Il n’est pas besoin de prendre beaucoup de hauteur pour s’apercevoir que l’état de l’aviation de combat des États-Unis est en train de péricliter. Les avions avancent en âge, leur remplaçant est en retard, et la situation n’est pas en voie de s’améliorer. Des trois corps combattants qui utilisent une aviation de combat (USAF/USMC), l’US Navy semblent la mieux lotie. Elle est la première à avoir engagée le remplacement de ses avions après l’abandon du programme A-12, avec un appareil moins moderne que le futur F-35 certes, mais opérationnel et éprouvé : le F/A-18 E/F Super Hornet. Un appareil qui a rarement été sous le feu des projecteurs, mais qui potentiellement pourrait devenir le sauveur des USA !
Une genèse à l’ombre de grands noms.
Le Super Hornet n’est pas à proprement parler d’un avion nouveau, surtout lorsque l’on étudie sa genèse. Il pourrait être facilement considéré comme étant au sommet d’une évolution de plusieurs générations d’appareils ayant rencontré le succès, mais toujours dans l’ombre de « guest stars ». Son origine remonte à des travaux menés par Northrop pour revoir le design du F-5, ce qui mena au projet N-300, puis P-350. C’est en répondant à un appel d’offres, le Lightweight Fighter (LWF) visant à étudier la faisabilité d’un avion de combat léger avec un cours préavis et très peu de moyens (tout est relatif aux USA…) que Northrop proposa son design, qui sera sélectionné avec celui de Genaral Dynamics, chacun devant fabriquer un démonstrateur technologique : Le YF-17 pour Northrop, et le YF-16 pour général Dynamics.
La suite de l’histoire est connue. L’USAF sera pratiquement obligée de commander un des deux appareils, alors qu’elle ne jurait que par son nouveau jouet ultra Hight tech et deux fois plus lourd, le F-15 Eagle. Le vainqueur de la compétition sera donc le F-16, avion qui rencontra, grâce à quelques coups du sort, un succès qui ne sera certainement plus jamais égalé. (voir ici un résumé de l’histoire du F-16)
Deux futures légendes qui s’ignorent encore
De son côté, l’US Navy fut encouragée à regarder de plus près les résultats du programme LWF, elle qui cherchait à trouver un avion complémentaire, et moins onéreux que le F-14. La Marine Américaine lancera alors le Navy Air Combat Fighter (NACF). C’est le concept de Northrop qui sera sélectionné, et l’avion deviendra le F/A-18 Hornet, le cheval de bataille de l’US Navy durant des décennies. Léger, maniable, le Hornet avait pour lui d’être surtout incroyablement polyvalent. De tous les chasseurs US, c’est l’avion qui est capable d’emporter la palette d’armement la plus complète, du missile air-air courte portée Sidewinder, ou moyenne portée Aim-120 Amraam jusqu’à la bombe nucléaire B-61, en passant par presque toutes les munitions air-sol guidées ou non, propulsées ou non de l’inventaire de l’armée américaine. Dassault Aviation se serait d’ailleurs largement inspiré de la réussite de ce concept pour l’adapter sur son nouvel avion, dans une version encore améliorée, avec le Rafale « Omnirôle ».
À la demande de la Navy, Mc Donnel Douglas s’associera à Northrop pour développer l’avion.
La naissance du « Rhino »
Quelques années après le succès du F-18 Hornet, l’US Navy réfléchi déjà, à la fin des années 80, à remplacer ses avions d’attaque A-6 Intruder et A-7 Corsair II. Elle s’était lancée pour cela dans un très ambitieux programme d’avion de combat « furtif », le A-12. Le programme ne survivra pas aux conséquences de la chute du mur de Berlin, et les ambitions de la Navy seront rabaissées d’un cran, surtout que le temps investi dans l’A-12 est désormais perdu. McDonnell Douglas proposa quelque temps auparavant une version plus grande et plus lourde du F/A-18, le Hornet 2000. En attente de décisions sur deux autres types d’appareils bien plus évolués. D’abord dénommé Hornet II, puis Super Hornet, l’avion sera largement revu, avec à la clé une autonomie, capacité d’emport et capacités de combat largement améliorées. Tout ou presque sera refait en se basant sur des acquis. Véritable programme empirique, l’avion n’affiche pas des performances extraordinaires, mais il est prévu pour faire le job, en tant qu’intérimaire. Au terme des jeux de fusion entre les nombreux constructeurs américains, c’est désormais Boeing qui est l’entreprise produisant le F/A-18 E/F.
