l’accéléromètre de mesure contient deux masses de matériaux différents, platine et titane, en chute libre et sous vide. Si une différence d’accélération de contrôle des deux masses est détectée, cela mettrait en évidence une violation du Principe d’Équivalence. La précision de la mesure sera de 10-15 m.s-2. Cela représente le rapport entre la masse d’une mouche et un supertanker de 500.000 tonnes.
Afin de contrôler parfaitement son altitude et sa vitesse, un système spécifique de contrôle d’altitude et de compensation de traînée, utilisant un système de propulsion à gaz froid a été développé par le CNES. Il est basé sur des micro-propulseurs à poussée continue. Cette technologie, d’une extrême précision, ouvre la voie à d’autres missions scientifiques, nécessitant de compenser la traînée et, de façon plus générale, toutes les forces non gravitationnelles. Elle est aussi prometteuse pour la préparation des missions futures comportant plusieurs vaisseaux spatiaux en formation, leur trajectoire relative devant être contrôlée avec une très grande précision.
Que se passe-t-il après le lancement ?
La mise en orbite ne signe pas la fin du travail pour les ingénieurs et les physiciens. Il faut en effet recevoir les données. C’est le travail des équipes du CNES, à Toulouse. Cette équipe reçoit les données et s’assure du bon fonctionnement du système de traînée compensée, vital pour la réussite de la mission.
Chaque jour, les données seront envoyées au centre de mission scientifique (CMS), situé à Palaiseau (91) et géré par l’ONERA.
C’est dans ce centre que les physiciens, en liaison avec les astronomes de l’Observatoire de la Côte d’Azur, effectueront les calibrations nécessaires et analyseront les données. Les scientifiques qui ont proposé la mission auront un accès privilégié aux données durant la période de calibration et de validation des données. C’est également depuis ce CMS que sera mis à jour le scénario de mission, en relation avec le CNES à Toulouse.
La mission doit durer deux ans, les premiers résultats devraient être connus en janvier 2017.
Pourquoi vouloir invalider le principe d’équivalence ?
En physique, il existe actuellement un modèle standard, qui s’applique à la physique des particules, et qui étudie les forces électromagnétiques, la force nucléaire faible et la force nucléaire forte. Ce modèle standard s’intéresse à la matière à son niveau le plus élémentaire, ce que l’on nomme “l’infiniment petit”, et l’évolution actuelle de ce modèle standard repose intimement sur les études les plus récentes en physique quantique.
La relativité générale, quant à elle, est une théorie de la gravitation, qui englobe et dépasse les limites de la physique newtonienne qui prévalait avant Albert Einstein, et s’applique à l’étude du cosmos et de “l’infiniment grand”. Mais cette physique de l’infiniment grand présente des incompatibilités fondamentales avec la physique quantique. Les lois fondamentales qui s’appliquent à l’échelle des particules élémentaires sont tout simplement incompatibles avec ce que l’on perçoit à notre échelle et, qui plus est, à l’échelle de l’univers.
Mais pour répondre à certaines questions fondamentales de la physique moderne, par exemple pour savoir ce qu’il s’est produit juste après le Big Bang, ou pour comprendre ce qui se passe au cœur d’un trou noir, les physiciens ont besoins d’outils théoriques capables d’opérer à la fois dans la physique quantique et dans la relativité générale d’Einstein.
Unifier la physique quantique et les théories de la relativité d’Einstein dans une sorte de relativité quantique ou de “théorie du tout” est donc un objectif majeur de la physique moderne. Certains modèles, en cours d’élaboration, sont ainsi assez avancés conceptuellement, mais manquent de preuves expérimentales pour étayer les théories. Or, justement, ces modèles d’unification indiquent la possibilité d’une violation du principe d’équivalence à une échelle extrêmement faible. Les scientifiques ont donc imaginé des «bosons de jauge» qui pourrait se traduire, selon la valeur de leur masse, par une nouvelle force à longue portée. Cette «cinquième force», en s’ajoutant à la gravitation, pourrait se manifester par de subtiles violations du principe d’équivalence décelables par MicroSCOPE.
Si l’expérience MicroSCOPE est un succès, ses expérimentations ne remettraient pas en compte fondamentalement les principes établis par Einstein, mais pourraient au contraire donner des arguments à une unification des deux théories fondamentales de la physique, ce qui était le grand rêve inabouti d’Albert Einstein.
5 Comments
James
Je vois une différence: La capsule propulsée dans l’espace avec une accélération d’un G aurait (théoriquement) atteinte au bout d’un certain temps la vitesse limite qui est la vitesse de la lumière. Tandis que celle restée sur Terre peut rester immobile.
Toutes ces déplacements sont p/r à la Terre bien sûr.
Après mes compétences en Physique ne me permettent pas d’aller plus loin dans les explications.
Yannick SMALDORE
Effectivement. Après, le principe d’équivalence s’applique à des référentiels qui se conçoivent eux-même comme des “moments” d’une certaine manière. On compare ainsi le champ gravitationnel de la Terre à une accélération constante dans un mouvement rectiligne loin de tout champ gravitationnel important. C’est l’expérience de pensée formulée par Einstein qui a servi de point de base pour comprendre notamment la constance de la vitesse de la lumière (quel que soit le référentiel donc) et d’en déduire les grands principes de l’existence (et de la courbure) de l’espace-temps. Mais là on rentre dans des considérations bien plus complexes, et on peut se reporter à d’excellentes conférences (Etienne Klein, Phil Plait notamment), ou quelques chaines YouTube (ePenser, VSauce etc.) pour avoir de la vulgarisation claire et intelligente sur la question.
Mais pour reprendre votre exemple, effectivement, si on prolonge l’expérience suffisamment longtemps, les référentiels ne peuvent plus être comparables: la cabine finira par atteindre une vitesse limite, et le champ de gravité de la Terre finira par disparaitre en même temps que la Terre et le système solaire. Mais comme il s’agit d’une expérience de pensée, ce n’est pas un soucis 😉
James
Merci pour votre réponse.
J’ai relu l’article et me suis rendu compte que l’expérience utilise la force centrifuge (ou centripède suivant la référence), ce qui enlève la contrainte de la vitesse limite.
En gros, si j’ai bien compris: la question est “Est-ce qu’il s’agit de la même masse dans les 2 équations, F = m G (force gravitationnelle) et F= m V2/R (force d’inertie)
Fox49
L’astuce pour conserver l’équivalence tout en continuant d’accélérer est que la masse augmente à l’approche des vitesses proches lumière. (je pense me souvenir qu’elle doit tendre vers l’infinit en c). Ainsi on a toujours
m*g = m*a
sur terre la masse et g sont constant, sur la trajectoire rectiligne la masse augmente et a diminue. d’où une vitesse qui grandis de moins en moins vite pour finir par atteindre une asymptote qui est c.
Haikai
http://www.onera.fr/fr/actualites/un-pas-important-pour-tester-le-principe-d-equivalence-l-echelle-atomique
Voici un lien qui nous donne un éclairage sur les recherches menées par l’ONERA.
Bonne lecture à tous.