Toutes les informations provenant d’Inde font systématiquement l’objet d’un buzz médiatique, et les informations officielles, interprétées par certains médias sont réinterprétées à l’infini, au point de ne plus savoir où est la limite entre la véritable information, et l’analyse. Car si l’information est un fait, son interprétation peut être erronée. Et c’est ce à quoi nous assistons depuis quelques jours. Oui le contrat MMRCA a officiellement été abandonné, mais non ce n’est pas le sujet principal de l’annonce.
Le 30 juillet 2015, le ministère de la défense Indien a publié un communiqué de presse informant, selon defense news, que l’appel d’offre MMRCA était officiellement abandonné. C’est tout du moins ce que le lanceur d’alerte, Defense news, a annoncé. Puis d’autres médias indien ont repris en boucle l’information, jusqu’à ce que beaucoup annoncent qu’un nouvel appel d’offre allait être lancé. Comme nous allons le voir, l’objet de ce fameux communiqué de presse est tout autre, et les interprétations de certains journalistes sont devenus des faits avérés… Un cas d’école.
Voici le communiqué officiel:
As per the India-France Joint Statement issued by the two countries during the Prime Minister’s visit to France, Government of India conveyed to the Government of France that in view of the critical operational necessity for Multirole Combat Aircraft for Indian Air Force (IAF), Government of India would like to acquire (36) Rafale jets in fly-away condition as quickly as possible. The two leaders agreed to conclude an Inter-Governmental Agreement (IGA) for supply of the aircraft on terms that would be better than conveyed by Dassault Aviation as part of a separate process underway, the delivery would be in time-frame that would be compatible with the operational requirement of IAF; and that the aircraft and associated systems and weapons would be delivered on the same configuration as had been tested and approved by IAF, and with a longer maintenance responsibility by France.
A Negotiating Team has been constituted to negotiate the terms and conditions of the procurement of 36 Rafale jets and recommend a draft agreement. The meetings of the Indian Negotiating team with the French side have commenced.
The RFP issued earlier for procurement of 126 Medium Multi Role Combat Aircraft (MMRCA) has been withdrawn. In this multi-vendor procurement case, the Rafale aircraft met all the performance characteristics stipulated in the Request for Proposal (RFP) during the evaluation conducted by Indian Air Force.
This information was given by Defence Minister Shri Manohar Parrikar in a written reply to Shri Ahmed Patel in Rajya Sabha on Thursday, 30 July 2015.
Dans le premier paragraphe, le ministère de la défense annonce que le gouvernement indien veut acquérir 36 Rafale le plus rapidement possible. Mais aussi que l’approvisionnement des avions se ferait dans de meilleures conditions s’il est directement assuré par Dassault Aviation via un processus différent que celui de l’appel d’offre MMRCA, ce qui correspond aux attentes opérationnelles de l’armée de l’air indienne. En outre, l’avion et ses systèmes associés seront livrés dans la même configuration que celle qui avait été testé et approuvée par l’IAF lors des essais de l’avion. La configuration sera donc dans un premier temps très proche de celle des avions de l’armée de l’air, contrairement à ce qu’affirme cet article d’Air & Cosmos. On apprends aussi que la responsabilité de la maintenance serait assurée par la France.
C’est donc un tournant majeur par rapport à l’appel d’offre initial, là où seulement 18 avions devaient être fabriqués en France, et la maintenance entièrement assumée en Inde.
Dans le second paragraphe, le communiqué précise qu’une équipe de négociation a été formée pour étudier les termes et conditions de l’achat des appareils, et recommandes la rédaction d’un accord écrit. On comprends bien que, si le processus d’acquisition devrait être bien plus rapide que les trois années de dures négociations qu’ont nécesité celles du MMRCA, ça ne sera pas immédiat non plus.
C’est le troisième paragraphe qui annonce que l’appel d’offre initial a été abandonné, et le communiqué tient à préciser que toutes les caractéristiques de performances du Rafale, évaluées par l’Indian Air Force, sont conformes à la RFP.