Avec un peu plus de 1 000 exemplaires produits, le Hornet connu également un certain succès à l’export. Ici, un C-15, désignation locale du F-18 Espagnol.
Le Super Hornet, un choix pragmatique
Au début des années 90, c’est la course aux avions de nouvelle génération. La folie vient de la doctrine de la furtivité. Concevoir un appareil invisible aux Radars adverses est un rêve un peu fou caressé par bien des généraux.
C’est ainsi que le remplaçant du célébrissime F-14 Tomcat, capable de protéger la flotte américaine à très longue distance est attendu avec un dérivé du programme F-22 de l’USAF. La Navy va également se joindre aux comités de réflexion naissant concernant un avion de combat, conçu collectivement avec le corps des Marines et de l’armée de l’air américaine, le futur F-35.
Ces deux programmes vont connaitre des problèmes de développement, à des niveaux rarement rencontrés jusque-là pour des programmes qui seront menés à leur terme. Des rêves de grandeur, les États-Unis (comme beaucoup de pays) en ont eu beaucoup, mais jusqu’à présent, les moins raisonnables ont toujours été annulés, comme le programme d’intercepteur basé sur le SR-71 Blackbird et le XB-70 Walkirye de l’US Air Force, le RAH-66 Comanche de l’US Army ou le A-12 Avenger II de l’US Navy.
La recherche d’une discrétion électromagnétique très avancée étant problématique sur de nombreux points (vitesse, manœuvrabilité, masse) les budgets de recherche et développement sont colossaux et prennent beaucoup de temps.
Le Super Hornet, prévu pour être un trait d’union entre le départ des A-6, A-7 et F-14 et l’arrivée des avions de nouvelle génération, s’avèrera au final être un atout extrêmement précieux pour la préservation des capacités de combat de l’US Navy. Pour le comprendre, il suffit de comparer l’état de la flotte des avions de combat de la Marine à celles de l’USMC et surtout, de l’USAF.
Avions de nouvelle génération, des programmes vampiriques !
De tous les qualificatifs, le terme de vampirisme parait tout à fait approprié. Il faut s’imaginer que les programmes F-22 et F-35, dont Boeing a été un malheureux concurrent (dans le programme JSF), sont véritablement des suceurs de substance essentielle à la survie de l’armée, le dollar. Inutile de rappeler à quel point ces programmes sont des trous dans les poches du pentagone, mais il existe un effet bien plus pervers, la perte de capacité de combat à court et moyen terme de l’USMC et de l’USAF.
Qu’un programme soit cher, soit. Mais combiné à un retard trop important, les conséquences sont catastrophiques. Regardez le graphique suivant, il parle de lui-même.
L’industrialisation du F-22 Raptor ayant été stoppée prématurément pour privilégier le programme F-35 (sic !), et en considérant que le F-35A ne sera pas véritablement opérationnel avant 2025 (certains prédisent même 2030), l’USAF va se retrouver à gérer une flotte d’avion de combat dont les dernières grandes séries lui auront été livrées au début des années 1990 !
Est-ce imaginable ? Oui. En modernisant les avions actuellement en service et en augmentant leur potentiel cellule, l’US Air Force devrait pouvoir réussir ce tour de force.
Mais c’est sans compter sur les effets des baisses de budget qui contraignent le Dod à faire des choix drastiques. C’est ainsi que la modernisation de plusieurs centaines de F-16 a été mainte fois repoussée, et que l’USAF proposera même de mettre à la retraite l’ensemble de ses A-10 Thunderbolt II !
En résumant et en simplifiant à l’extrême : à cause du retard des avions de nouvelle génération, l’USAF retarde la modernisation de ces avions en service. Cela semble-t-il logique ? Mais puisque le programme F-35 accumule encore aujourd’hui de nouveaux dépassements de calendrier, l’armée de l’air sera bien obligée d’engager cette modernisation, qui sera loin d’être gratuite.
Les retards du F-35 ont donc des répercussions économiques bien plus graves que celles liées directement au surcoût du développement du programme, et des conséquences sur la capacité de l’armée américaine à déployer des avions de combat dans des zones de conflits.
Histoire d’amour compliquée entre la Navy et le F-35C
Loin de la folie des grandeurs des « fifth generation aircraft », le Super Hornet permet aujourd’hui à l’US-Navy de disposer d’une aviation de combat jeune et pleinement opérationnelle. Les capacités de l’avion ne sont plus à démontrer, et bien que l’US Navy souhaite en acquérir davantage, cela lui est refusé par le pentagone. Celui-ci craint en effet que si la Marine engage la construction de Super Hornet supplémentaire, elle réduira sa cible de commande de F-35, pénalisant encore un peu plus l’ensemble du programme.
