Crédit @ Dassault Aviation |
Dans la directe lignée du traité de Lancaster house signé à Londres il y a presque 4 ans jours pour jour, les états français et britannique ont signés et remis ce jour les contrats de l’étude de faisabilité industrielle aux six industriels concernés : Dassault Aviation, Safran et Thales pour la France, British Aerospace Systems, Rolls Royce et Selex pour la Grande-Bretagne.
Le portail des passionnés d’aviation ayant eu l’honneur d’être invité à cet événement, nous vous rapportons tout ce qu’il s’est dit, et tout ce qu’il y a à savoir sur cet ambitieux programme, ou presque.
Enfin ! Enfin une avancée majeure dans l’aéronautique européenne. Et cette fois-ci elle ne sera pas multilatérale, mais binationale. Les deux leaders européens que sont la France et le Royaume-Uni partagent une vision presque identique, et leurs vues à l’international se sont considérablement rapprochées ces dernières années. Leurs forces armées et les capacités de leur industrie de Défense tiennent le haut du pavé comparé au reste de l’Europe, c’est un fait indiscutable.
Cet important contrat de faisabilité est une première par son importance, comme l’a rappelé durant le point presse Laurent Collet Billon, directeur général de l’armement.
« Un contrat de faisabilité de 250 millions d’euros, de mémoire, on n’a pas dû en signer beaucoup ! »
Les PDG de chaque entreprise durant la cérémonie. crédit photo @ Thales |
Les 250 millions sont composés d’un contrat de 150 millions d’euros se partagés à parts égales entre les industriels de chaque pays, et d’une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros laissés à la discrétion de chaque état pour le développement ou la maturation de technologies pouvant entrer dans le cadre de ces études.
Ainsi, à la question que nous avons posée, le DGA et son homologue britannique le Chief Of Defense Materiel ont répondu qu’avec ces fonds, chaque pays va pouvoir continuer à mener des études déjà entamées sur leurs propres programmes nationaux. Taranis pour le Royaume unis, ou nEUROn pour la France, en incluant les différents développements menés de part et d’autre sur des technologies qui seront potentiellement embarquées dans le futur SCAF (ou FCAS selon la désignation en anglais). Ces études purement nationales seront ensuite mises en commun dans le futur programme.
Une étude de faisabilité, pour quoi faire ?
Comme s’est amusé à le répéter le Chief of Defense Materiel Bernard Gray avec l’image de l’informatique, personne dans les années 60 avec l’avènement des premiers ordinateurs qui prenaient le volume d’une pièce ne pouvait imaginer ce que serait un iPad 50 ans plus tard. Leur vision était que tout au plus, chaque ville dans le monde possède un ordinateur…
Dans l’esprit de ceux qui préparent les armées aux conflits du futur, une vision claire à 40 ou 50 ans est difficile à établir. Le but est donc d’identifier les technologies clés à développer pour les besoins d’un futur appareil de combat, d’en identifier les risques, et in fine évaluer la faisabilité dans une proportion de coûts maîtrisée.
Deuxième effet Kiss kool, ces importantes études permettront au Royaume-Uni et à la France de maintenir leurs compétences dans des secteurs clés de l’électronique, la motorisation, la conception de cellule et de systèmes pendant de nombreuses années.
L’étude de faisabilité est une première étape concrète, un premier jalon incontournable sans lesquels aucun programme ne pourrait être lancé. Nous sommes actuellement au point 0, à l’étape préliminaire d’un nouveau programme dans le domaine de l’aviation de combat. Ça n’était pas arrivé depuis presque 30 ans !
Crédit @ Dassault Aviation |
Et après cette étude ?
En 2016, une fois que l’étude de faisabilité sera arrivée à son terme, le rendez-vous a été donné par M. Trappier, PDG de Dassault Aviation dans les locaux de BAE chez son homologue, Ian King. Le but sera alors de lancer un programme de démonstrateur technologique commun, préfigurant ce que pourra être une des briques du SCAF. Car le SCAF, c’est en réalité bien plus qu’un drone. Dans tous les cas de figure, le programme n’accouchera pas d’un appareil opérationnel avant l’horizon 2030.
À quoi ressemblera ce SCAF ?
Dans le moment présent, nous n’en savons rien. Les maquettes dévoilées jusqu’à présent n’ont que valeur de symbole, et sont pour la plupart des « design proposal ». Le concept du SCAF n’est pas non plus figé sur, seulement, un avion de combat sans pilote, ou drone armé. Et c’est là que ça devient un tout petit peu plus compliqué.
Si les deux états se sont rapprochés sur un besoin commun, celui d’obtenir une plateforme aérienne de combat non piloté, dont les principales missions seraient l’attaque en profondeur et la reconnaissance armée, le DGA a également glissé dans son discours ce que j’avais au départ interprété comme une erreur de sa part. À savoir qu’à terme, le SCAF remplacera Typhoon et Rafale.
