Le Portail des Passionnés d’Aviation vous emmène à la découverte ou à la redécouverte du précurseur de l’aviation, objet de rêve pour certain, symbole de démesure pour d’autres : le dirigeable.
Pour ce premier épisode de notre « Saga Dirigeable », partons explorer l’histoire de cet aéronef mythique, depuis ses origines jusqu’à nos jours.
Des premiers ballons aux grands porte-avions volants américains, en passant par le premier dirigeable du monde “La France” et le récent Zeppelin “Neue Technologie”, nous vous emmenons à la rencontre de ces mastodontes des airs, en retraçant leur fascinante histoire.
Origine : Contrôler la Montgolfière
Le dirigeable trouve son origine et son nom dans la volonté de l’Homme de manœuvrer à sa guise les tout premiers aéronefs : les ballons. En 1782, Joseph Montgolfier et son frère Etienne ont l’idée d’utiliser la fumée d’un feu pour vaincre la pesanteur. Ils développent le premier ballon, appelé montgolfière, en utilisant l’air chaud pour gonfler une sphère de papier. Ils réalisent ainsi le premier vol inhabité. Peu de temps après, Pilâtre de Rozier et le Marquis d’Arlandes établissent le premier vol habité par l’Homme. Cependant, le ballon reste incontrôlable face aux vents et les aérostiers cherchent donc dès 1784 à le contrôler et le diriger. Certains tentent l’utilisation de gouvernails et de rames, tels des marins, mais sans grand succès. La forme sphérique des ballons ne tarde pas à être remise en cause et dès l’été 1784, la première enveloppe allongée est créée. Cependant, les grandes dimensions des aéronefs restent problématiques face aux vents ; les motorisations existantes à l’époque ne sont pas suffisamment puissantes pour contrer les vents. Il faut ainsi attendre l’année 1852 pour qu’Henri Giffard parvienne couvrir une distance de 27 kilomètres tout en contrôlant son aéronef. L’exploit est reconnu mais il n’arrive cependant pas à contrer les effets du vent. Malgré cette performance inédite, l’aéronef d’Henri Giffard n’est pas reconnu comme dirigeable, et il faut attendre 1884 pour voir le premier dirigeable mériter son titre.
« La France », le premier dirigeable au Monde
Suivant l’exemple d’Henri Giffard, de nombreux aéronautes se lancent à la conquête de la parfaite manœuvrabilité des ballons. Citons ainsi l’ingénieur Henri Dupuy de Lôme et les frères Tissandier qui, dans les années 1871 à 1874, apportent de nombreuses solutions à cette problématique.
Malgré les innovations apportées par ces aéronautes, il faut attendre le 9 Août 1884 pour voir se concrétiser le rêve de l’Homme de dompter les vents. Charles Renard et Arthur Krebs réalisent à bord de l’aérostat « La France » ce qui est considéré comme le premier vol en dirigeable. Ils effectuent en effet un vol de 23 minutes au-dessus de la forêt de Meudon, avec la particularité de revenir à leur point de départ (circuit fermé) prouvant ainsi la « dirigeabilité » de leur aéronef.
Les précurseurs du XXè siècle : Santos Dumont, Lebaudy et les premiers Zeppelins
L’histoire du dirigeable n’est rien sans Santos Dumont.
A partir de 1898, cet illustre aéronaute, brésilien d’origine et français d’adoption, développe de nombreux aéronefs, dont une majorité de dirigeables. Plusieurs modèles se démarquent :
En 1901, le « n°6 » gagne le Prix Deutsch de la Meurthe, un prix récompensant le premier circuit au-dessus de Paris et de la Tour Eiffel.
En 1903, Santos Dumont construit « la Baladeuse », son numéro 9, qu’il utilise régulièrement comme moyen de transport. Ce dirigeable sera aussi le premier à avoir volé de nuit.
En 1906, Santos Dumont construit son dernier dirigeable, le « n°16 », précurseur de la fameuse « Demoiselle ».
Dans la lignée de Santos Dumont, les Lebaudy font leur apparition dès 1902 et marquent la naissance d’un nouveau type de dirigeables : les « semi-rigides ». Les frères Lebaudy développent en effet une carène rigide sur laquelle sont fixés la nacelle et les systèmes propulsifs. L’enveloppe reste cependant entièrement souple.
