Dassault Aviation et son Rafale sont à nouveau le centre d’attention de la presse nationale. Les faits révélés par la Tribune et le décidément très bien renseigné Michel Cabirol, n’ont jamais été démentis, bien au contraire. À part quelques retournements de situation en fonction des finances exsangues du Caire qui ont modifié sa liste au Père Noêl, et le fait qu’il faille toujours rester prudent tant que rien n’est signé, plusieurs personnalités habituellement très discrètes sur ce sujet se sont exprimées. Il s’agit du délégué général pour l’armement (le chef de la DGA) Laurent Collet Billon, et même de M. Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation.
Ce sont donc 24 Rafale qui devraient être achetés par l’Égypte à la France. Un premier contrat export dont la difficulté aura été de le financer. Mais la situation géopolitique du pays est tendue, et des conflits couvent sur chacune de ses frontières. Sur le front libyen, Le Caire et Paris ont des convergences d’opinions, avec plusieurs alliés de la région, co-financeurs de cette acquisition. Ce besoin militaire n’est donc pas un luxe, tant l’armée de l’air égyptienne a besoin de renouveler ses matériels. L’Égypte a également besoin d’assurer la sécurité de son célèbre canal de Suez, qui voit transiter une grande partie du commerce international entre l’Asie et l’Europe. Avec son agrandissement qui devrait être inauguré cette année, les recettes pourraient doubler, voire tripler pour le pays, en atteignant 10 milliards d’euros par ans. De ce point de vue, c’est un investissement.
Négociations raccourcies ?
Croire, comme certains médias l’ont annoncé, que les négociations ont été menées en un temps record, c’est imaginer que les discussions n’ont commencé que depuis que l’affaire a été révélée. Sauf que l’intérêt égyptien est bien plus ancien que sa récente actualité politique mouvementée, et que l’achat d’un avion de combat ne peut pas se négocier en quelques mois seulement. Rien que la rédaction de l’expression du besoin par le client peut être très longue, et avec l’achat de l’appareil, il faut également prévoir toute la logistique permettant le maintien en condition opérationnel, l’adaptation des infrastructures, l’armement, la formation du personnel de soutien et enfin, les pilotes.
L’intérêt de Dassault pour l’Égypte remonte à loin. Tous les amoureux du chasseur français se souviennent de ses magnifiques clichés pris par le Rafale B01 (photo de couverture) en tenue deux tons, survolant les pyramides, ou les verts pâturages irrigués par le Nil. Ce voyage n’avait pas été anodin à l’époque, car le pays avait été en 1981 le premier client du Mirage 2000, et que plusieurs dizaines de Mirage 5 étaient alors (et sont toujours) à remplacer. En 2011, quelques médias, dont la tribune (encore eux) ont révélé que les militaires égyptiens étaient intéressés par le Rafale, surtout après sa prestation remarquée au-dessus de la Libye, la même année.
Mais à cette époque, la diplomatie française était embarrassée par ce dossier, car la situation interne du pays était loin d’être compatible avec la vente d’une machine aussi médiatisée. Aujourd’hui, si la situation interne du pays n’est toujours pas entièrement stabilisée, il semble que la situation sécuritaire de la région, et la participation de l’Égypte à des raids de Mirage 2000-9 émiratis partis de son sol fassent pencher la balance à la faveur d’un contrat pour ce pays. Il serait en effet malvenu que la situation Libyenne se joue des frontières d’une Égypte et n’affaiblisse encore plus la situation interne. Si, par la vente de cet appareil, l’Égypte peut prendre une part plus active encore dans le conflit libyen, alors la France fait d’une pierre deux coups.
Rafale Solo display magniquement capturé par PE Langenfeld |
Rafale, un choix logique
L’appareil phare de l’armée de l’air égyptienne est sans contexte le F-16. Acheté à plus de 260 exemplaires toutes versions confondues, les versions les plus récentes (block 42/52) ont un défaut de taille imposé par Washington. En effet, bien que très capables, ces appareils ne sont pas dotés de missiles à moyenne portée AIM 120 Amraam, mais de son prédécesseur, l’AIM7 Sparrow, à guidage radar semi-actif, et qui ne permet pas aux avions un engagement multicibles. L’aide militaire et financière américaine a des limites, et il n’était pas convenable de fournir à l’ennemi d’Israël un appareil trop… menaçant.
En se fournissant auprès de la France, pays qui ne participe pas au financement d’une quelconque armée de la région, l’Égypte affirme son indépendance face à un allié américain susceptible de lui dicter sa conduite. Le Rafale est un avion dont l’ensemble des équipements et armement sont français, ce qui donne une certaine liberté de manœuvre politique à son client.
Cet argument pourrait également être utilisé en ce qui concerne le Gripen, dont une grande partie des équipements sont d’origine étrangère, y compris Américains. C’est également le cas pour le Typhoon qui, en attendant la qualification du Méteor, dépend également de l’AMRAAM comme missile antiaérien principal… De plus, l’avion européen peine à combler un gap important avec le Rafale en matière de capacités de frappes au sol.
Ici en Norvège, la capacité de combat de l’appareil français n’est plus à démontrer. (crédit: Armée de l’air) |
Quel Rafale pour l’Égypte ?