Dans le dernier paragraphe, il est indiqué que ce communiqué est une réponse écrite au parlementaire Shri Ahmed Patel. Ce détail n’est pas sans importance, car cela veut dire que la décision avait déjà été prise, comme nous le savions, mais qu’il s’agit là d’une réponse officielle.
Pourquoi un communiqué publié si tardivement ?
Comme nous venons de le voir, ce communiqué, qui en substance ne nous apprend rien, n’avait pas pour but d’informer d’une décision prise au moment de sa publication, mais était une réponse officielle à une question posée par ledit parlementaire. Ce n’est donc pas une information récente. On peut alors se demander pourquoi le ministère de la défense Indien n’a pas publié un communiqué en ce sens, au moment de la prise de décision ? Et bien tout simplement parce que ce dernier a été pris de court, la décision, ayant été prise à un échelon supérieur…
Nous avons expliqué en détail dans cet article la position particulière de M. Parrikar, ministre de la défense, qui a perdu la main sur ce dossier, et a même certainement joué un rôle actif dans les négociations qui n’ont jamais abouties. En effet, le RFP stipulait que le maître d’oeuvre de la construction du Rafale en Inde serait l’entreprise publique HAL, cette dernière n’étant pas en mesure de fabriquer l’avion dans un délai et avec des coûts compatibles avec les besoins de l’Indian Air Force.
Le premier ministre indien a donc décidé de passer outre les négociation, d’invoquer une urgence stratégique, et de discuter de gouvernement à gouvernement, comme la loi indienne l’y autorise. Nous pouvons conclure l’analyse de ce communiqué de presse en affirmant que rien, absolument rien n’est nouveau. Les lignes n’ont pas bougées.
Vers un nouvel appel d’offre ?
Des rumeurs voudraient que l’Inde se lance dans un nouvel appel d’offre. Nous préférons parler de rumeurs en attendant que cela soit confirmé par une voix officielle. C’est d’ailleurs en citant un officiel anonyme du ministère de la défense que le Times Of India nous apporte cet élément:
An RFP is expected to be drafted soon for making 90 MMRCAs in India. A global tender will be floated. The private sector will also have an active participation,
Cette information a-t-elle quelque chose de rationnel ? Selon notre analyse, c’est le cas. Pendant que l’Inde recevra ses 36 premiers Rafale, le “Made In India”, nom officieux prêté à une règle qui veut que les contrat d’achat d’armement Indiens soient systématiquement accompagnés de retours industriels en Inde de l’ordre de 50% du marché, n’est pas abandonné.
Il faut également noter une phrase extrêmement importante dans ce communiqué qui donne toute la valeur et du crédit à cette information: “Le secteur privé aura également une participation active”.
C’est un tournant majeur dans ces négociations. Car dés le début des négociations avec l’Inde, Dassault Aviation et ses partenaires devaient auditer les entreprises susceptibles de produire le Rafale localement. Or, nous savions de source industrielle que les partenaires publics indiens n’étaient pas entièrement en mesure de le faire, ce qui avait même poussé Dassault à identifier une seconde chaîne de fournisseurs…Dans le privé. Car si l’entreprise HAL n’est pas capable de satisfaire aux exigences pour pouvoir produire le Rafale, cela ne condamne évidemment pas toutes les entreprises indiennes !
Il est donc normal qu’un nouvel appel d’offre soit lancé afin de délimiter les besoins indiens, et pour que le fournisseur puisse y apporter une réponse claire.
Les autres constructeurs sont-ils invités à la fête ?
A en croire la même source du Times Of India, c’est possible:
As many foreign bidders were in the race when India set out to buy 126 MMRCAs, for which Dassault Aviation, the makers of Rafale, was finally chosen, the sources said all original bidders will be invited.