Du côté de l’Allemagne, ce qui deviendra la plus grande entreprise de dirigeable du monde voit le jour en 1898 : Le Comte Ferdinand Von Zeppelin dépose en 1895 un brevet affichant les bases de ce qui sera le modèle des Zeppelins durant près d’un siècle et constitue une réelle rupture dans l’histoire du dirigeable : le dirigeable rigide en aluminium est né.
Parallèlement au développement de la société Zeppelin, la première compagnie aérienne du monde voit le jour en 1909. Durant ses cinq années de services, la DELAG transporte ainsi quelques 33 000 passagers, sa flotte de dirigeables parcourant 170 000 km en un peu plus de 3000 heures de vol. Durant ces 1600 vols, aucune victime n’est à déplorer !
En 1908, Henry Deutsch de la Meurthe créé la société Astra et produit deux dirigeables souples. Deux ans plus tard, Leonardo Torres se joint à l’aventure et créé la série des Astra-Torres « AT », dirigeables souples ayant la particularité de proposer pour la première fois une enveloppe dite « trilobée ».
En 1910, le Clément Bayard-II assure la première traversée de la manche en parcourant 390km en 6 heures à une vitesse de 65km/h.
La Première Guerre Mondiale : incubateur du dirigeable
A l’annonce de l’entrée en guerre, les pays européens réquisitionnent leurs dirigeables respectifs. En France, les dirigeables des sociétés Zodiac, Astra et Clément Bayard sont utilisés pour la surveillance et le bombardement.
Parallèlement, le SPIESS, développé en 1913 par la compagnie Zodiac et Joseph Spiess est produit en banlieue parisienne. Il est le premier et pour l’instant unique dirigeable rigide de construction française. Il est aussi le plus grand, avec ses 140m de long et a la particularité d’être composé de poutres en bois.
On peut aussi mentionner le rôle de petits dirigeables souples dans la surveillance maritime et la lutte anti-sous-marine, au sein notamment des marines française et anglaise.
Du côté Allemand, trois sociétés construisent un grand nombre de dirigeables : Zeppelin construit ainsi près de 67 dirigeables rigides, Parseval construit une vingtaine de dirigeables souples et Schütte-Lanz produit aussi une vingtaine de dirigeables rigides en bois.
Durant cette courte période, nombreuses sont les évolutions, tant dans la conception et la production que dans l’exploitation des dirigeables. Ces intenses innovations engendrent une course aux records.
L’entre-deux guerre : l’apogée du dirigeable
A la fin de la Première Guerre Mondiale, les technologies développées permettent d’établir de nouveaux standards ; l’intérêt des dirigeables a été démontré et de nouvelles perspectives se dessinent. Chaque pays souhaite désormais posséder le plus grand, le plus puissant et le plus performant des dirigeables pour appuyer sa suprématie. De grands programmes voient le jour :
Dès 1918, le Royaume Unis se lance à la conquête des airs avec sa série des « R ». En 1919, le R34 assure ainsi la première traversée aérienne de l’atlantique en moins de 8 jours de vol.
En France, le Dixmude (ancien Zeppelin LZ114) est cédé à l’armée comme dommage de guerre en 1920 mais s’écrase en 1923.
En Italie, Umberto Nobile développe le Norge, un dirigeable semi-rigide de 106 mètres de long et part avec Amundsen à la conquête du Pôle Nord en 1926, qu’il atteint et survole le 12 Mai 1926. Deux ans plus tard, Nobile repart vers le pôle Nord sur le dirigeable Italia, légèrement plus long que le Norge, mais s’écrase sur le chemin du retour. Nobile et quelques hommes survivront durant près de 7 semaines sur la banquise avant d’être secourus.
Aux USA, les américains développent, conjointement avec Zeppelin, plusieurs très gros dirigeables, tels que le ZR-1 Shenandoah, le premier rigide américain, qui prend son envol en 1923, le ZR-3 Los Angeles (1924), puis les deux « sisterships » USS Akron (1931-1933), et USS Macon (1933). Ces deux derniers dirigeables sont les plus grands et puissants dirigeables américains, véritables porte-avions volant, transportant jusqu’à 5 chasseurs Sparrowhawk largables et récupérables en vol !
En Allemagne, le Comte Ferdinand Von Zeppelin, relayé par le Dr Eckener, développe toujours de nouveaux dirigeables, de plus en plus grands et de plus en plus performants. Notons ainsi le magnifique Graf Zeppelin I (LZ127) qui, avec ses 236 mètres de long traversera l’Atlantique plus de 150 fois de 1928 à 1940 et signera au passage un tour du monde en 12 jours.