Cette question-là est sensible, et il sera difficile d’obtenir des informations fiables. Au juste pouvons-nous avancer des hypothèses crédibles en regard du contexte. Matériellement, les appareils seraient quasiment identiques aux appareils français. Même si les négociations n’ont pas été aussi courtes que certains le prétendent, l’Égypte a besoin d’un avion opérationnel le plus rapidement possible ; il est donc exclu que d’importantes modifications soient apportées à l’appareil sans avoir à repousser la livraison de plusieurs années. Et cela arrange bien la DGA, tiraillée entre deux obligations. La première, celle de faire produire à l’avionneur 11 avions par ans, sans quoi toute la chaine industrielle de l’avion telle qu’elle a été conçue pourrait s’effondrer. La seconde, une contrainte de la loi de programmation militaire pour la période 2014-2019 qui prévoit que seuls 26 avions seront commandés pour les forces françaises. Ce qui nous donne 66 avions à produire pour la période, 26 à livrer pour les armées françaises, et donc 40 à vendre à l’export avant 2019, et produits selon les spécifications françaises.
Le plus important dans la capacité d’un avion de combat actuellement ne se mesure pas en terme de performances et d’équipements, mais à l’intelligence des logiciels qui les exploitent. Ainsi, et vu que le Rafale est l’avion qui assure à la France une capacité d’attaque nucléaire avec des capacités à la pointe, notamment grâce à SPECTRA, son Système de Protection et d’Évitement des Conduites de Tir Rafale, un bijou de capacités au niveau de la guerre électronique et unique en son genre, ne sera jamais livré complet. Cette suite de capteurs et ses complexes algorithmes logiciels permettent à l’avion de rester le plus discret possible en évitant les menaces. Il est évident que les parties les plus sensibles de ses systèmes ne seront pas implémentées sur des avions livrés à l’étranger.
10 Comments
Anonyme
Enfin un article complet et bien détaillé
Bruno ETCHENIC
Merci, ça fait toujours plaisir à lire 😉
James
L'utilisation des F-16 n'est-elle pas soumise au bon vouloir des USA comme ceux des EAU qui ont préféré utiliser leurs Mirage 2000-9 contre EI?
Bruno ETCHENIC
Plus… ou moins.
Silver Dart
La loi de programmation militaire ne s'étend-elle pas sur 6 ans (de 2014 à 2019 inclus) ? Parce que dans ce cas-là, l'enjeu de production pour le Rafale n'est pas de 26 + 29 avions exportés, mais 26 + 40. L'idée de base étant 11 en 2014 pour la France, 11 en 2015 pour la France, 4 en 2016 pour la France, et à partir de là, tout pour l'export. D'où la clause de revoyure de la LPM en 2015, pour notamment décider de comment est géré la production 2016 en cas d'absence de contrat export.
D'ailleurs, on peut noter que la quatrième tranche des avions français est déjà notifiée dans son intégralité, pour un total de 180 avions. Ce qui recherché, ce n'est pas de limiter la prise de commande nationale, mais bien de repousser la livraison, et donc le paiement, d'avions déjà commandés afin de soulager la trésorerie tendue du ministère de la défense.
Montaudran
Je me suis posé la question du pourquoi de cet achat de la part de l'Egypte. En effet cette force aérienne au niveau des chasseurs/bombardiers est numériquement nombreuse (~500) mais en même temps très hétéroclites. Il y a de tout du Ricain avec les F-16 (214 !) des F-4 (30), du français avec des Mirage 2000 (20), des mirage 5 (80), du russe avec 60 Mig-21 et enfin du chinois avec une centaine de zincs. On peut dire qu'ils ont fait tous les pays !!
Donc les Rafale ? c'est en plus ou pour remplacer des appareils obsolètes? Vous donnez une piste avec les missiles AIM-7 Sparrow cependant je ne pense pas que ce soit une "urgence" car il n'y a pas actuellement de flotte de chasse menaçante. De plus si les AIM-7 ne sont pas fire and Forget il permet depuis longtemps le tir multiple à charge au radar de les guider vers leur cible (il y a des contraintes >> vol vers l'ennemi ce qui n'est pas conseiller et ouverture des pistes radar).
J'ai l'impression que c'est plus l'aspect air-sol (air-mer ?) du Rafale qui intéresse.
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Pour finir et pour répondre à un commentaire le fait d'acheter un avion à un pays USA, Russie ou France n'implique pas que l'on doit téléphoner au président du dit pays avant d'utiliser l'avion. Donc les égyptiens peuvent utiliser les F-16 comme ils veulent MAIS effectivement il peut y avoir des mesures de rétorsion après.
Refus de ventes de pièces détachées ou lenteurs de livraisons, rappel des techniciens supports si le pays ne le fait pas indépendamment etc …
Anonyme
Effectivement, l'Egypte commence seulement à intégrer des pods litening sur ses F-16. L'aspect Air Sol (AASM, Black Shaheen) doit certianement jouer.
Pour répondre à la seconde partie, il me semble qu'à Al Dhafra le système de préparation de mission des F-16 émiratis est sous contrôle américain. Qu'une bonne artie des AMRAAM achetés par certains pays (Taiwan…) n'ont pas été livrés mais stockés (au moins pour un temps) aux USA etc.
Florent Weill
Dans la série désinformation il est déplorable de trouver encore des articles de cet acabit sur le site d'un journla comme le monde :
http://www.lemonde.fr/m-actu/article/2015/02/11/le-rafale-et-les-ventes-mirage_4574484_4497186.html
Méconnaissance totale du dossier, reprise d'informations populistes mais erronées, ce n'est pas du travail de journaliste sérieux, cela relèverai plutôt d'un article de Gala
Bruno ETCHENIC
Monsieur, sachez que je trouve votre commentaire complètement disproportionné et particulièrement vulgaire. Il n'est pas juste d'avoir une si mauvaise image de … Gala. 🙂
Et c'est le monde qui annonce en plus la signature pour lundi. Cherchez l'erreur…
Florent Weill
Excellent !