Les amateurs d’hélicoptères de combat pourraient être déçus par cette édition 2015 du Salon du Bourget. Alors que l’édition 2013 nous avait régalée avec la présence en vol du Ka-52 et les simulations de combat aérien de deux Tigre, cette année s’avère relativement pauvre dans ce domaine.
Cependant sur le statique, entre un Tigre et un Apache, on trouve un autre hélicoptère de combat plutôt inhabituel: le T129 Atak turc. Pourtant, sa silhouette n’a rien d’inédit. L’appareil est en effet un dérivé du Mangusta italien qui a fait son premier vol en 1983 , et TAI ne cache pas la filiation de son hélicoptère de combat avec son aîné italien.
En effet, en 2007, l’industriel italien Agusta Westland remporte le contrat de rééquipement des forces armées turques, afin de remplacer les anciens AH-1 Cobra de l’Armée de Terre turque. En manque de débouchés à l’exportation, et en l’absence de commandes supplémentaires de l’Armée Italienne, Agusta Westland sait que ce marché est sa dernière chance d’exporter son AW-129 Mangusta International.
L’avionneur italien propose alors un partenariat extrêmement profitable à l’industriel turc TAI. L’Italie fourni le design et conserve une part de la production industrielle, notamment au niveau du fuselage, de la transmission et du canon, mais laisse à TAI le soin de moderniser l’appareil avec des équipements turcs, l’industriel turc récupérant alors la propriété industrielle de cette nouvelle version, y compris la gestion de sa commercialisation à l’exportation.
Un tel contrat semble alors la seule solution pour assurer l’avenir de l’appareil, puisque ni l’Etat italien ni Agusta Westland n’a les moyens financiers de payer cette modernisation.
C’est donc en se penchant sur les équipements de l’appareil que l’on verra la pleine implication de l’industrie turque. L’avionique, la boule optronique (les capteurs de détection et de visée sur le nez), les systèmes d’autoprotection, mais aussi et surtout les missiles anti-char et les roquettes à guidage laser, tous ces équipements sont de fabrication nationale. Si le fuselage inférieur est similaire à celui du AW-129 Mangusta, le haut de l’appareil a été entièrement redessiné afin d’embarquer les deux turbines LHTEC T800 initialement conçues pour l’hélicoptère furtif RAH-66 Comanche, entre-temps abandonné par l’armée américaine.
Si l’appareil est présenté comme un appareil polyvalent, il reste dans sa conception et son domaine d’emploi assez typique des hélicoptères d’attaque modernes de cette classe, comme le Tigre européen, le LCH indien, le Super Cobra américain ou encore le WZ-19 chinois.
C’est donc avant tout un appareil d’attaque et de reconnaissance armée. Il est donc capable de s’infiltrer derrière les lignes ennemies pour repérer des mouvements ennemis ou encore attaquer des cibles protégées, mais aussi de réaliser des missions d’escorte ou de soutien aérien rapproché en support aux troupes au sol, ou bien encore de la lutte anti-hélicoptères.
Comme ses concurrents, son armement de base se compose de roquettes, de missiles air-air Stinger de fabrication américaine et de missiles anti-char. Il conserve également l’imposant canon tritube de 20mm de fabrication italienne déjà présent sur le AW-129.
Il faut cependant noter que le T129 intègre de plus en plus d’armements développés localement en Turquie. La version a actuellement produite intègre des missiles anti-char UMTAS et des roquettes à guidage laser Cirit conçues et fabriquées par Roketsan, en Turquie. Une manière de ne pas dépendre des productions américaines (missile Hellfire) ou israéliennes (missile Spike), ce qui peut être un critère déterminant sur certains marchés export du Moyen-Orient ou de l’Asie Centrale.
Si l’appareil turc n’a rien de véritablement révolutionnaire, il reste un compétiteur crédible et sérieux sur ce segment de marché. Ses atouts sont avant tous diplomatiques et économiques, l’industrie turque et ses partenaires italiens pouvant proposer des solutions clé en main sans avoir à subir de pressions de partenaires plus frileux sur certaines exportations (on pensera aux USA, à Israël ou à l’Allemagne par exemple).
Ce programme T129 est typiquement représentatif du mouvement opéré depuis une dizaine d’année par l’industrie aéronautique turque. Ankara ne cache pas son ambition de faire du pays une nation aéronautique de premier ordre dans les décennies à venir, au moins sur le plan régional. Et la voie empruntée pour y arrivée est également clairement affichée: il convient d’obtenir le plus de transferts technologiques dans des partenariats internationaux afin de pouvoir devenir technologiquement indépendant à l’horizon 2025-2030.
L’une des méthodes les plus intéressantes et novatrice revient à racheter la propriété intellectuelle et les droits d’exploitations de programmes en fin de vie commerciale, mais disposant toujours d’un bon potentiel technique. En effet, le marché intérieur turc, que ce soit dans le domaine militaire ou civil, est assez vaste pour autoriser des commandes importantes, et donc rentabiliser des programmes industriels avec une prise de risque minime. Cela apporte un flux de financements nouveaux à des programmes qui peinaient à se faire une place dans des secteurs très concurrentiels, et les prises de risques des industriels turcs (minimes en raison des importants débouchés du marché intérieur) peuvent ainsi leur donner un souffle nouveau à l’exportation.
Ainsi, le mois dernier, la société turque STM signait un protocole d’accord avec la société détentrice des droits sur l’avion de transport régional Dornier 328. Cet appareil lancé au début des années 90 était extrêmement moderne pour l’époque, mais son fabriquant Fairchild a fait faillite lors de la crise du transport aérien de 2001. Le développement, le design et le potentiel d’évolution de cet appareil ont ainsi été acquis à moindre frais par l’industrie turque dont les investissements pourront se concentrer sur l’amélioration de l’appareil, plutôt que sur le développement d’un tout nouvel avion.
Les investissements en seront ainsi considérablement réduit, augmentant la rentabilité théorique du programme, et donc les capacités d’investissement futures dans de nouveaux programmes industriels nationaux.
L’avenir nous dira si ce modèle industriel, adopté également dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Asie, permettra véritablement de rattraper le retard technologique de l’industrie locale.
En tous cas, ce n’est pas l’ambition qui manque du côté d’Ankara. Le pays compte en effet concevoir un avion de combat de 5ème génération, un avion d’entrainement et un drone MALE, un hélicoptère léger pour remplacer leurs Huey, mais également un lanceur capable de satelliser leurs propres charges utiles.