« A voler trop près du soleil, on se brûle les ailes » – Le déclin du dirigeable à son apogée
Les dirigeables dominent ainsi les cieux. Cet aéronef impressionnant devient un fleuron industriel, militaire voire même un moyen de propagande dans certains pays. Il devient médiatique et célèbre ; bref un véritable outil de communication. Malheureusement, une série d’accidents entache durablement l’image du dirigeable.
Il est en effet impossible de parler des Zeppelins sans citer le très connu LZ129-Hindenburg, le plus grand des dirigeables (245m de long) qui jouira d’une courte carrière entre Mars 1936 et le 6 Mai 1937, date à laquelle il s’écrasera à son arrivée aux USA, causant la mort de 35 personnes parmi les 97 à bord.
Bien que très médiatisé et considéré comme l’accident de dirigeable le plus grave, il n’est pas le plus meurtrier. Néanmoins, ce crash marque les esprits durablement.
En effet, comme tout développement de produit innovant, celui du dirigeable n’a pas échappé à une période de maturité qui s’est traduite par une vague d’accidents et d’incidents plus ou moins graves. Ainsi, sur la seule année 1920, l’USS-Roma s’écrase, causant la mort de 34 personnes. Celui du Dixmude cause la mort de 52 personnes. Enfin celui du R38 endeuille 44 familles. Puis, le 1er octobre 1929, le dirigeable rigide britannique R101 s’écrase en France, près de Beauvais causant la mort de 48 personnes dont le ministre britannique des transports. Cet accident marque la fin des dirigeables rigides britanniques.
Côté américain, le crash de l’USS Akron en 1931, causant la mort de 73 personnes, marque les esprits et le celui de l’Hindenburg, le plus grand des dirigeables et véritable fleuron de la firme allemande Zeppelin, signe définitivement l’arrêt des développements des grands dirigeables.
Cette série d’accidents n’est pourtant pas la seule cause du déclin des dirigeables. En effet, le développement de nouveaux aéronefs, tels que les avions, les hélicoptères, les fusées et même la conquête spatiale concentre peu à peu tous les efforts, tous les budgets et tous les fantasmes.
Ainsi, durant la Seconde Guerre Mondiale, les dirigeables sont peu à peu délaissés aux profits des avions, plus rapides et plus discrets mêmes si de petits dirigeables souples captifs seront cependant utilisés afin de protéger les bataillons lors des débarquements.
Néanmoins, l’US Navy continue de développer des dirigeables en grande quantité pour constituer une armada de patrouilleurs-escortes pour les bateaux de la Navy. Ces dirigeables sont souples, de taille relativement petite, mais sont produits en très grande quantité.
L’après-guerre : le dirigeable tombe dans l’oubli
Après la seconde guerre mondiale, la priorité n’est pas aux dépenses dans le développement de nouveaux aéronefs. De plus, les avions ont joué un rôle capital dans la chute du régime nazi. Les dirigeables, jugés trop dangereux et sans réel intérêt commercial ou militaire, sont peu à peu délaissés.
Notons néanmoins le développement de la firme américaine Goodyear, qui continue d’innover et de produire des dirigeables souples : en 1954, le ZPG-2W bat ainsi le record d’endurance d’un vol avec 11 jours et plus de 15000 km au compteur. En 1958, Goodyear construit le plus grand dirigeable souple (129m de long !). Notons que Goodyear existe toujours aujourd’hui et vient de relancer la collaboration historique qui la lie à Zeppelin en prenant possession de la toute dernière version du Zeppelin NT (ZLT-101).
Cependant, le retour des dirigeables à partir des années 1960 reste très limité, et cantonné aux dirigeables souples, l’aéronef ne présentant alors pas de réel intérêt économique.
Nouveau siècle, nouveau souffle dans l’histoire du dirigeable ?
A partir des années 2000, le dirigeable retrouve des vents favorables ; de nombreux projets voyant le jour régulièrement un peu partout dans le monde. On remarque ainsi la renaissance de Zeppelin, avec son NT07 « Neue Technologie » produit à 5 exemplaires pour des applications civiles de tourisme et de missions scientifiques, et dont une nouvelle version vient d’être certifiée et livrée à Goodyear.