Or le design présenté n’avait rien d’un appareil taillé pour le combat aérien… Mais les technologies qui seront identifiées dans le cadre de cette étude de faisabilité servirons non seulement pour ce futur drone, mais servira également à profondément moderniser, voir remplacer les deux avions-vedettes des forces armées françaises et britanniques.
Crédit @ Dassault Aviation |
Horizon 2030… L’inventaire de la RAF sera riche !
De nombreuses questions sont encore sans réponse. Notamment en ce qui concerne le futur format de la RAF, qui possèdera le F-35, un chasseur à signature radar réduite dont la France ne sera pas équipée. Si pour cette dernière le complément d’un drone de combat furtif apparait comme logique, quelle place sera laissée au SCAF dans l’inventaire de l’armée de Sa Majesté ? En ces temps de disette budgétaire, la question mérite d’être posée, car mener de front autant de programmes que sont la modernisation du Typhoon II, l’acquisition de F-35 et le développement et l’arrivée dans les forces d’un nouveau drone de combat ne parait pas très réaliste… Au moins un des programmes pourrait voir d’un mauvais œil l’arrivée du FCAS.
Quid également de la Royal Navy ? À moins d’équiper les PA de la classe queen Élisabeth de brins d’arrêt, la solution d’une variante à atterrissage verticale ne sera certainement même pas évoquée, au vu des déboires rencontrés sur le programme F-35.
6 Comments
Haikai
Si, à première vue, cette coopération binationale peut sembler prometteur, il faut tout de même rappeler l'extrême difficulté, pour la France et la Grande-Bretagne, de mener une telle entreprise (à l'exception du "Concorde" qui fut une réussite industrielle mais sans lendemain).
Les raisons de ces difficultés me semblent plus des rivalités industrielles que culturelles. Ainsi, le choix de ne pas choisir de chef de file industriel unique (entre BAE et DASSAULT) pourrait poser de sérieux problèmes à la fin de l'étude de faisabilité en 2016. Il ne serait donc pas étonnant d'aboutir au même résultat qu'avec le programme ACE (qui donna naissance au Rafale et au Typhoon).
En outre, il convient de rappeler aussi que la France, avec le Rafale et nEUROn, dispose d'une sérieuse avance sur la Grande-Bretagne. Aussi, il me semble que cette dernière devra consentir plus d'effort pour rattraper son retard technologique sur la France. A défaut de quoi, un programme en commun à 50/50 devrait être compromis (sauf à ce poursuivre à nos dépens).
Mais le chemin est encore long…
Haikai.
Sébastien Pugelle
Le Taranis de BAE n'est pas au même niveau technologique que le nEUROn ?
James
@Sébastion,
Le Taranis n'a pas été prévu pour larguer une charge.
Et puis au niveau contrôle, le nEUROn est assez autonome, il ne reçoit que des macros ordres, et en cas de défaillance de liaison, l'avion éxécute des ordres prédéfinis. Est-ce que le Taranis en est capable? À vérifier.
Sébastien Pugelle
Merci pour les précisions.
James
J'ajouterai que le programme nEUROn est une coopération, contrairement à BAe qui a développé le Taranis tout seul, situation inverse de celle du Rafale/Typhoon, mais cette fois-ci, la coopération a été bien construite, avec un maître d’œuvre unique et une distribution des rôles suivant les compétences, ce qui explique sa réussite en temps et sans dépassement de budget.
Anonyme
Une phase de faisabilité a pour objectif d évaluer un certain nombre de concepts, solution technologiques développés par les partenaires, ou plutôt compétiteurs : 2 avioneurs, 2 systemiers, 2 motoristes. Le maître d'oeuvre du futur programme sera sélectionné plus sur sa capacité à fédérer les grands acteurs industriels en Europe autour d' un projet qui sera soutenu par les futurs clients qui supporterons les couts de développement, c'est à dire les états, que sur une prétendue avance technologique. Avec son expérience européenne à grande échelle (airbus, eurofighter) on voie mal bae systems accepter de jouer les bons seconds. L expérience européenne de Dassault, bien que couronnée de succès, apparait bien maigre. Qu'on ne s' y trompe pas. Pour ne pas voir son industrie de l' armement disparaitre les états n' ont pas d autre choix que de s' unir. Apres Neuron et Taranis, il y forcément un démonstrateur opérationnel et forcément européen. Reste que les USA n'ont aucun intérêt a laisser un nouvel acteur européen émerger et contester leur future hégémonie dans les UCAV. Qu'elle sera leur stratégie : tuer le projet dans l'oeuf et laisser les européens dans leurs égarements en forçant les anglais à privilégier leur grand cousin (bae est une société autant anglaise qu'américaine) ; ou bien, plus pervers, s' assurer que leur allié sera à la tête d' un programme qui finira par épuiser financièrement les états européen et creusera la tombe de son industrie. A moins que nos dirigeants ne soient d' une grande naïveté, il serait suicidaire de renoncer au leadership du futur programme. Autre issue : le concept d'Ucav ne répond pas aux besoins des états ou n' est plus prioritaire. Seul le volet démonstrateur de technologies est retenu afin d' alimenter les futurs programmes nationaux (comme Neuron le fait actuellement).