Dimanche 18 mai, les Suisses se rendaient aux urnes pour donner leur avis sur plusieurs sujets. Parmi ceux-ci, ils devaient décider si oui ou non la suisse achèterait le Gripen.
Conformément aux différents sondages parus les mois précédents cette votation, c’est le NON qui l’a emporté de manière assez nette, mais pas écrasante, par 53,4%, contre 46,57%.
Pourquoi ce non ? Quelles seront les conséquences pour l’armée Suisse, mais également pour l’avenir du Gripen E ? Quelques éléments de réponse dans cet article.
L’achat d’avions de combat est souvent une pierre d’achoppement politique dans de nombreux pays. Parmi les équipements les plus onéreux à acquérir et à entretenir au sein d’une armée, l’achat de ces systèmes d’armes est souvent le centre d’enjeux politiques, technologiques et industriels très importants. Mais il est très rare qu’un peuple ait à se prononcer sur un tel choix. Pourtant, ce n’est pas une première. Déjà en 1993, les opposants à l’achat du F/A-18 Hornet avaient réussi à enclencher une votation. Mais ils perdront, les suisses décidant, avec plus de 57% des voix de remplacer leurs antiques Hunters par 34 nouveaux avions de combat.
Plusieurs raisons peuvent être évoquées. La polémique a débuté dès l’annonce du choix du modèle d’avion retenu. Beaucoup de médias en effet pariaient alors sur la victoire du Rafale. Lorsque celui-ci fut rejeté en faveur du petit chasseur suédois, un rapport a mystérieusement, mais opportunément fuité du ministère de la Défense. Ce rapport, en fait une évaluation détaillée d’ArmaSuisse sur les trois prétendants ne révélait pas simplement que le Gripen était moins bon que ses deux autres concurrents (Eurofighter et Rafale), mais qu’en plus, il ne répondait même pas aux minimas opérationnels demandés par les militaires. Pour en savoir plus, lire cet article, comprenant la traduction en français d’une partie de ce rapport.
Lors de cet épisode houleux, le ministre de la Défense Ueli Maurer sera en première ligne, et sujet des moqueries par, entre autres, la désormais célèbre émission de Radio 120 secondes.
Surtout, la note du Gripen avait à l’époque du rapport été pondérée par un facteur de risque. L’avion n’étant alors qu’en état de projet, ce qui faisait ressurgir le spectre du scandale de l’affaire Mirage. Le gouvernement s’étant alors attaché à acheter des avions à la condition qu’ils soient déjà produits en série.
L’affaire mirage avait éclaté dans le milieu des années soixante. À l’époque, ce n’était pas tant l’achat de l’avion français qui avait posé problème, mais son adaptation aux besoins suisses, qui avait causé une augmentation de la facture finale de 70%… Moins de la moitié des avions initialement envisagés seront commandés.
Pour beaucoup, l’échec de cette votation pour les proGripen est avant tout un Revers politique, mais également un énorme raté au niveau de la communication. Car les besoins sont bien là et le Gripen E n’est pas un mauvais avion, loin de là. Surtout lorsque l’on constate la ligne d’attaque tendancieuse des antiGripen, parfois à la limite de la malhonnêteté intellectuelle (voir cet article).
Problème soulevé
Avec la baisse constante des crédits alloués à la défense et la complexité (donc le coût) croissant des nouveaux avions de combat, les effectifs de l’armée de l’air suisse fondent comme neige au soleil. Les 34 F/A-18 Hornet entrés en services entre 1996 et 1999 ont remplacé une flotte de 130 Hunters. Un achat complémentaire avait été évoqué à l’époque pour palier au retrait des Mirage IIIS et RS. Rien ne sera fait. C’est aujourd’hui la flotte de F-5 Tiger II qu’il faut remplacer assez rapidement. 110 avions achetés au départ, 54 en service en 2008 lorsque la décision fut prise d’engager un processus de remplacement, puis 42 en mars 2014. Si ces avions ne sont pas remplacés, l’ensemble des capacités de l’armée de l’air suisse reposera alors sur les 32 Hornet (deux ont été perdus dans des accidents) dont le dernier a été livré en 1999, et dont le potentiel de leur cellule sera épuisé en 2025 en atteignant les 5000H.
Ainsi, si un nouveau processus d’acquisition est lancé, il ne sera plus question de remplacer les F-5, mais bel et bien les F/A-18 Hornet.
Le nombre d’avions de l’armée de l’air suisse a tellement fondu qu’aujourd’hui il n’est plus question de missions d’attaques au sol, de renseignement ou autre. Dans l’inconscient populaire, un conflit aux frontières d’un pays situé en plein milieu d’une Europe en paix semble irréaliste. Pourtant, il y a une mission régalienne dont ne devrait se passer aucun état capable de se payer le service. Cette mission, c’est la police du ciel. La suisse est un petit pays certes, mais un des plus survolés du monde. Un épisode comme le détournement d’un vol d’Ethiopian Airlines aurait dû réveiller les consciences. Mais si les intentions non belliqueuses du pilote ont dilué dans l’esprit collectif l’existence d’une menace, elle est pourtant bien réelle. En dehors des risques terroristes, il existe aussi les décollages sur alerte qui se terminent en mission d’assistance. La Suisse possède bien des accords avec ses pays frontaliers, mais son renfermement sur elle-même va à l’encontre d’une indépendance vis-à-vis de ses voisins.
La Suisse va-t-elle acheter un autre avion ?
Il est bien trop tôt pour répondre à cette question. Nul ne sait encore comment va réagir le gouvernement suite à cette grosse déconvenue. Le peuple a dit non à l’achat de Gripen ; mais la majorité est-elle contre l’achat d’avions de combat ? Pour l’absence d’une armée de l’air ? L’armée et les instances institutionnelles vont désormais marcher sur des œufs.
A la question de savoir si l’offre de Dassault Aviation était toujours valable, la réponse d’Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation présent en Suisse à la faveur du salon EBACE 2014 a fait le tour des sites d’actualités :
« Plus maintenant, mais elle peut évidemment le redevenir si on nous le demande, explique le PDG de l’avionneur. Je ne crois pas que plus de la moitié des Suisses soient contre les avions de combat. Le dossier Gripen devait comporter quelques risques, c’était la seule offre à supposer le développement complet d’un avion. »
Conséquence pour Saab et son Gripen E
Ce NON n’est pas seulement une mauvaise nouvelle pour l’armée de l’air suisse, mais également pour l’armée de l’air et le constructeur suédois. En effet, la condition donnée à Saab par le gouvernement de Stockholm concernant le développement de la nouvelle version de l’avion était d’associer un client export. Les travaux sont désormais bien trop avancés pour être arrêtés, et la Suède compte maintenant sur l’avancée des négociations avec Brasilia avec qui rien n’a été signé pour le moment. La flygvapnet devrait moderniser une soixantaine de Gripen C en E. La modernisation cache en réalité l’achat d’avions quasiment neufs. Car la structure et les équipements de la version E sont tellement différents de la version C que les travaux nécessitent le démontage complet des avions et une transformation en profondeur. Structure, carénages, moteur, équipements électroniques, train d’atterrissage… Ou comment cacher à ses administrés l’achat d’avions neufs en les faisant passer pour une « légère » amélioration.
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