Le détecteur de départ missile est un capteur passif présent au sommet de la dérive du Rafale. Totalement intégré au système de protection de l’avion, le fameux SPECTRA, il procure à l’avion une veille à 360° autour de celui-ci, visant à alerter le pilote dès qu’un missile est tiré dans sa direction, en détectant le rayonnement infrarouge émis par le moteur fuseé du missile durant sa phase de propulsion.
En septembre 2013, la DGA a pris officiellement livraison du premier Rafale de la quatrième tranche de production, équipé au standard complet F3-O4T. Bien que tous les appareils précédemment livrés soient tous portés au standard logiciel F3.3, les avions nouvellement livrés seront tous équipés des derniers raffinements matériels comprenant entre autre le nouveau Radar à antenne à balayage actif RBE2 AESA (qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias spécialisés, et à juste titre), d’un OSF de nouvelle génération appelé OSF-IT pour Identification et Télémétrie, mais aussi du DDM-NG, acronyme de Détecteur de Départ Missile de Nouvelle Génération. C’est ce dernier matériel qui nous intéresse aujourd’hui.
La différence la plus évidente entre l’ancien et le nouveau DDM est la forme de ce senseur. L’ancien senseur, de forme triangulaire était équipé de trois faces couvrant tous les secteurs de l’avion. Désormais, le nouveau DDM-NG est doté d’une optique hémisphérique “fish eye” et d’un nouveau capteur matriciel infrarouge plan. Il se présente donc sous la forme d’une demi-sphère. Les deux équipements sont situés au sommet de la dérive, au même emplacement. L’architecture ouverte de l’avion fait que, à l’instar du Radar ou de l’OSF, le DDM et son successeur le DDMNG sont interchangeables.
On sait que Lockheed Martin intègre sur le F-35 un système nommé EODAS (Electro Optical Distributed Aperture System). C’est un système composé de six capteurs optroniques de classe 1 Mégapixel destinés à détecter , suivre et désigner non seulement des missiles mais aussi des avions (ou autre) afin de fournir une “bulle” de sécurité. Une sorte de radar passif explorant en permanence l’environnement de l’avion sur 360°. Le SAAB Gripen NG disposera bientôt d’un système similaire de veille/ciblage optique sur 360°.
Sur le site de MBDA on peut lire ici :
Le DDM NG a été conçu pour détecter le tir de missiles assaillants dans l’intégralité des secteurs angulaires autour de l’avion. L’équipement remplacera sur Rafale, le DDM dont il reprend toutes les interfaces physiques, électriques et fonctionnelles. Le DDM NG intègre un nouveau détecteur infrarouge matriciel qui renforce ses performances en termes de portée de détection des tirs de missiles, de réjection des fausses alarmes et lui confère une précision de localisation angulaire compatible avec l’emploi futur de contre-mesures à effet dirigé.
Par comparaison, le DDM NG peut sembler un timide “a minima” traitement d’obsolescence…
Comme nous allons voir dans la suite de l’article, il n’en est rien et le DDM-NG offre bien plus qu’une « simple » capacité à détecter les missiles adverses. Le capteur, bien plus précis que son prédécesseur, est complètement intégré au SPECTRA, offrant au Rafale certaines capacités uniques pour un avion de combat en service.
Plusieurs pistes nous ont mis sur la voie :
-Piste 1 : La qualité des images publiées sur le site de MBDA semble bien élevée pour de simples senseurs de départ de missile :
Il est à noter que ces images sont extraites d’un film présenté par MBDA il y a quelques temps. Observez la forme du soleil, bien rond : ceci implique que le senseur est très difficilement saturable et d’une très faible rémanence (sinon on verrait une traînée à l’emplacement du soleil).
Quel est donc le capteur matriciel permettant des images d’une telle qualité? Il est probable que ce capteur provienne de la filière française de matrices infrarouges SOFRADIR.
Avec une résolution finalement assez proche des premiers appareils photos numériques (mais dans l’infrarouge!), il serait illusoire d’espérer identifier formellement un avion, et à fortiori un missile, au delà de quelques Kms. Pourtant MBDA insiste sur son site sur le très faible taux de fausses alertes. Cela n’ est rendu possible par l’analyse du comportements des objets détectés, qui implique elle même une capacité de tracking desdits objets.
-Piste 2 : D’après le descriptif, la précision du système est telle qu’elle permet de localiser de façon angulaire une menace avec suffisamment de précision pour l’usage futur de DIRCM (Direct Infrared Counter Measures, Contre mesures infrarouges directes, c’est à dire usage d’un laser pour “aveugler” les autodirecteurs des missiles). Un DIRCM est un laser qui sert à aveugler les autodirecteurs infra rouges des missiles hostiles. La cible est petite et… En mouvement. De plus, à cause de la diffraction de l’air, un laser n’a qu’une portée limitée. Cette compatibilité sous entend donc que le DDM NG est capable de pister un objet de la taille d’un missile bien après son lancement (et sa phase d’accélération).