Possible, mais avec une réserve. Car si le communiqué officiel annonce que malgré l’abandon du MMRCA, le Rafale répond aux attentes de l’IAF, ce n’est pas le cas de tous les avions qui ont été testés. En réalité, un seul autre appareil pourrait logiquement à nouveau être opposé au Rafale, et c’est son frère rival européen, l’Eurofighter. Il serait illusoire de croire cependant que l’IAF pourrait opérer seulement 36 Rafale aux côtés de 90 Eurofighter Typhoon 2, des centaines de Su-30 MKI, des Tejas, et du futur avion de combat développé avec les russes sur la base du T-50, le FGFA.
Il faut plutôt voir dans la participation d’autres constructeurs la volonté du gouvernement Indien de maintenir les coûts en faisant jouer la concurrence. Ceci est notre prudente conclusion.
13 Comments
tori
Et pourquoi pas une chaine d’assemblage de mirage 2000H ?
L’avion est déjà modernisé sur place , il n’est pas obsolète en comparaison des gripens ou tejas MKII (et ,j’ose le dire, F-35).
Cela peux se mettre en place plus rapidement que pour tous les autres appareils en compétition. De plus vu les similitudes avec le Tejas cela peux lui profiter pour un hypothétique MK III
patex
@tori,
Le Tejas et le Mirage 2000 n’ont absolument rien en commun…
tori
Soiyez pas aussi catégorique , ce sont tous les deux des avions de chasse 🙂
L’inde veux produire local , dassault ne peux pas reproposer le rafale pour le mmrca2 puisque l’inde n’y arrive pas. Soit on abandonne soit on leur propose d’assembler des mirages , ils le connaissent déjà bien et s’est une source “d’inspiration” qui vas servir à faire évoluer le tejas.
C’est le meilleur choix pour eux comme pour nous non ?
ou dis-je des inepties ?
lukycold
Les deux dernier exercice (GARUDA et celui qui à récemment eu lieux avec les Anglais)militaire vont ils leurs donné une orientation sur leur choix pour le deuxième appel d’offre?
Il est dit sur les médias que les avions indien on mit une pile aux Anglais (vrais ou faux)! Quand est il de celui avec les rafales?
Car peux de chose ont filtré sur GARUDA.
Arthur 25
Su 30 mki qui dominent le tyfoon ? Ça serait vraiment surprenant et inquiétant ! J avais cru lire que même nos mirage 2000 C , n étaient pas ridicule contre les énormes su 30 mki … À moins qu ils y soient aller avec des tornados?
Walk'n
Oui je m’intéresse a GARUDA et la confrontation des Rafale contre les SU-30 MKI est-ce que quelqu’un aurait eu des infos off record ou un lien qui donnerait des infos ?
Runny
Bonjour,
Les derniers articles trouvés sur le net parlent effectivement d’une volonté de l’inde de faire baisser le prix unitaire de 10% par rapport au MMRCA car il n’y aurait plus de transfert de technologie associé. On parle aussi d’une demande de compensations industrielles à hauteur de 30% du montant du contrat. Compensations qui mettront forcément du temps à se mettre en place… J’ai l’impression que l’on est reparti pour un MMRCA bis… Les indiens ont décidément un comportement étrange pour une armée ayant un besoin opérationnel urgent.
thierry
l’inde c’est mal barré pour le rafale, il ne reste plus qu’a espérer un troisième contrat rapide avec les EAU peut être…
Rémi
Pourtant, je vois mal pourquoi l’Inde acheterait uniquement 36 rafale… Pour nous faire plaisir ? Amitié Franco-indienne ? Un cadeau bonux avec l’achat de 10 EPR ? Comme pour le Qatar, une contrepartie d’un accord politico-économique ?
Imaginez vous une armée de l’air avec 36 rafales aux côtés de 300 Su30 ?
Les quelques 400 Mig21 et MiG 27 doivent être remplacés. Par quoi ?
Le Tejas, peut-être.