Parallèlement, les années 2000 marquent l’arrivée d’un nouveau marché, celui des transporteurs de charges lourdes, à l’image du gigantesque projet allemand CargoLifter, abandonné en 2005, notamment pour des raisons techniques. Côté américain, l’initiative du projet « Long-Endurance Multi-intelligence Vehicle » lancé par le Department of Defense et financé par la DARPA a fait émerger plusieurs projets : Northrop Grumman et Hybrid Air Vehicles se sont associés pour développer le Airlander, dont un prototype a fait son premier vol en 2012 et devrait très prochainement reprendre les airs ; Aeroscraft a produit et fait volé son Pelican, qui est aujourd’hui démantelé par manque de fonds ; et Lockheed Martin a développé le P-791, démonstrateur de capacités, dont le développement lui permet aujourd’hui de se lancer dans un nouveau programme, civil cette fois, de transporteur de charge lourdes de 20T, le LMH-1.
Cependant, aucun projet de transporteur de charges lourdes n’a encore pris son envol pour l’heure.
Nous développerons davantage les projets actuels dans un prochain article entièrement consacré aux dirigeables d’aujourd’hui.
Finalement, le dirigeable a connu une période faste suite à un développement rapide, l’érigeant en véritable pionnier du monde aéronautique. La réalité économique, le manque de maturité technologique et l’apparition des plus lourds que l’air ont cependant peu à peu effacé le dirigeable de l’imaginaire collectif. A l’image de son histoire, le dirigeable jouit d’une notoriété controversée, entre la crainte et le rêve. Aujourd’hui, cet aéronef mythique fait figure de grand absent du pourtant très varié secteur aéronautique, et c’est bien dommage !
Dans le prochain épisode « Un dirigeable, qu’est-ce que c’est ? », nous vous expliquerons comment vole un plus-léger-que-l’air et nous détaillerons les technologies qui lui sont spécifiques.
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N’hésitez pas à commenter, partager et échanger sur cet article et le sujet des dirigeables en général.
Si vous souhaitez que nous traitions un sujet en particulier sur les dirigeables, demandez !
Thibault Proux
8 Comments
Renaud Blanc
Bonjour à tous !
J’ai découvert un magnifique ouvrage sur les avions mythiques. Je vous le recommande !
Vous le trouverez sur : http://www.boutique.ecpad.fr – Aperçu de l’ouvrage : http://fr.calameo.com/read/0041155689ee855284e50
François
Vous évoquez des problèmes techniques qui auraient été à l’origine de l’abandon du CargoLifter.
Quels étaient-ils et comment les nouveaux projets apparus entre temps comptent-ils y palier ?
Thibault PROUX
Bonjour François. Merci de cette question pertinente, des éléments de réponses dans les questions suivantes:
La marche technologique n’était-elle pas trop haute ?
Les choix techno étaient-ils bons ?
La gestion financière du projet a-t-elle été exemplaire ?
Enfin, les spécifications techniques étaient-elles figées ?
Je répondrai à toutes ces questions dans un prochain article dédié aux Dirigeables transporteurs de Charges Lourdes, en expliquant les solutions apportées par les projets actuels de DCL.
A bientôt,
Thibault
Sybou
Bonjour,
serait-il possible de développer sur les dirigeables USS AKRON et MACON ? L’utilité du concept, les objectifs visés et les raisons de l’abandon du projet? Un tel concept pourrait-il refaire surface de nos jours?
Merci d’avance
Thibault PROUX
Bonsoir Sybou, avec grand plaisir ! Stay tuned 😉
Grégoire
Bonjour,
On travail aussi actuellement chez Altran sur un drone dirigeable gros porteur à énergie solaire: Sun Cloud. Ca peut peut-être t’intéresser pour ton article…
http://www.altran.com/fr/hub-presse/evenements/altran-au-salon-du-bourget-paris-air-show-2013/experimenter-les-demonstrateurs/sun-cloud.html#.VZvnh_ntmko
Ray
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Salima
Bonjour Thibaut,
Je suis à la recherche d’informations sur les dirigeables qui servaient à transporter des
civils, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Je cherche surtout des photos montrant ces géants traversant le ciel des villes européennes. Y avait-il des liaisons aériennes régulières ? Que sait-on des personnes qui montaient dans ses mastodontes.
Merci pour votre éclairage
Salima