-Piste 3 : On sait que Spectra est capable de déclencher un tir de leurres infra rouges automatiquement, et au moment adapté. Le système est donc capable d’estimer la distance à laquelle se trouve le missile assaillant.
-Piste 4 : Un peu plus loin dans le descriptif (en anglais) de MBDA on peut lire :
“Other applications
Thanks to the high-quality IR imagery produced by the DDM-NG sensor, many other
applications can be foreseen on aircraft (Air Policing, Situational Awareness, Targeting,
Assistance to navigation, Air Patrol, Anti-collision, “IR Black-Box”,…).”
On voit bien que grâce à la qualité optique du senseur, MBDA envisage d’intégrer des fonctions bien plus sophistiquées qu’une “simple” détection de départ de missile, mais bien comparables à celles du système EODAS du F35, au moins pour sa partie “conscience de l’environnement”.
-Piste 5 : Le DDM NG était opposé au système MIRAS de Cassidian et Thalès avant sa sélection par la DGA. Sur le site de Thalès, il est clairement expliqué que le système MIRAS est capable de traquer des missiles. Il semble logique que la DGA n’ait pas renoncé à de telles capacités!
Dès lors une question se pose : pourquoi, si elles sont techniquement possibles, de telles capacités n’ont pas été intégrées dans le DDM NG du Rafale? Surtout au vu de la perte de la voie IR de l’OSF (Optronique Secteur Frontal)!
-Piste 6 : L’année dernière, l’agence de presse brésilienne Defesanet a publié un test très complet du Rafale B301 (l’avion “expérimental” de Dassault) dans sa dernière configuration par le pilote d’essai Vianney Riller Jr. Au cours de cet essai, il décrit un tir simulé dont la cible est située dans ses six heures (derrière lui) d’un missile MICA, en utilisant UNIQUEMENT les senseurs passifs et la fusion de données de SPECTRA. D’après la photo de situation tactique publiée dans cet article on voit que SPECTRA inclut dans sa visualisation des données infrarouges. Renseignements pris, ce tir a bien été effectué en utilisant (au moins pour partie) le DDM NG comme capteur passif, intégré à la fusion de données de SPECTRA, bien au delà de dix milles nautiques.
Après vérification auprès de sources étatiques et industrielles, Nous pouvons affirmer, en exclusivité, que le DDM NG est bien plus que ce qu’il n’y parait. Il participe directement aux capacités de détection, d’identification et de ciblage du Rafale.
Pleinement intégré à SPECTRA, il possède donc des capacités de détection similaires à celles de l’EODAS du F35 : surveillance et perception de l’environnement sur 360° (ou presque, il y a une zone d’ombre au niveau des ailes, voir la photo plus haut), localisation de menaces, classification et celles ci, ciblage et participation à l’élaboration de solutions de tir air-air et air-sol.
Le système EODAS du F35 |
On comprend donc mieux l’absence de voie IR sur l’OSF-IT (optronique secteur frontal, identification et télémétrie), celle ci étant du coup bien moins nécessaire (bien qu’ utile et complémentaire grâce à ses capacités à zoomer).
Le DDM-NG a été conçu pour remplacer en lieu et place le DDM. De ce fait il est limité par les capacités de l’interface et l’intégration dans le système SPECTRA qui doivent être strictement respectées. Il possède néanmoins, grâce à ses senseurs et ses algorithmes d’analyse des capacités qui pourraient être pleinement exploitées lors d’une refonte du système Spectra (future version 5T).
Enfin, on peut penser que les données fournies par le DDM NG pourraient servir dans un futur plus éloigné à l’intégration d’une visualisation sur visière de casque à l’instar du F-35, mais cela nécessiterait la mise en place d’au moins un troisième senseur afin de boucher l’angle mort situé sous l’avion.
Conclusion:
Comme nous pouvons le constater, les évolutions du Rafale apportent régulièrement leur lot de surprises. Grâce à une fusion complète des donnée, chaque nouveau capteur offre à l’avion de nouvelles pistes pour faire évoluer la capacité de l’avion à évaluer son environnement.
Bien que le présent article prouve que le DDM-NG est capable d’apporter une capacité de veille et de tracking, offrant une bulle de protection respectable autour de l’avion, rien n’indique que la solution est aujourd’hui opérationnelle sur les avions de la quatrième tranche livrées. Tout au plus, nous pouvons déduire, et cela nous a été confirmé qu’elle a été testée. Le Rafale B 301, avion sur lequel le pilote d’essai brésilien a effectué un vol est un avion qui sert de banc d’essai volant pour les nouvelles technologies qui équiperont le Rafale. La question qui reste donc en suspend est de savoir à quel stade d’évolution cette capacité se situe-t-elle, éventuellement de quel programme fait-elle partie, et est ce qu’elle est déjà, ou sera déployée ?
Nous ne manquerons pas d’essayer de répondre à cette question.
Yves Pagot, en collaboration avec Bruno Etchenic