EF ou JSF ? Pour des soucis d’homogénéité, ce serais plus raisonnable de se limiter à 4 types (Su30, Rafale, M2000, Tejas), ce serait déjà beaucoup.
A mon avis, il y aura d’autres commandes avec transfert de technologie et fabrication locale partielle (HAL ou dans le privé).
Autre sujet : Attention, vendre aux EAU pourrait être dangereux. Certains experts commencent à critiquer la vente au Qatar. Les amis d’aujourd’hui pourraient facilement devenir les ennemis de demain.
En plus, vendre le rafale à tout prix n’est peut-être pas une bonne idée à long terme. Ce n’est pas une poignée d’avions qui vont relever notre économie et créer les emplois qui nous font défaut. Surtout si c’est au prix de l’ouverture de nos aéroports aux compagnies aériennes du moyen orient pour lesquelles Air France est dificilement compétitive. Air France est au bord du gouffre et on pousse derrière…
thierry
entièrement d’accord Rémi, on ne sait pas tout des dessous des contrats et on peut peut être s’inquiéter des nouveaux amis de M. Hollande mais au delà du côté création d’emploi, il est impératif que la France garde ces compétences industrielles majeures dont les USA aimeraient nous priver.
Gian
Bonjour le chiffre de 36 est effectivement sujet à nombre d’interrogations.
D’abord, rien n’est signé, ensuite on voit difficilement le Rafale proposé pour le MMRCA-2, mais qui sait ?
La première piste serait 36 avions marins pour le nouveau porte-avions indien, pour lequel a été opté une catapulte type occidental donc compatible avec le Rafale M.
La deuxième serait 36 bi-place pour remplacer les 49 Mirage 2000 utilisés pour la frappe nucléaire.
À retenir, la vente à l’export a permis de boucler le budget de la défense jusque 2019. Si c’est très loin de relever notre économie, ça n’est absolument pas anodin.
Pour ce qui est des compétences, je pense qu’il faut vendre pour financer les développements ultérieurs, standard F4, nouveau pod laser, viseur de casque, M-88 éco etc . . .
Rémi
“on voit difficilement le Rafale proposé pour le MMRCA-2” voudrait dire que Dassault ne répondrait pas au nouvel appel d’offre ?
D’accord pour vendre. On ne peut que se réjouir de l’achat des indiens et espérer que les 36 ne soient qu’une première étape. Mais les EAU et le Qatar, bof bof.
La vente au Qatar était en contrepartie de droit de trafic supplémentaires sur les aéroports de Lyon et Nice, ce qui est un coup dur pour Air France.
Je ne pense pas que le jeu en valait la chandelle, à moyen terme, ce sera une cata pour nos emplois. D’autant plus qu’on n’avait pas besoin de ça, on peut rester optimiste pour d’autres ventes du rafale en Europe pour combler les lacunes du F35(*).
D’un autre côté, un rapprochement politique avec le Qatar et les EAU peut aussi être une bonne nouvelle en ces temps troublés. Il est grand temps de briser l’hégémonie US dans les pays arabes.
Donc, à court terme, c’est bien. A moyen terme, pénalisant. Mais à long terme, faut voir, à condition d’avoir une politique extérieure cohérente…
(*) Je vois bien un coût d’exploitation tellement prohibitif du F35 que les armées l’ayant acheté finissent par les laisser au hangar (ou les revendre à des pigeons) et acheter des rafales pour faire le travail… On peut rêver…
Gian
Yes Rémi, les acheteurs de F35 qui se rabattraient sur le Rafale ça ferait rêver et avec un grand sourire ou big smiley.
Pour les EAU, il s’agit quand même d’un contrat qui pourrait porter sur 60 avions. D’autant qu’il était dit que les koweïtiens suivraient avec 18 appareils.
Pour ce qui est de casser l’hégémonie américaine, tout à fait d’accord avec vous. Ils nous tondent la laine sur le dos depuis suffisamment longtemps, Pays-bas, Maroc, Pologne entre-autres.