Et la crainte est fondée. La gronde de certains amiraux est palpable. Premièrement, la formule générale de l’avion ne leur convient pas. Ce sera le premier monomoteur à opérer sur porte-avion depuis le retrait des A-7 Corsair II. Avec les exigences liées aux opérations aéronavales, la structure du F-35C par rapport à la version A a dû être renforcée, donc alourdie. Et pour réduire la vitesse d’approche, l’envergure a été augmentée, rajoutant encore à la masse de l’avion. Le F-35C, avec une charge alaire réduite sera potentiellement le plus manœuvrant des trois, mais avec un rapport Puissance/poids bien inférieur aux autres avions, et des performances cinétiques bien inférieures.
En plus des problèmes liés à la formule aérodynamique imposée par le choix d’un avion commun aux trois armées, les bourdes de conception et les errements du développement ne semblent plus avoir de limite, et semblent échapper à tout raisonnement logique. Pour preuve, le défaut lié à l’emplacement de la crosse d’appontage qui empêche à l’avion d’accrocher un brin d’arrêt (voir cet article: Pourquoi le F-35C ne peut apponter?)
Il aura fallu 16 mois au Super Hornet depuis son tout premier vol pour être capable d’apponter (nov. 95-mars 97), et une période similaire au Rafale pour faire de même (déc91 – avr. 93). Le F-35A a volé pour la première fois en 2006, mais la version navale n’a pris les airs qu’en décembre 2006. À ce jour, la version marine du F-35 n’a toujours pas apponté ; un solution aurait été trouvée (mais pas détaillée) et des essais doivent avoir lieu en mer à partir du mois d’octobre 2014. Si tout se déroule bien, le premier appontage du F-35C aura eu lieu 52 mois après son premier vol, et aura nécessité plus de trois fois le temps qu’il en aura fallu à Dassault Aviation et Boeing durant les essais en vol de leurs appareils respectifs!
Et nous ne parlons là que de mise au point de la cellule… La mise au point des systèmes en étant pour sa part à ses débuts, les capacités de combat de l’avion données par l’ensemble de ses logiciels restent encore à inventer.
Un F/A-18 F Super Hornet volant dans l’aile d’un F-35-C. Seule l’histoire nous dira si l’un sera le successeur, ou le concurrent de l’autre.
Le Super Hornet, l’avion du salut
Boeing est le seul constructeur américain à posséder la capacité de fournir des avions de combat opérationnels avec le F-15 et le Super Hornet, qui sont encore en production, mais pour peu de temps (voir cet article). Des deux, le Super Hornet est l’avion le plus avancé. Le constructeur a même dans ses cartons un projet d’Advanced Super Hornet qui rajoutera à l’appareil une caractéristique commune aux avions de nouvelle génération qui lui fait cruellement défaut : la fusion de données (caractéristique présente sur le F-35, Rafale, Eurofighter, mais pas sur le Raptor – nous y reviendrons dans un prochain article).
En plus de cette avancée majeure restant encore à développer, Boeing a conçu des réservoirs conformes de fuselage qui se plaquent sur l’extrados de l’avion, augmentant ainsi son rayon d’action, mais aussi des soutes à armement externe permettant de réduire significativement la surface équivalente de l’avion.
Le Super Hornet est donc un avion possédant un bon potentiel d’évolution, et qui possède une caractéristique qui est unique : le programme n’a connu aucun dépassement de coût ni aucun retard ! De plus, son prix est équivalent au tiers seulement du coût de production du F-35 actuellement.
Avec ces arguments, pourquoi le Super Hornet, ou sa version évoluée, l’Advanced Super Hornet ne serait-il pas proposée comme une solution à tous les problèmes de l’US Air Force ? Jusqu’à quel point le pentagone sera-t-il prêt à s’investir à perte dans un programme qui semble voué à l’échec ? La question mérite d’être posée.
One Comment
James
Très bon résumé.
Le Hornet a tout de même connu quelques erreurs de conception, notamment l'emplacement de son canon.
Le Super Hornet a déjà beaucoup perdu en agilité comparé au Hornet à cause de l'embonpoint. Les réservoirs conformes de l'Advanced ne va pas arranger ces choses.
Concevoir un avion marin n'est pas chose aisée, le confier à un constructeur (LM) qui n'a conçu qu'un seul avion marin dans son passé est assez risqué.